Les autoroutes "lyonnaises" en panne

Dans une agglomération lyonnaise qui a vu durant ces dix dernières années le trafic sur toutes ses grandes voiries autoroutières augmenter d’environ 10.000 véhicules par jour, deux grands projets d’autoroute radiale continuent aujourd’hui à faire l’actualité : il s’agit de l’A.89 Lyon-Balbigny 566 et de l’A.45 Lyon-Saint-Etienne (figure 39).

Soumise à enquête publique en juillet 1997 mais demeurant fortement contestée dans sa partie orientale (à travers le sud du vignoble du Beaujolais, les Pierres Dorées, la Plaine des Chères), l’autoroute Lyon-Balbigny a d’abord été abandonnée en 1999 par le ministre des transports Jean-Claude Gayssot, officiellement en raison des difficultés environnementales rencontrées. Face à une situation sur laquelle ils n’ont pas forcément le contrôle qu’ils souhaiteraient, les responsables politiques locaux et régionaux ont alors regretté une infrastructure qui aurait conforté l’importance du carrefour autoroutier lyonnais, tout en rééquilibrant son orientation en ouvrant un débouché vers l’ouest. Ceux qui se sont en revanche félicité de son abandon ont justifié leur position par un souci de protection des territoires traversés ou, plus rarement, par une réorientation globale de la politique de transports.

A nouveau inscrite au schéma d’infrastructures arrêté par le CIADT en 2003, l’A.89 a reçu un avis favorable du Conseil d’État en raison du caractère structurant de cette liaison à l’échelon national. Cependant, elle attend encore sa déclaration d’utilité publique et un consensus plus large des collectivités locales en sa faveur, pour être véritablement relancée dans une version modifiée, davantage en prise avec le projet de contournement ouest et moins connectée au reste du réseau d’agglomération. Pour autant, les problèmes auxquels elle se trouve confrontée aujourd’hui demeure les mêmes qu’elle connaissait hier. Outre ses difficultés d’inscription dans l’espace, elle pâtit notamment d’un coût de réalisation estimé à 25 millions d’euros du kilomètre (164 millions de francs) 567 et d’une vocation affirmée d’aménagement du territoire, autrement dit de faibles prévisions de trafic estimé selon les sections entre 15 et 18.000 véhicules par jour. 568 Or, le principe d’adossement, qui devait permettre d’assurer la construction de cette infrastructure peu rentable, vient d’être une nouvelle fois dénoncé par la commission européenne. Pour être mené à bien, ce projet reposera donc sur un engagement financier important des collectivités publiques qui pourrait atteindre, selon plusieurs estimations, 1,2 milliards d’euros (8 milliards de francs) à verser en guise de subvention d’équilibre sur un montant total de 1,6 milliards (10,5 milliards de francs). Plus que sur le soutien des collectivités locales, la réalisation de cette partie de l’A.89 devra alors vraisemblablement compter sur l’investissement de l’État pour se concrétiser et venir compléter, dans l’ouest de l’agglomération lyonnaise, un réseau programmé d’infrastructures autoroutières d’intérêt national et régional aujourd’hui pléthorique.

Figure 39 - Les grands projets routiers de l’aire métropolitaine lyonnaise
Figure 39 - Les grands projets routiers de l’aire métropolitaine lyonnaise

Source : DRE Rhône-Alpes

L’avenir de l’A.45 ne semble aujourd’hui guère mieux assuré. Alors que le projet mûrissait lentement dans les esprits, il a d’abord été retardé une première fois par Jean-Claude Gayssot en 2000, lorsqu’il a décidé de relancer des études sur les possibilités d’élargissement de l’actuelle A.47 et surtout sur le renforcement des alternatives ferroviaires, notamment aux heures de pointe. L’A.45, qui se trouvait encore dans une phase d’études préliminaires, est alors reléguée à une troisième place, qui doit sans doute autant au "climat" général de la construction autoroutière du moment qu’aux données locales. Il faut dire que cette autoroute régionale pâtit d’une position délicate, puisqu’elle ne peut être envisagée que comme une alternative payante à une A.47 certes victime de conditions de circulation précaires et difficiles aux heures de pointe mais conservant sa gratuité.

Le projet n’en est pas moins relancé par le nouveau ministre des transports, qui engage en 2003 avec les services de l’État des démarches d’études et de définition du tracé. Il est vrai qu’entre-temps, pour soutenir ce projet à l’efficacité contestée et à la rentabilité improbable, plusieurs institutions locales – en l’occurrence, dans un bel ensemble, les exécutifs régionaux et départementaux, les villes de Lyon et de Saint-Etienne ainsi que leurs chambres de commerce et d’industrie – n’avaient pas hésité à évoquer un possible financement par emprunt d’une voie express à péage reprenant le même tracé. Cette attitude est d’ailleurs éminemment révélatrice de la place tenue par les grandes infrastructures routières de liaison dans l’imaginaire collectif des décideurs : en soignant des maux économiques qui seraient dus aux insuffisances d’équipement, l’autoroute constituerait une panacée en matière de désenclavement ; symbole d’ambitions tout autant qu’outil fonctionnel, elle est alors perçue comme le marquage territorial d’une réalité spatiale que l’on voudrait voir émerger. Les motivations des édiles lyonnais touchent évidemment au rayonnement de l’agglomération, mais également à son rééquilibrage à l’ouest, alors qu’un embryon de voie rapide, l’A.450, y est déjà construit. Mais ce rééquilibrage, thème récurrent de l’aménagement lyonnais, se heurte à des résistances locales qui tendent à se focaliser sur les projets d’infrastructures routières d’envergure. Si l’inscription des autoroutes dans l’espace rencontre systématiquement ce type d’oppositions, ces dernières se manifestent avec une telle acuité dans l’ouest lyonnais que, jusqu’à présent, les responsables politiques successifs n’ont pas su, ou pas voulu, y imposer d’importants aménagements.

La réalisation de l’A.45 se trouve donc confrontée à des réticences aussi bien nationales que locales et à des difficultés aussi bien financières que territoriales. A tel point qu’aujourd’hui, son avenir s’apparente davantage à une course jalonnée d’obstacles qu’à une autoroute dégagée. Dans ce cadre, il n’est pas certain que ses partisans les plus fervents puissent la soutenir efficacement. C’est sans doute pourquoi, devant l’évidence des difficultés rencontrées, les maires de Lyon et de Saint-Etienne viennent de lancer une nouvelle initiative commune pour préconiser cette fois, en attendant la construction d’une nouvelle autoroute, l’élargissement de l’ancienne A.47.

Que ce soit pour l’A.89 ou l’A.45, leur faisabilité semble être à la fois une question financière nationale et politique locale. Deux aspects, qui sont pourtant objectivement au cœur du problème, transparaissent relativement peu dans le débat public : l’influence de ces infrastructures sur le développement urbain et l’orientation générale qu’elles donnent à la politique de déplacements ; ainsi, la question pourtant pertinente de la compatibilité de l’A.45 avec les orientations du PDU lyonnais, qui prévoit un gel des pénétrantes autoroutières, apparaît comme un sujet trop sensible et polémique pour qu’il puisse être réellement évoqué en place publique.

Notes
566.

qui doit assurer la continuité d’une liaison entre Lyon et Bordeaux.

567.

D’après des estimations de 1997, fixant le coût de ce tronçon à 10,5 milliards pour 65 km, soit un coût kilométrique environ trois fois supérieur au coût moyen.

568.

Selon l’estimation de la DDE. Les calculs faits par le CETE lors de l’avant-projet sommaire présentaient plutôt une fourchette de 8 à 14.000.