« Au niveau mondial, Jean Bastié et Bernard Dézert notent une tendance générale à la réalisation de ceintures routières à moyenne distance, 20 à 40 km du centre selon l’importance de l’agglomération » 588 . En France actuellement, il n’est pas d’agglomération importante qui ne s’engage dans le bouclage de son périphérique, la construction d’une rocade ou la réalisation d’un contournement. Bref, les projets visant à une meilleure organisation des flux automobiles around towns sont indubitablement à la mode et s’imposent comme un nouveau paradigme de la pensée dominante en matière de grandes infrastructures.
A cet égard, c’est avec justesse qu’au début des années 90 Christian Montès notait que « la politique actuelle veut finalement seulement construire une partie de ce qui est prévu depuis 30 ans. » 589 Car ces projets de rocade et de contournement ne sont en fin de compte que la remise au goût du jour de propositions datant du début des années 60, de la phase de diffusion massive de l’automobile, alors qu’en ce qui concerne les périphériques il faut souvent remonter plus loin encore. En effet, la planification urbaine des Trente Glorieuses prévoyait autant la réalisation d’un réseau radial que de grandes infrastructures de contournement : le Plan d’Urbanisme Directeur (PUD) de Lyon affirmait par exemple que « les projets de voirie tendent à faciliter le contournement de l’agglomération et sa traversée » 590 . En fait, cela confirme qu’en matière de déplacements automobiles, la plupart des éléments du choix actuel datent de la période où l’on pensait à adapter la ville à ce mode de transport. Seulement les préférences affichées à l’époque, ainsi que les contraintes du moment, ont opéré un tri sélectif dans la mise en œuvre des plans pléthoriques qui avaient été élaborés.
Alors qu’aujourd'hui on observe une réactivation de nombre de ces projets qui n’ont pas été réalisés, voire qui ont parfois été abandonnés entre-temps, on pourrait être tenté de voir dans ce décalage temporel la simple révélation de l’existence d’un ordre, autant que de priorités, dans une entreprise qui vise à la réalisation complète des schémas originels. Leur achèvement apparaîtrait alors nécessaire au bon fonctionnement du système urbain de déplacement automobile. Si on peut estimer largement discutable la dimension monofinaliste que cela impliquerait dans l’enchaînement des décisions, il est en tout cas relativement aisé d’expliquer les différences de temps de maturation propre à chaque type d’infrastructure. Le type de territorialité 591 et le système de concession ont d’abord favorisé la réalisation de liaisons interurbaines, alors que le contournement – mais aussi parfois la desserte – des agglomérations urbaines était négligé. Enfin, à l’échelle urbaine, ainsi que nous l’avons précédemment développé, on a privilégié de manière quasi systématique la traversée, le transit interne et la pénétration de l’automobile dans la ville.
Notre approche de la question nous a conduit à expliquer cette situation par l’effet surdéterminant de la conjonction de la réalité urbaine de l’époque et d’une idéologie entièrement favorable à la voiture. Un territoire pour l’automobile a été ainsi produit en fonction des lieux qui exprimaient une forte demande d’accessibilité, reléguant au second plan la réalisation d’infrastructures non radiales. Cette orientation unidirectionnelle a néanmoins engendré ses propres limites car, avec la croissance de la mobilité automobile, le territoire constitué n’a rapidement plus suffi à assurer dans des conditions optimales l’accessibilité au centre et son extension s’est heurtée à des résistances de plus en plus vives dans cette partie de l’agglomération.
Ce précédent nous amène logiquement à penser que si on entreprend de privilégier aujourd'hui la réalisation de nouvelles infrastructures dans les périphéries urbaines plutôt que vers le centre originel, ce n’est pas uniquement afin de remédier aux dysfonctionnements engendrés par l’application incomplète des plans mais parce que cette évolution se fait en adéquation avec une nouvelle donne urbaine et qu’elle répond à de nouveaux enjeux.
cité in J.M et P. BENOIT, 1995, p.119.
C. MONTES, 1992, op.cit., p.281.
ibid., p.262.
En cela, nous nous référons à la typologie construite par Gabriel Dupuy, qui parle notamment de territoire rurbain de l’automobile en France pour souligner l’importance des liens qu’il permet de maintenir entre les citadins et la ruralité.