Processus territorial et statut des politiques

Cette notion de choix social, culturel ou politique renvoie à notre problématique de production d’un territoire pour l’automobile. Simplement, on se trouve ici face à la dimension cumulative voire coercitive de ce choix.

A travers l’amélioration des infrastructures, l’offre de vitesse est devenue un déterminant essentiel qui favorise l’usage des modes les plus rapides et les rend plus attractifs que les modes les plus lents. La progression de l’automobile est donc le fruit logique de la réalisation de voies rapides qui ont permis, à temps égal, d’habiter plus loin des centre-villes. Plus globalement, elle est le résultat des mutations spatiales ainsi engendrées. Plusieurs analystes estiment que cette progression a aujourd'hui quelque chose de mécanique. Ce sentiment est en fait conforté par l’importance des dynamiques spatiales dans la production du territoire urbain de l’automobile. Ce territoire ne se fait plus contre la ville mais avec la ville, il suscite et accompagne les mutations urbaines plus qu’il ne les impose. Son évolution contemporaine est profondément imbriquée au nouveau modèle spatial qui est en train de se mettre en place dans nos villes, le modèle de rocade. Révélateur de l’intégration des mutations urbaines et du territoire de l’automobile, ce modèle se présente comme la traduction, en termes de modèle spatial urbain, de ce qu’en termes de politique de transport nous avons appelé le paradigme du traffic around towns. Les mutations spatiales participent alors à une nouvelle dynamique du territoire de l’automobile, celle d’un territoire produit par l’automobile. Cette dénomination ne signifie pas que ce moyen de transport œuvre dorénavant seul sans bénéficier d’aucun relais, acteur unique de sa propre destinée vivant sur sa lancée, mais qu’au contraire son succès s’explique plus que jamais par les dynamiques internes d’un système automobile dans lequel une multitude d’autres facteurs interviennent : la notion de territoire auto-produit doit ainsi être comprise dans un double sens.

Comme il perpétue la production du territoire urbain de l’automobile, le territoire auto-produit reste un enfant du produit-territoire. Néanmoins, parce que la production se fait endogène et qu’elle tient alors davantage de la reproduction, cette évolution pose le problème du statut des politiques : dans ce cadre, les décisions ne seraient-elles plus qu’une façon d’entériner une évolution "spontanée" ? Cette phase d’auto-organisation du système n’échappe-t-elle pas au contrôle des opérateurs et à la capacité d’action des agents ? Et finalement, la possibilité d’inflexion des tendances dominantes des politiques par de nouvelles décisions est-elle encore préservée ?

Malgré tout ce que nous avons pu dire sur l’intensité d’influence des différents déterminants ainsi que sur la vigueur et la cohérence des processus à l’œuvre, il n’existe pas à notre sens d’évolution inéluctable ou de finalité prédéfinie. En revanche, seules la révélation et la connaissance de ces dynamiques et de ces logiques peuvent permettre de les contrecarrer, si tant est qu’une telle ambition se dessine. Mais pour ce faire, l’action politique ne peut que se conformer aux potentialités inscrites dans le monde social, potentialités qu’elle exprime ou qu’elle exploite, sans en être toujours consciente d’ailleurs. Ces dispositions lui préexistent, elle ne les produit pas mais se contente de les accompagner ou au mieux de les intensifier. C’est la raison pour laquelle la perpétuation du territoire de l’automobile-reine ne peut être inscrite dans un ordre des choses qui n’existe pas de façon aussi absolue. Et c’est pourquoi le paradigme du traffic around towns, que nous aborderons à travers les différentes infrastructures qui l’incarnent spatialement, constitue sans nul doute un tournant dont il convient d’étudier la nature, l’ampleur et la portée sur le territoire urbain de l’automobile.