Chapitre 4. L’autoroute ou la conquête de l’espace de la monomodalité automobile

Dans le chapitre précédent, une première approche du territoire automobile nous a donné à voir par moments la singularité d’une voirie spécialisée, dédiée à la voiture, quasiment monomodale 451 et aux caractéristiques spatiales fortes : étanchéité, connexion limitée avec l’environnement et importance des effets de coupure. A cet égard, l’autoroute, voirie dédiée à la monomodalité automobile s’il en est, constitue une infrastructure au service du réseau de mobilité automobile. En participant activement à l’émergence d’un tel réseau, elle constitue un rouage fondamental du système automobile cher à Peter Hall et à Gabriel Dupuy. Car, outre le fait qu’elle supporte et facilite des flux automobiles importants, elle adhère sans retenue à une valeur centrale du système, la vitesse. Le production de vitesse 452 implique l’édification de réseaux simplifiés, aux nœuds limités et ne s’ouvrant sur l’extérieur qu’en quelques points d’accès porteurs à cet égard de fortes implications spatiales. La couverture autoroutière du territoire et sa place dans le système automobile confortent sans aucun doute le fait que « la carte de nos réseaux de transport peut être lue aujourd’hui comme l’inscription sur le sol de la valeur incontestée de la vitesse et du temps gagné, comme l’affirmation de la priorité de la rentabilité économique. » 453

Ces réseaux rapides semblent prendre le pas sur les réseaux plus traditionnels tandis que leur potentiel de structuration spatiale ne se dément pas, bien au contraire : il touche l’espace dans son ensemble, l’espace urbain ne faisant pas exception à la règle. A une plus petite échelle, l’autoroute occupe une place de choix dans la diffusion et l’étalement du processus d’urbanisation tandis qu’elle introduit des disparités et des discontinuités spatiales à grande échelle. Dans ce système, les réseaux traditionnels conservent néanmoins leur utilité, par leur densité spatiale et la capacité de desserte fine qu’ils assurent. La complémentarité de ces deux réseaux – rapide et traditionnel – d’infrastructures permet l’organisation « d’un vaste complexe de réseaux hiérarchisés » 454 . L’outil indispensable de cette configuration territoriale reste évidemment « l’automobile dans le garage, comme un terminal offrant à tous l’accès à un réseau (...) qui, sortant de la ville héritée, rejoint les grandes voies et les autoroutes pour mener aux stations de loisirs, rattrape les routes de campagne pour relier fermes et villages, jusqu’aux dernières extrémités du territoire. » 455 La ville n’est qu’un point du parcours, qu’un "lieu" relié à ce réseau mais certainement pas le moindre, certainement pas celui qui, dans son évolution, doit le moins à l’infrastructure autoroutière.

Si nous n’entendons évidemment pas épuiser le sujet bien trop vaste des autoroutes et de leur rapport à l’espace, nous nous devons, dans notre entreprise qui consiste à souligner les places fortes de l’automobile dans l’espace urbain et à dégager un territoire pour ce moyen de transport, d’étudier les implications territoriales de cette infrastructure en ayant conscience qu’un « réseau de transport ne peut être réduit à la carte que l’on peut dresser de ses infrastructures, car celle-ci ne montre rien de ses modes de fonctionnement. » 456 Pour cela, nous tendrons dans un premier temps à nous abstraire de nos territoires d’études locaux pour appréhender de manière plus globale le pouvoir de transformation spatiale attaché à l’automobile, avant de mieux revenir ensuite sur la façon dont nos trois agglomérations ont inscrit cette infrastructure dans leur production d’un territoire de l’automobile-reine.

Notes
451.

En associant dans une même catégorie véhicules automobiles légers et poids-lourds.

452.

Car la vitesse est d'abord produite, avant d'être un rapport objectif entre espace et temps.

453.

F. PLASSARD, "Les réseaux de transport et de communication", in A. Bailly, R. Ferras, D. Pumain (dir.), op.cit., p.537.

454.

A. BONNAFOUS, "Les régulations, les nouveaux équilibres : la régulation économique", in Se déplacer au quotidien dans trente ans, op.cit., p.192.

455.

G. DUPUY, 1995, op.cit., p.97.

456.

F. PLASSARD, 1992, op.cit., p.528.