4.2.2. L’ère des radiales dans les politiques urbaines

4.2.2.1. Les autoroutes lyonnaises

Le carrefour autoroutier lyonnais

L’agglomération lyonnaise est bien dotée en matière de réseau autoroutier. Avec plus de 35.000 véhicules légers de moyenne journalière en 1991, l’axe Lyon-Aix-Marseille (A.7) est le premier axe autoroutier de France alors que l’axe Paris-Lyon (A.6) accueille un peu moins de 30.000 véhicules, ce qui le place en cinquième position au niveau national.

Ce statut de grand carrefour routier ne s’est toutefois pas révélé avec l’autoroute. Porte des Alpes, point de passage obligé entre le Nord et le Midi, un texte célèbre de Strabon en fait déjà le centre de l’étoile routière structurant le pays : « Lugdunum occupant le centre de la Celtique, dont cette ville est en quelque manière la citadelle par sa situation au confluent des fleuves et à proximité des différentes parties du pays, Agrippa en a fait le point de départ des grandes routes. » 529 Cette étoile routière, par l’importance qualitative des liaisons qu’elle assure, rayonne à nouveau sur le territoire national au XVIe siècle. « Lyon s’est ainsi développée comme une ville de contact entre des régions et des pays, et comme un point de croisement des routes venant des Alpes et de Genève et se dirigeant vers la France. » 530

La transition vers l’étoile autoroutière s’amorce vers 1935 avec le projet d’autostrade Lyon-Saint-Etienne mais débute véritablement durant les 30 Glorieuses. C’est en effet en 1960 que le plan directeur d’aménagement du réseau routier retient les deux liaisons d’intérêt national précédemment citées, l’A.6 et l’A.7. Ces décisions concernent l’agglomération mais sont prises de façon centralisée et selon une logique politique essentiellement comptable. Les liaisons vers l’est suivront, en direction de Chambéry et Grenoble (A.43) puis, plus tard, de Genève en traversant la plaine de l’Ain et en offrant un accès à Bourg-en-Bresse (A.42) : ces deux tracés desservent des pôles régionaux mais convoitent également les flux à destination de la Suisse et de l’Italie. Avec la réalisation entre-temps de l’A.47 vers Saint-Etienne, se dessine une étoile autoroutière lyonnaise à 6 branches 531 marquée par une forte dissymétrie à l’avantage des débouchés vers l’est.

Pour autant, le réseau d’autoroutes qui dessert l’agglomération n’est pas exceptionnellement dense. En fait, il est surtout remarquable en raison de la nature des liaisons qu’il assure, dont quatre sont de niveau national voire européen. Ceci explique d’ailleurs qu’il n’y ait pas véritablement de réseau autoroutier assurant une desserte des pôles régionaux indépendamment du réseau national, mais une étoile imbriquant profondément le réseau national ou international et le réseau régional et au centre de laquelle la cité rhodanienne affirme à la fois son statut de capitale régionale et ses ambitions internationales.

En fait, seule la liaison avec Saint-Etienne (A.47) se situe, pour l’instant, à l’écart de cette logique nationale ou internationale : avec 20.800 déplacements journaliers en voiture particulière entre les deux villes – alors que l’autoroute accueille entre 60 et 50.000 véhicules/jour selon ses tronçons –, Saint-Etienne constitue la plus grosse liaison régionale avec Lyon (figure 34). On peut cependant noter qu’en tant qu’artère principale des relations interurbaines régionales, cette autoroute non concédée et donc gratuite tient physiquement plus d’une voie express de facture peu récente ; preuve que la priorité de fait à l’échelle de la région ne permet pas encore de garantir la qualité et la mise à niveau de l’infrastructure, en tout cas qu’elle ne constitue pas une condition suffisante. Le processus de métropolisation et l’avènement d’une grande région lyonnaise y concourront peut-être dans un avenir proche, néanmoins la situation actuelle illustre bien le fait que, « paradoxalement, les avantages de la situation de la ville sont peut-être plus clairement reconnus à l’échelle nationale ou européenne qu’à celle de la région. » 532

Figure 34 - Déplacements en véhicule léger entre les principales agglomérations rhônalpines (trajet d’agglomération à agglomération, deux sens confondus, en 1995)
Figure 34 - Déplacements en véhicule léger entre les principales agglomérations rhônalpines (trajet d’agglomération à agglomération, deux sens confondus, en 1995)

Source : CETE de Lyon

En règle générale, le réseau autoroutier de l’agglomération lyonnaise se caractérise donc par un mélange important des trafics locaux, régionaux, nationaux et européens. Or, dans ce cadre, l’échelle locale n’est pas la moins importante : si l’on raisonne en termes purement quantitatifs, les autoroutes situées dans le périmètre de l’agglomération, et notamment celles qui assurent des liaisons d’intérêt national, sont avant tout utilisées localement 533 . Le carrefour autoroutier lyonnais est ainsi utilisé à des fins de fonctionnement interne, ce qui influe évidemment sur la dynamique d’extension urbaine. Cette fonctionnalité de l’infrastructure apparaît de manière évidente lorsqu’on étudie les trafics sur l’A.6, l’A.7 et surtout sur l’A.43, l’autoroute la plus chargée de l’agglomération.

Les charges de trafic de l’A.43 sont en rapport étroit avec la structure urbaine : on passe de 130.980 véhicules/jour à l’approche du périphérique à 60.190 après l’ultime bifurcation vers l’aéroport de Satolas ; les études à l’heure de pointe du soir confirment une utilisation de l’A.43 liée à la fois aux pôles commerciaux de la ZAC du Champ du Pont et à la desserte de l’est de l’agglomération (figure 36). Ce n’est donc pas la moindre des fonctions de cette grande liaison que d’assurer une irrigation partielle mais efficace de la partie orientale de l’agglomération. Les acteurs privés de l’aménagement envisagent d’ailleurs cette réalité comme un truisme. Comme l’explique Christian Montès, « alors que les collectivités voient l’Est comme un espace encore à aménager, il est appréhendé par les investisseurs essentiellement sous l’angle de l’accessibilité. Ils considèrent donc qu’il s’agit d’un espace déjà équipé, où ils peuvent et doivent s’installer. » 534

L’A7 au sud de Lyon et l’A.6 au nord constituent des cas similaires (figure 35) : l’A.6 connaît une première poussée de trafic juste avant la bifurcation de l’A.46 Nord – d’environ 56.000 véhicules/jour à plus de 67.000 –, puis une seconde sur la section qui mène au tunnel de Fourvière – d’un débit journalier retombé à moins de 32.000 véhicules à plus de 90.000 ; de même l’A.7 passe de moins de 58.000 véhicules/jour à la gare de Vienne à plus de 82.000 après le croisement avec l’A.74 et l’A.46 Sud, puis à 110.000 à son arrivée dans l’ancienne capitale des Gaules.

Figure 35 - Trafic autoroutier dans l’agglomération lyonnaise en 1997 (en véhicules/jour)
Figure 35 - Trafic autoroutier dans l’agglomération lyonnaise en 1997 (en véhicules/jour)

Source : DDE du Rhône

Figure 36 - Analyse de trafic sur l’A.43 à Bron Parilly (en véhicules/jour à l’heure de pointe du soir en 1994)
Figure 36 - Analyse de trafic sur l’A.43 à Bron Parilly (en véhicules/jour à l’heure de pointe du soir en 1994)

Source : SYTRAL, document de travail pour le PDU de l’agglomération lyonnaise de 1997

Mais, en fait, les rapports de force entre types de trafic ne peuvent se mesurer de manière exclusivement quantitative. La question du transit se pose toujours dans l’agglomération avec autant de force et de façon aussi épineuse, particulièrement pour les autoroutes qui accueillent l’essentiel de ces flux. Certes, les masses de trafic en jeu peuvent paraître marginales : au plus, moins de 12.000 véhicules journaliers 535 transitent entre 6h et 20h de l’A.6 à l’A7, environ 3.500 entre l’A.6 et l’A43, moins de 2.400 entre l’A.43 et l’A.47, tandis que les autres transits ne franchissent pas la barre des 2.000. Mais, en dépit des nouvelles liaisons créées au fil des ans, la pression du transit demeure toujours aussi forte et l’enjeu reste de taille, en raison des pointes de trafic enregistrées lors des grandes migrations estivales et hivernales, mais aussi des pouvoirs respectifs des agents concernés et des implications des décisions nationales à l’échelle locale. Le cas lyonnais est, à cet égard, exemplaire.

Notes
529.

in G. REVERDY, F. ROUILLE, Histoire des routes lyonnaises, Editions Lugd, Lyon, 1994, p.6.

530.

M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.8.

531.

Car on considère les autoroutes vers Grenoble et Chambéry comme deux entités distinctes, même si elles fusionnent à l’approche de l’agglomération lyonnaise.

532.

M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.34.

533.

Par localement, nous entendons à l’échelle de l’agglomération. Evidemment, à l’échelle de la région urbaine, ces conclusions sont encore plus évidentes.

534.

1992, op.cit., p.445.

535.

8.270 voitures particulières et 3.553 poids-lourds en 1990.