En matière de mobilité, les comparaisons chiffrées avec Stuttgart sont rendues délicates par plusieurs facteurs. D’abord, la moindre disponibilité générale de données relatives aux déplacements ne permet pas de rapprocher facilement les sources existantes de la fréquence et du contenu des enquêtes ménages lyonnaises et lilloises. Des études ont néanmoins été réalisées par différentes collectivités : elles permettent de disposer d’informations sur le territoire de la commune de Stuttgart ; en revanche, il n’existe pas de véritables recueils de données sur la mobilité à l’échelle de l’agglomération ; il faut donc se placer à une échelle plus large qui, pour ne rien faciliter, ne correspond pas tout à fait au périmètre du Verband Region Stuttgart pour ce qui est des données d’évolution. 217 Enfin, les outils statistiques ne mesurent pas toujours la même chose de la même façon : à titre d’exemple, notons que les enquêtes allemandes s’intéressent généralement aux déplacements des individus de plus de dix ans alors que le seuil est à cinq ans dans les enquêtes ménages françaises et que des différences peuvent jouer, notamment sur l’estimation de déplacements difficiles à appréhender comme la marche ; de plus, « malgré la grande importance des indicateurs de mobilité pour de nombreux domaines de la planification et de l’administration, il n’existe pas de norme généralement reconnue pour leur collecte sur le terrain. C’est ce qui explique le foisonnement des méthodes de collecte – très diverses en qualité et souvent difficilement comparable » 218 y compris entre les villes allemandes.
Ceci étant, la mobilité globale est évaluée en 1995 dans le Verband Region Stuttgartà 3,4 déplacements par personne et par jour. Si on ne dispose pas ici de données d’évolution, soulignons simplement que ce chiffre est tout à fait dans la norme de ce qu’on peut observer par ailleurs. D’ailleurs, François Asher souligne bien que « le nombre de déplacements par personne et par jour est à peu près uniforme dans les villes d’Europe de l’Ouest : 3,4 déplacements par jour et par personne (soit dix à vingt pour cent de plus qu’aux Etats-Unis). » 219
Toujours à l’échelle de la région urbaine, les parts de marché des différents modes dans les déplacements fournissent des indications contrastées (figure 23). Si elles donnent à voir, en ce qui concerne la mobilité automobile, une position intermédiaire entre Lyon et Lille, qui illustre bien la place conséquente occupée par la voiture dans les pratiques régionales, elles témoignent également de la bonne tenue des transports collectifs, qui assurent sur le territoire de la région urbaine un pourcentage de déplacements identique à ce que l’on peut observer dans l’agglomération lyonnaise. Il n’empêche que les efforts réalisés en matière d’amélioration quantitative et qualitative de l’offre de transports publics échouent visiblement à s’opposer là encore au développement de la mobilité automobile, soutenu par celui de la motorisation passée de 0,41 voitures par habitant en 1981 à 0,53 en 1995. Cette dynamique est d’ailleurs confirmée par l’évolution des parts de marché des modes mécanisés, qui enregistre des tendances qui ne sont pas plus favorables aux transports collectifs qu’à Lyon (figure 21). Là où Stuttgart se distingue davantage, c’est en ce qui concerne les modes doux (figure 22), dans deux sens opposés qui sont finalement assez à l’image de ce qu’on peut constater dans d’autres villes allemandes 220 : d’abord par une faible représentation de la marche, puis par une part de marché du vélo venant contrarier l’idée selon laquelle il s’agit d’un mode de déplacement en voie de marginalisation ; Stuttgart vient ainsi non seulement démontrer que le vélo n’est pas fatalement condamné à une disparition inexorable mais qu’il est toujours susceptible de gagner des parts de marché dans les déplacements urbains.
Si on considère à présent les pratiques de mobilité des habitants de la commune centre et qu’on les compare à ce qui a cours dans le centre de l’agglomération lyonnaise (figure 25), on retrouve quelques-unes des particularités décrites à l’échelle de la région urbaine mais également une façon pour le centre de se démarquer de ses périphéries. Ainsi, par rapport aux
Source : enquête ménages déplacements, Verband Region Stuttgart
Source : Verband Region Stuttgart
habitants de Lyon et de Villeurbanne, ceux de Stuttgart marchent relativement peu, pratiquent beaucoup plus le vélo en dépit d’un site des plus contraignants et utilisent davantage les modes mécanisés, leur voiture comme les transports collectifs. Pour autant, le centre stuttgartois comme le centre lyonnais affichent une indéniable singularité au sein de leur organisations urbaines respectives. Cette singularité apparaît en outre relativement pérenne, dans le sens où l’on relève une certaine stabilité des pratiques de mobilité des habitants en l’espace de quinze ans (figure 26). Par conséquent, si les pratiques des habitants du centre ne changent guère, c’est qu’il n’en va pas de même pour ceux qui résident dans le vaste espace régional qui s’étend en périphérie sous la forme de sous-systèmes urbains intégrés. C’est sur ce territoire en effet que l’usage de l’automobile progresse le plus en gagnant de manière spectaculaire des parts de marché, tandis que la marche et les transports collectifs voient diminuer leur influence relative.
Cette distinction territoriale renvoie à l’avènement de formes d’organisation de l’espace génératrices de formes de mobilité moins diversifiées. « La période entre les années 1970 et 1993 a été caractérisée, dans le domaine des déplacements urbains dans la région de Stuttgart, par une augmentation sans précédent des flux en liaison avec l’étalement urbain et l’extension spatiale des marchés du logements et de l’emploi. Durant cette période, le nombre de communes étant placé dans l’orbite de Stuttgart est passé de 48 à 56 (Magdowski 1997). (…) Ce développement n’est pas uniquement dû à une croissance du nombre d’emplois dans la commune de Stuttgart ou à une augmentation de sa population active mais, plus largement, à une intensification des flux radiaux (entre communes de banlieue) et concentriques (de communes de banlieue vers la commune-centre). » 221 L’exurbanisation de populations, qui ont quitté la ville-centre mais qui continuent à y travailler, est notamment à l’origine d’un flot croissant de migrations alternantes qu’il devient de plus en plus compliqué d’écouler. Même les transports publics, pour lesquels ces migrants constituent pourtant une clientèle privilégiée, hésitent parfois à axer leur développement sur l’accueil de ces pendulaires qui, en accentuant les phénomènes de pointe sur le réseau, contribuent aussi à creuser le déficit. La réponse à ce problème passe assurément par une réflexion développée au niveau de la nouvelle institution régionale et par des actions de politique de déplacements mais aussi d’aménagement du territoire. En cela, l’existence de centralités secondaires ayant vocation à apparaître comme des pôles d’emplois attractifs constituent une opportunité qu’il peut être intéressant de conforter, à condition de coordonner leur développement avec une offre de déplacements qui ne les rende pas accessibles uniquement en automobile (figure 27). Car, avec l’évolution des flux pendulaires observée, c’est jusqu’au milieu des années 90 « dans les communes de banlieue non desservies par le réseau ferroviaire, [qu’on a surtout] constaté une augmentation de l’usage de la voiture particulière. » 222
Source : Bundesanstalt für Arbeit
Pour nos trois terrains, les divergences en matière de pratiques de mobilité se révèlent plus facilement interprétables entre Lyon et Lille qu’avec Stuttgart, pour laquelle les différences en matière de données et de périmètres invitent à une certaine prudence. Ainsi, sans disposer d’enquêtes "grands territoires" sur les déplacements des ménages, il n’est par exemple pas forcément évident de mettre en perspective les informations recueillies à l’échelle du Verband Region Stuttgart. Pour autant, des éléments d’analyse intéressants nous semblent ressortir de ce panorama d’ensemble : qu’il s’agisse des facilités de développement dont paraît bénéficier l’automobile dans l’agglomération lilloise, des distinctions dans les pratiques de mobilité des habitants du centre observées à Lyon et à Stuttgart ou encore de la difficulté plus générale à lutter contre la progression de l’automobile par une simple politique d’offre en transports collectifs, ces éléments procèdent d’une première base de réflexion territoriale sur les pratiques de déplacements.
En effet, compte tenu de la création récente du Verband Region Stuttgart (VRS), les données antérieures à 1990 ont été établies sur le périmètre de planification antérieur qui n’intègre pas l’ensemble du VRS puisqu’il ne retient pas le Kreis de Göppingen et exclut la partie du Rems-Murs-Kreis qui n’appartenait pas à l’ancien Nachbarschaftsverband… pour faire simple.
CEMT, Réduire ou repenser la mobilité urbaine quotidienne ?, Table ronde 102, Munich, 1996, p.9.
F. ASHER, 1995, op.cit., p.133.
Les chiffres recueillis par l’association des entreprises allemandes de transports sur un certain nombre de villes et de régions donnent les parts modales moyennes suivantes : 23% pour la marche, 13% pour le vélo, 56% pour la voiture particulière et 7% pour les transports collectifs (in Verband Deutscher Verkehrsunternehmen, Nahverkehr in der Fläche, Köln, 1994). L’enquête concernant la mobilité, réalisée en 1995 sur 123 zones du territoire allemand, n’infirme pas ces tendances de répartition modale, en estimant que 53% des déplacements étaient réalisés en Allemagne à l’aide de moyens de transport individuels motorisés, 12% par des transports collectifs et 35% en modes doux, dont 22% à pied (in CEMT, op.cit.).
M. WOLFRAM, "Le Verband Region Stuttgart et la nouvelle donne des déplacements urbains", in B. JOUVE (dir.), F. DI CIOMMO, O. FALTHAUSER, V. KAUFMANN, M. SCHREINER, M. WOLFRAM, op.cit., p.168.
M. WOLFRAM, op.cit., p.168.
Les flèches représentent les principaux flux pendulaires au sein du Verband Region Stuttgart, tandis que les cercles, dont la partie blanche indique la part d’employés résidant dans la commune, sont proportionnels au nombre d’emplois salariés offerts à destination.