Signe d’une détermination qui n’est pas qu’individuelle, les représentations liées à l’automobile n’échappent pas à des thèmes récurrents. Les "poncifs" 246 les plus répandus en la matière renvoient immédiatement aux notions de plaisir, de puissance, de liberté ou d’indépendance. Là encore, nous verrons que la dimension technique ou utilitaire et la dimension symbolique se côtoient.
L’ancien M. Sécurité Routière, Christian Gérondeau, président de l’Union Routière de France et qui ne compte donc pas parmi les adversaires les plus acharnés de l’automobile, explique ainsi l’attrait pour ce mode de transport individuel : « les principales raisons du succès de l’automobile s’expriment sous les termes de liberté, de souplesse, de commodité, d’agrément, voire d’économie » 247 ; et de citer pour appuyer son propos un sondage réalisé par la SOFRES pour l’Union Routière de France dans lequel 88% des possesseurs d’automobile déclarent que celle-ci « est un élément important de leur liberté de vie », en raison de la plus grande souplesse de mobilité qu’elle est censée permettre – souplesse au niveau des horaires, des itinéraires et des destinations. Cette liberté, que la voiture particulière semble apporter à son propriétaire, est donc perçue ici d’une manière fonctionnelle, utilitaire, comme étant liée à la facilité, à la commodité de déplacement. Une autre enquête de juillet 1986 248 indique également que 94% des personnes interrogées s’accordent pour considérer la voiture comme « un moyen de transport indispensable », 77% affirment que « c’est un endroit où l’on se sent bien », pour 76% elle représente la liberté et pour 56% « un moyen d’évasion et d’aventure ». Là encore, la liberté apparaît comme un élément essentiel des représentations de l’automobile. Mais parallèlement, c’est son confort, son agrément intérieur plus que sa puissance qui sont attachés à son image. Enfin, une dernière indication nous semble intéressante : il s’agit de la prépondérance du sentiment que l’automobile est de manière générale un moyen de transport dont on ne peut se passer. Ces différents éléments confirment donc à la fois la récurrence de la notion d’automobile-instrument de liberté, insistent sur son caractère apparemment indispensable et introduisent une appréhension de la voiture en tant qu’espace confortable, « où l’on se sent bien ».
En approfondissant les rapports entre ces différents secteurs d’image, on s’aperçoit d’abord que les aspects "instrument de liberté" et "outil indispensable" sont en fait complémentaires. Comme le montre Patricia Fournier-Champelovier, il est d’ailleurs possible d’organiser grossièrement les représentations globales de l’automobile autour de ces deux pôles : d’une part la liberté et le plaisir, relatifs au fait que la voiture est avant tout un objet fonctionnel qui simplifie la vie ; d’autre part l’habitude et la dépendance, qui sont une conséquence du premier pôle, une sorte de revers de la médaille. « Par là même, ces résultats apportent des éléments d’information sur la place de l’automobile dans la société : une place prépondérante tant au niveau quantitatif (le moyen de transport privilégié) que qualitatif (habitude et dépendance) (...) ; la voiture apparaît comme le moyen habituel et pratique de déplacements des sujets interrogés. » 249 Les enseignements à tirer de cette situation peuvent être de deux natures : cela signifie que la voiture fait effectivement partie intégrante de notre mode de vie mais que « les bienfaits qu’elle peut apporter peuvent parfois, aussi, se transformer en dépendance. » 250 Il est ainsi raisonnable d’imaginer qu’il sera doublement difficile de changer les habitudes à son égard.
Cette bipolarité dans les représentations des automobilistes est essentielle. Si l’on s’y réfère, la voiture particulière permet d’abord de simplifier la vie, de la faciliter. On se situe là à un niveau essentiellement pratique. Dans le même temps, elle s’affirme comme une habitude qui génère une utilisation reflétant une attitude relativement proche de l’automatisme : la voiture est utilisée presque inconsciemment, sans discernement, l’habitude substituant en quelque sorte le réflexe à la réflexion. Ainsi, il semble que l’automobile soit bel et bien devenue un besoin ou en tout cas, et la nuance est de taille, qu’elle soit ressentie comme telle. La question qui nous intéresse mais à laquelle nous ne répondrons pas pour l’instant, est alors de savoir quelle est la nature de ce besoin : est-il primaire ou secondaire ? 251 Plus exactement par rapport à notre sujet, ce besoin est-il justifié par l’organisation et le fonctionnement des structures urbaines socio-spatiales ? Ou alors la sphère d’utilisation de l’automobile dépasse-t-elle le cadre de ces besoins primaires pour investir des champs où l’on peut estimer qu’elle ne s’impose plus voire même que son usage n’est plus rationnel ?
Ces lieux communs ne sont d’ailleurs pas à considérer dans un sens purement péjoratif, ne serait-ce que parce qu’ils sont extrêmement riches en enseignements. Le fait de manquer d’originalité peut parfois être un élément particulièrement instructif.
C. GERONDEAU, op.cit.,p.17.
P. FOURNIER-CHAMPELOVIER, op.cit., en évoquant une enquête rapportée par G. Labiale, p.64.
P. FOURNIER-CHAMPELOVIER, op.cit., p.232.
P. FOURNIER-CHAMPELOVIER, op.cit., p.229.
Au sens de P.H. Chombart de Lauwe, les seconds montrant la part du désir, des aspirations de groupes sociaux différenciés.