Dans la métropole rhodanienne, nous avons vu précédemment comment « jusqu’en 1980, les municipalités lyonnaises successives ont constamment privilégié, pour la construction des grandes infrastructures de voirie, l’accès au centre vers lequel convergent les principales routes du carrefour lyonnais. » 604 Cette convergence vers le centre a orienté pendant longtemps les flux de circulation automobile et a suscité des permanences. A tel point qu’on peut encore estimer que « l’analyse des déplacements journaliers des Lyonnais montre la large prédominance des flux à destination ou en provenance du centre sur les échanges de banlieue à banlieue ; elle illustre la forte inertie de ce modèle radiant qui structure en particulier les couloirs de main d’œuvre et le desserrement des activités industrielles vers la périphérie. » 605 Dans ce schéma, le centre réussit à préserver une fonction essentielle de pivot puisqu’il tient « à la fois le rôle de réceptacle des arrivées dans la ville et de redistribution vers les périphéries » 606 et qu’il demeure le premier pourvoyeur d’emplois de l’agglomération. De même, les grandes lignes de fracture qui ont structuré son développement périphérique subsistent : l’opposition entre un ouest plus résidentiel 607 et un est à l’attractivité plus massive perdure ; l’étalement urbain s’affirme avec davantage de portée dans les plaines de l’est bien irriguées en infrastructures de communication que parmi le relief plus tourmenté d’un secteur ouest moins bien desservi. En 1995, le centre constitué par Lyon et Villeurbanne regroupe encore, dans le périmètre du schéma directeur, près de la moitié de la population contre 30% à l’est et 23% à l’ouest. Enfin, le gradient est-ouest demeure pertinent en matière de géographie urbaine et sociale mais également pour ce qui est du territoire de l’automobile.
Pour autant, le spectaculaire mouvement de desserrement urbain observable sur le long terme, et remarquablement caractérisé par le fait que « depuis 40 ans, la population de l’agglomération a crû de 60% et la surface urbaine de 140% » 608 , n’a pas été sans introduire de nouvelles logiques spatiales : les activités se sont étendues dans l’ensemble de la couronne périurbaine, y compris à l’ouest même si c’est de façon plus disséminée, sans pôle d’emploi fort, et ce desserrement s’accompagne d’un éclatement de la centralité, tandis que la part des déplacements domicile-travail, très liés au centre, diminue dans la mobilité globale.
La modification des schémas de mobilité découle d’abord de ces dynamiques spatiales avant d’être le résultat de nouvelles infrastructures de transport. A cet égard, l’agglomération lyonnaise ne fait pas exception à la règle qui veut que « les principales agglomérations françaises répondent aujourd’hui à des schémas de mobilité de moins en moins radiaux » 609 . Les données des tableaux 12, 13 et 14, extraites des enquêtes ménages déplacements de 1986 et 1995, éclairent la répartition spatiale et modale ainsi que l’évolution des déplacements mécanisés, déplacements fortement révélateurs des principales mobilités à l’échelle de l’agglomération. Rappelons que le périmètre d’étude de ces enquêtes ménages reprend celui du schéma directeur pour dépasser légèrement les limites du Grand Lyon et que le centre y est entendu comme le regroupement des communes de Lyon et de Villeurbanne.
On observe alors que même si cet ensemble central reste très présent en tant que lieu d’origine ou/et de destination 610 , les déplacements radiaux entre le centre et les périphéries ne représentent plus qu’un quart des déplacements mécanisés. En 1995, ce sont donc les déplacements de périphérie à périphérie qui se révèlent être les plus importants dans l’agglomération lyonnaise, avec un avantage sensible en faveur de ceux qui ont intégralement lieu à l’est du Rhône. Dans ce panorama global, la voiture particulière est, et de loin, le mode mécanisé dominant, quel que soit le type de déplacement. Néanmoins, sa domination se situe dans des rapports fortement différenciés avec les transports collectifs : de un à deux dans le centre, de un à quatre pour les déplacements radiaux, avant d’atteindre un rapport de un à neuf pour les déplacements de rocade ; au fur et à mesure que les flux se périphérisent, la voiture particulière tend donc à accentuer nettement sa position dominante, selon une logique uniforme à l’est comme à l’ouest – même si le développement de la zone périphérique orientale génère des déplacements automobiles plus nombreux en valeur absolue.
Déplacements mécanisés en 1995 | Internes au centre | Échange Centre-périphéries |
Internes aux périphéries | |||
Total | 942.000 | 33% | 774.000 | 27% | 1.139.000 | 40% |
Dont Périphérie Est | 418.000 | 15% | 595.000 | 21% | ||
Dont Périphérie Ouest | 356.000 | 12% | 453.000 | 16% | ||
Dont Échange Est-Ouest | 91.000 | 3% |
Source : enquête ménages, 1995
Déplacements mécanisés 1995 | Internes au centre | Échange Centre-périphéries |
Internes aux périphéries | |||
Déplacements VP | 608.000 | 64% | 579.000 | 74% | 1.012.000 | 89% |
Dont Périphérie Est | 310.000 | 74% | 521.000 | 88% | ||
Dont Périphérie Ouest | 269.000 | 76% | 413.000 | 91% | ||
Dont Échange Est-Ouest | 78.000 | 86% | ||||
Déplacements TC | 308.000 | 33% | 183.000 | 24% | 93.000 | 8% |
Dont Périphérie Est | 101.000 | 24% | 51.000 | 9% | ||
Dont Périphérie Ouest | 82.000 | 23% | 31.000 | 7% | ||
Dont Échange Est-Ouest | 11.000 | 12% |
Source : enquête ménages, 1995
Évolution 1986-1995 | Total | Internes au centre | Échange centre-périphéries | Internes aux périphéries |
Déplacements mécanisés | +28% | +22% | +22% | +39% |
Déplacements VP | +38% | +25% | +28% | +47% |
Déplacements TC | +17% | +20% | +9% | +9% |
Source : PDU, enquêtes ménages
La périphérisation des déplacements mécanisés, plus qu’une réalité statique, est en fait une tendance qui « se poursuit et même s’amplifie. ». De 1986 à 1995, « comme de 1976 à 1985, on assiste à une forte périphérisation des flux (…). Mais alors que dans la décennie précédente, la croissance était tirée par les transports collectifs, c’est la voiture qui est le moteur de cette progression des flux. Même dans les zones les plus centrales, les flux automobiles progressent. Si le nombre de déplacements en transports collectifs progresse encore dans cette période, cette augmentation ne concerne presque plus que les flux centraux. » 611 L’effet de la mise en service du métro passé, l’automobile a donc regagné dans le centre des parts de marché sur les transports collectifs. Mais elle constitue également le facteur principal de la croissance des déplacements radiaux et surtout de l’explosion des flux de périphérie à périphérie, ce qui revient à dire que les types de déplacements qui progressent le plus sont ceux qui consacrent la plus grande domination de la part modale de l’automobile.
On peut sans doute alors mieux comprendre la dynamique actuelle qui anime le territoire de l’automobile-reine. Ces données de base sont intéressantes dans la mesure où elles apparaissent comme autant de contraintes dans les décisions organisationnelles et dans les choix territoriaux. Néanmoins, les mutations urbaines et les évolutions en matière de mobilité n’ont qu’un rapport imprécis et incertain avec la composition des itinéraires des déplacements urbains. Alors que les premières s’attachent directement aux flux, les seconds dépendent du réseau qui les supporte. C’est pourquoi les mutations territoriales ne transparaissent totalement qu’à travers l’étude des nouvelles infrastructures et de leur intégration dans le réseau automobile.
M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.8.
ibid., p.9.
ibid., p.135.
caractérisé par le fait qu’en matière de déplacements, les flux sortants demeurent supérieurs aux flux entrants.
SYTRAL, Le Plan de Déplacements Urbains de l’agglomération lyonnaise. Projet soumis pour avis aux collectivités, 1997, p.14
J.M. et P. BENOIT, op.cit., p.116.
avec un total de 60% des déplacements mécanisés de l’agglomération.
P. BONNEL, P. GABET, Mesure de l’effet de l’évolution des localisations et de la motorisation sur la part de marché des transports collectifs, LET, Mars 1999, p.31.