L’évolution spatiale du territoire de l’automobile-reine est ainsi grandement affectée par des mutations urbaines qu’elle a contribué à porter. Avant d’établir ces interactions, rappelons simplement l’essentiel de ces mutations : une population dont les choix de localisation ont gagné en indépendance par rapport au lieu de travail, concourant à un développement important des deuxièmes et troisièmes couronnes périphériques des grandes agglomérations tandis que le centre connaît dans le même temps un regain d’attractivité ; même si c’est à un degré moindre, cette concurrence de l’espace central par les périphéries urbaines est également de mise pour les activités économiques attirées par des grandes métropoles dont l’aire d’influence s’élargit.
Afin de maintenir leur cohésion, ces espaces urbains sont alors plus que jamais subordonnés « au bon fonctionnement d’infrastructures et d’équipements de haute technicité. Les transports en commun (...) mais aussi les autoroutes, les réseaux divers sont devenus des systèmes dans lesquels le moindre grain de sable, la plus petite panne peuvent avoir des répercussions très importantes sur l’ensemble de l’agglomération. » 592 Tous les lieux de ces organisations urbaines cherchent à rester accessibles et attractifs. Néanmoins, selon les espaces, des besoins différenciés s’expriment et cela se traduit en matière d’infrastructures routières.
« Le modèle périurbain doit pour l’instant s’accommoder d’autoroutes gratuites mais rares et encombrées. Enfin les autoroutes dites de dégagement supportent encore une part importante du trafic des territoires suburbains » 593 , si bien qu’« on voit apparaître de nouvelles congestions sur le réseau autoroutier ou à ses débouchés ; celles-ci ont tendance à croître assez rapidement. » 594 L’irrigation des espaces périurbains devient alors une priorité d’autant plus que leur développement doit beaucoup à l’automobile et que les alternatives en matière de transport y apparaissent globalement faibles. A l’inverse, la volonté de maintenir l’attractivité des espaces denses impose des efforts plus orientés sur les questions de cadre de vie, consistant à protéger davantage les tissus urbains des flux automobiles. Dans la mesure où l’offre en transports collectifs apparaît crédible, attractivité et accessibilité peuvent y être conciliées et, pour ce faire, l’accent est mis autant sur la sélection des trafics que sur la limitation de l’extension des infrastructures automobiles. L’intérêt de chaque type de trafic automobile pour la zone est questionné, surtout lorsque l’espace y est rare et valorisé. « L’exclusion du trafic de transit par des contournements, c’est-à-dire la séparation des circulations locales et générales est désormais une règle bien établie. » 595 Cette recherche d’une répartition spatiale plus appropriée est une révolution dans le sens où elle admet que tous les flux n’ont pas la même valeur et où elle met fin à l’utopie égalitariste en la matière. Cette réflexion sur les types de trafic, sur leur rôle et sur leur place, introduit alors dans l’approche du fonctionnement urbain une différenciation entre une automobile à forte valeur ajoutée et une automobile parasite.
Dans cette perspective, « les ceintures jouent un rôle important de liaison entre les axes radiaux et par conséquent d’évitement du centre (…) mais aussi de liaison entre les banlieues. » 596 Les infrastructures censées organiser le traffic around towns remplissent donc une double fonction d’irrigation de l’agglomération et de contournement du centre, deux volets indispensables à la compréhension de la dynamique territoriale contemporaine. Pour Lyon, deux experts du SYTRAL estimaient ainsi, au début des années 90, que « la mise en place d’un système complet de contournements routiers est essentielle tant pour protéger le centre et la zone centrale que pour faciliter les déplacements rapides en périphérie. » Ces réalisations s’accompagnent également d’une réflexion sur la place des différents types de trafic. « Il est en effet tout à fait anormal que quotidiennement, des flux de voitures transitent au cœur même de l’agglomération, s’appropriant ainsi un espace rare et manifestement destiné à un autre usage. Le bouclage nord du périphérique et la prochaine réalisation du contournement de Lyon à l’Est par les autoroutes A46 Nord et Sud et le CD300 permettront de venir à bout d’une véritable anomalie. » 597
Enfin, profitons de l’occasion pour dépasser une vision fonctionnelle limitée à l’organisation efficace des déplacements automobiles et qui n’envisagerait alors au mieux la construction de nouvelles voies que comme une réponse à de nouveaux besoins exogènes spatiaux ou sociaux. En étant parfaitement intégrées au système urbain, les infrastructures routières constituent des composantes influentes des structures urbaines, particulièrement actives dans leur dynamique. « Initialement prévues pour dévier le trafic de transit, ces rocades ont produit des effets cumulatifs qui tendent à modifier la répartition des fonctions autrefois concentrées dans le centre des villes. Elles ont attiré d’abord les centres commerciaux dits régionaux. (...) Les activités tertiaires ont suivi dans un deuxième temps. (...) Ces déplacements vers la proche périphérie renforcent l’attractivité de l’habitat périurbain, et le mode de vie suburbain à l’anglo-saxonne est adopté par un nombre croissant d’habitants. » 598 Finalement, « la géographie urbaine qui est en train de se dessiner sous nos yeux nous oblige à passer d’une représentation de l’agglomération sous forme d’une "marguerite" (...) à une agglomération surdéterminée par les pénétrantes et rocades. En effet, les nouvelles centralités sont situées sur les rocades, pour des raisons conjuguées d’accessibilité, d’effet vitrine et de taille des parcelles. » 599
Au-delà de la réalisation d’un réseau qui adjoindrait enfin des ceintures aux pénétrantes, le paradigme du traffic around towns nous invite ainsi à remettre en cause une vision périmée de l’espace urbain basée sur la permanence d’un schéma concentrique et d’une dialectique centre-périphérie en vertu de laquelle on jugerait ensuite de la fonctionnalité des nouvelles infrastructures de l’automobile.
G. DUBOIS-TAINE, in G. Dubois-Taine et al., op.cit., p.35.
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J. PELLETIER, C. DELFANTE, op.cit., p.173.
J. BASTIE, B. DEZERT, cités in J.M et P. BENOIT, op.cit., p.119.
M. BURDEAU, D. ROBERT, "Les transports en commun urbains et péri-urbains. Un enjeu pour Lyon Eurocité", in TEC n°101-102, juillet-août-septembre-octobre 1990, p.82.
J.P. LACAZE, La ville et l’urbanisme, Flammarion, 1995, p.99-100.
G. DUBOIS-TAINE, in G. Dubois-Taine et al., op.cit., p.18.