La persistance des radiales dans la métropole lilloise

Parce qu’il s’avère moins tranché, le cas de Lille est véritablement révélateur du conflit qui s’exprime entre deux perceptions des infrastructures automobiles dans l’espace urbain, et ce faisant entre deux attitudes à l’égard des radiales autoroutières : selon les points de vue, on peut considérer qu’on est ici en présence soit d’une grande agglomération suffisamment dotée, soit d’une métropole fortement demandeuse, ce qui pousse à un choix entre un gel des radiales autoroutières et une volonté de densification du réseau de pénétrantes. Or, à l’heure actuelle, il n’existe pas à Lille d’opposition de principe à la seconde solution.

Le Schéma Directeur continue de préconiser pour « la métropole lilloise des pénétrantes urbaines fortes et efficaces à moyen terme » 578 , même si elles ne sont pas forcément autoroutières. Quant au PDU, bien qu’inachevé, il ne s’est pas engagé dans une voie radicalement opposée. En relevant que « la croissance de la circulation automobile touche essentiellement les voies de pénétration à la métropole et la périphérie, alors que Lille connaît une stabilisation de la pression de l’automobile en centre-ville » 579 , son prédiagnostic accrédite implicitement l’idée qu’il s’agit de deux phénomènes dissociés et donc qu’il est possible de développer les voies de pénétration et les radiales sans influer outre mesure sur la circulation dans les quartiers centraux de l’agglomération. Bref, même s’il faut noter une même remise au goût du jour d’anciens projets d’infrastructure, les similarités qui prévalaient auparavant avec la situation lyonnaise pâtissent de l’évolution actuelle. Les décisions mises en œuvre lors de la production exogène du territoire de l’automobile varient sensiblement lorsqu’elles ont pour moteur principal la dynamique interne du système de mobilité.

Entre Lille et Lyon, une conjonction de facteurs concourt à ce décalage dans l’évolution. D’abord soulignons encore une fois à quel point, dans une métropole nordiste qui garde encore les stigmates de la crise, les infrastructures automobiles apparaissent comme la condition et le symbole du développement économique. Ensuite, la structure urbaine multipolaire de la métropole lilloise conjuguée à la faible densité de son centre donne le sentiment que les flux automobiles sont plus facilement absorbables que dans le cas d’un espace central unifié et dense, pour lequel la massification pose des problèmes autrement plus cruciaux. Fort de cette marge de manœuvre, la densification du réseau de radiales autoroutières séduit toujours en dévoilant ses plus beaux atours : elle permet de mieux irriguer un territoire régional fortement urbanisé mais peu structuré par les autoroutes existantes et d’améliorer l’accès aux pôles d’emploi lillois, tout en résorbant, au moins temporairement, des points noirs de circulation qu’on explique encore rapidement par les insuffisances du réseau de voirie. Or ces points noirs, s’ils résultent pour partie d’une réalisation tronquée des plans, ne peuvent être durablement combattus par une logique incitant à une convergence accrue des flux automobiles, a fortiori lorsque l’étalement des densités urbaines et la concentration des fonctions métropolitaines atteignent le degré qui est le leur dans la région urbaine de Lille. Cependant, dernière dissemblance, les lieux centraux de convergence et de passage des flux ne font pour l’instant pas l’objet de suffisamment d’attention et ne sont pas assez valorisés socialement pour inciter à une reconsidération du territoire de l’automobile.

L’A.24, prolongeant l’A.16 à partir d’Amiens, est un de ces projets inscrits dans le SDAU il y a près de trente ans et qui, par son inscription au schéma directeur autoroutier national, apparaît encore dans le nouveau document métropolitain de planification. Longtemps bloquée par la présence des écologistes à la tête du Conseil Régional, sa réalisation est toujours aujourd'hui incertaine et controversée. Inscrite au schéma national d’infrastructures de 2003, elle a récemment fait l’objet d’un débat public, qui lui a donné une nouvelle fois l’occasion de changer de nom – on parle désormais de la liaison autoroutière Amiens-Lille-Belgique (LAALB) –, et continue à susciter l’intérêt de nombreux responsables locaux, en raison notamment de la multiplicité de ses fonctions. Destinée à doubler l’A.1, cette infrastructure d’envergure nationale et internationale faciliterait les liaisons entre l’ouest du pays minier et la métropole lilloise, participant alors à l’organisation d’une région urbaine de type mégalopolitain au sein duquel deux conurbations, l’agglomération de Lille-Roubaix-Troucoing et la nébuleuse minière, tendent déjà à se rejoindre. Puis, comme il s’agit en réalité de l’ex-A.1 bis, sa réalisation serait à même d’améliorer les conditions de traversée de l’agglomération, car elle en constituerait un contournement par le nord pouvant absorber une partie du trafic de l’A.1. C’est en fait à cette dernière échelle que son utilité est la plus discutée. Beaucoup estiment que si elle s’impose effectivement jusqu’à sa jonction avec l’A.25, elle devrait ensuite s’effacer devant un grand ring transfrontalier plus éloigné. Néanmoins, le Schéma Directeur n’exclut pas à l’horizon 2015 l’achèvement de sa section reliant l’A.25 et l’A.22 ainsi que l’adjonction d’une pénétrante nord-ouest connectée sur le boulevard périphérique de Lille, rajoutant encore à l’ambiguïté d’un tel projet. Quoi qu’il en soit, l’A.24 est envisagée en supplément de l’A.1, donc sans remettre en question la traversée autoroutière de la métropole.

Ce n’est cependant pas le seul élément qui met à jour les difficultés des édiles lillois à contester les dogmes porteurs du territoire de l’automobile–reine, dont l’extension est soutenue par des dynamiques fortes. Que ce soit la construction de nouveaux échangeurs sur l’A.27 et l’A.23 – destinés à désenclaver plusieurs communes rurales du sud-est –, le "boulevard médical" de Lille – ancienne liaison Lille-Lens, pensée pour soulager l’entrée sud de Lille et organiser les déplacements d’un secteur difficile quitte pour cela à traverser une ZUP où les terrains sont réservés depuis longtemps mais où les oppositions restent fortes – ou l’aménagement de la RN41 Lille-Béthune à 2x2 voies – afin d’assurer une relation plus efficace avec le sud-ouest de la métropole –, les exemples ne manquent pas qui démontrent la valeur attachée à l’accessibilité automobile et la persistance de la volonté d’adapter le réseau de voirie à la croissance du trafic.

Aujourd'hui, ces projets semblent toutefois devoir s’accompagner de la réalisation de voies de contournement. Pour autant, cette évolution ne révèle guère l’émergence d’une volonté politique locale désireuse de ne plus céder systématiquement au territoire de l’automobile, dans la mesure où à Lille, si on assiste comme ailleurs à l’émergence d’un territoire auto-produit, on n’a pas encore totalement renoncé au produit-territoire.

Notes
578.

Syndicat Mixte pour la révision du Schéma Directeur de l’Arrondissement de Lille, 2002, op.cit., p.160.

579.

CETE Nord-Picardie, 1997, op.cit., p.23.