Pour mieux comprendre ces rapports individus-automobile, un concept central s’impose de lui-même, celui de représentation. Il se définit comme le « produit et [le] processus d’une élaboration psychologique et sociale du réel » 232 . Les représentations mettent en relation trois éléments essentiels : le réel, qui est l’objet de la perception et la représentation ; le sujet psychologique avec ses déterminations propres ; le même sujet abordé dans sa dimension sociale, avec ses apprentissages et ses codes sociaux. Concrètement, la « représentation consiste soit à évoquer des objets en leur absence, soit lorsqu’elle double la perception en leur présence, à compléter la connaissance perceptive en se référant à d’autres objets non actuellement perçus. » 233 Les représentations sont donc « des reconstructions personnelles (c’est-à-dire qui intègrent les connaissances, le vécu de chacun, les dimensions psychologiques, physiques, physiologiques, sociales etc., des individus) d’objets qui sont absents de la réalité physique. » 234 En évoquant des objets absents perceptivement, elles permettent de reconstruire un environnement. Cette reconstruction est un processus de nature mental. On s’intéresse là à ce qui se trouve "dans la tête" des sujets, à la façon dont les individus ressentent un objet, à ce qu’ils en gardent comme trace et qui définit le vécu de cet objet.
Les représentations individuelles de l’automobile sont riches d’enseignements à plusieurs titres : en premier lieu, parce qu’elles ne sont pas qu’individuelles mais qu’il est possible de pratiquer des regroupements et de dégager des tendances d’ordre général ; ensuite parce qu’elles couvrent un champ d’investigation relativement large, des "représentations-connaissances" – c’est-à-dire les connaissances que les sujets ont d’un objet –, aux "représentations-comportements" – à savoir ce que les sujets disent faire par rapport à une situation donnée – ; enfin en raison du lien qui existe entre les représentations et les attitudes effectives des individus. La psychologue Patricia Fournier-Champelovier le résume d’ailleurs bien dans sa thèse sur Les représentations des conducteurs automobiles et leurs attitudes vis-à-vis des économies d’énergie : « les représentations sont un moyen par lequel nous pouvons étudier les connaissances que les individus ont d’un objet donné. Ces connaissances sont transformées, reconstruites pour devenir des représentations : c’est la façon dont l’individu s’approprie le monde qui l’entoure. (...) [C’est la raison pour laquelle] les représentations sont des processus de formation des comportements » 235 .
L’automobile, c’est un fait, est un élément de notre cadre de vie. En ce sens, elle se trouve intégrée dans nos modes de vie. D’ailleurs nous verrons dans les chapitres suivants qu’une partie importante de cette vie se trouve organisée autour d’elle, les déplacements bien sûr, mais aussi les villes, les modes de logement, d’achat… etc. Or, il nous semble que le rapport psychologique des individus à cet objet joue forcément un rôle dans cet état de fait et que les représentations constituent une porte d’entrée fort utile dans l’analyse de la place prise par l’automobile dans les organisations urbaines.
Jodelet, 1989, cité in G. Di Méo, 1991, op.cit., p.122.
J. Piaget, B. Inhelder, cités par A. BAILLY, B. DEBARBIEUX, "Géographie et représentations spatiales", in A. Bailly et al., op.cit., p.157.
P. Fournier-Champelovier, op.cit., p.145.
P. Fournier-Champelovier, op.cit., p. 146.