5.2.2.1. Rocade et contournement lillois dans le cadre du territoire de l’automobile-reine

En la matière encore une fois, la conurbation lilloise ne se distingue guère de prime abord de l’agglomération lyonnaise en matière d’infrastructures de contournement. Malgré l’ambition affichée dans les plans des années 70, les nombreuses ceintures routières que ceux-ci comportaient sont restées pour l’essentiel lettre morte. Mais aujourd'hui, comme pour la capitale rhodanienne, le bon fonctionnement d’un carrefour lillois enclavé en zone urbaine dense et marqué par d’importants problèmes de saturation suscite l’inquiétude. Alors qu’un projet de rocade 659 a été récemment mené à son terme, la grande affaire de ces prochaines années est la réalisation d’une voie rapide de contournement (figure 46). Pourtant, les logiques territoriales sous-jacentes à cette situation apparemment similaire se révèlent profondément différentes.

L’agglomération lilloise entre en effet dans l’ère des contournements avec le souci premier de compléter son réseau routier. La convergence de l’ensemble des flux automobiles vers les zones denses est certes qualifiée de « choix discutable » 660 mais on n’en est pas encore à parler d’erreur à réparer. De même, il est volontiers admis que la hiérarchisation du réseau viaire est une nécessité, toutefois les édiles persistent à raisonner en termes d’insuffisance plus que d’inadaptation de ce réseau. La dimension spatiale est donc d’abord présente à travers un impératif d’irrigation et de maillage. Le schéma directeur constate alors simplement que « l’absence d’un réel contournement de la métropole, aussi bien dans le sens nord-sud qu’est-ouest, constitue la principale faiblesse d’un réseau maillant correctement le territoire » 661 sans évoquer d’éventuelle réorganisation.

Figure 46- Du SDAU… au Schéma Directeur, naissance d’un grand ring transfrontalier
Figure 46- Du SDAU… au Schéma Directeur, naissance d’un grand ring transfrontalier
… au Schéma Directeur, la naissance d’un grand ring transfrontalier
… au Schéma Directeur, la naissance d’un grand ring transfrontalier

Source : Rapport justificatif du SDAU, Schéma Directeur de développement et d’urbanisme 1997

En fait, si la métropole s’est déjà dotée d’une rocade, cette dernière répondait à un besoin de liaison routière à grande vitesse sur un versant de la métropole qui en était dépourvu, et ce dans une optique de développement économique. Mise en chantier en 1982, la rocade Nord-Ouest a été construite en plusieurs étapes sous maîtrise d’ouvrage de l’État puis du Conseil général 662 . Son phasage est d’ailleurs assez significatif. Le premier tronçon, achevé en 1984, a permis de desservir les activités économiques de la banlieue nord-ouest de Lille. Connecté à l’A.25, il assure alors la desserte d’un tissu urbain mal structuré et fortement imperméable à la circulation. En ayant pour charge d’y distribuer le trafic, il cherche à redynamiser un secteur durement touché par la récession économique et mal desservi par l’automobile. Les deux dimensions sont ici totalement imbriquées. Dans un second temps beaucoup plus tardif, la rocade Nord-Ouest se relie en 1994 à l’A.22 et à la Voie Rapide Urbaine (VRU) à l’est. Réalisée dans son intégralité, elle « permet d’organiser la desserte routière du nord-ouest de la métropole et de servir de liaison privilégiée entre les bassins d’habitat et de travail de Tourcoing, Lomme et Armentières. » 663 Sa fonction est alors multiple : elle met l’accent sur la desserte de cette partie de la métropole et notamment de ses activités économiques 664  ; elle permet également de relier l’ouest au versant nord-est en mettant en rapport leurs potentialités économiques ; enfin elle facilite le transit entre l’ouest et le nord-ouest de l’agglomération et, en l’absence de l’A.24, dévie de Lille les flux allant de l’A.22 à l’A.25.

Son tracé, très proche des zones urbaines, est révélateur de sa fonction première. Suffisamment en marge des zones bâties pour ne pas avoir à supporter de trop fortes contraintes d’inscription dans l’espace, elle s’y accole pour être le plus efficace possible à leur égard. C’est ainsi qu’aujourd'hui elle peut prétendre à devenir l’épine dorsale qui structurera ce corridor urbain, en essayant de ne pas être un facteur de trop grande mutation pour les secteurs agricoles des zones périurbaines malgré les fortes pressions qui s’y s’affirment. Pour l’instant, la rocade a en tout cas contribué à "tirer" la métropole lilloise vers l’ouest, dans un mouvement où les demandes d’extension résidentielle et d’implantation d’activités économiques correspondent aussi à des phénomènes de délocalisation à l’intérieur de l’agglomération.

En ce qui concerne les dynamiques relatives au territoire de l’automobile, il s’agit donc clairement d’un processus d’extension spatiale et non de réorganisation. Il est d’ailleurs prévu d’adjoindre à cette voie « une pénétrante nord-ouest, qui permettrait de favoriser les échanges entre la rocade nord-ouest et le centre de Lille. (…) Compte tenu de la densité de l’urbanisation dans ce secteur, elle devrait être réalisée partiellement en souterrain. » 665 Le principe propre à l’automobile-reine, qui suppose que l’aménagement de l’espace métropolitain offre un maillage routier toujours plus performant en complément de bonnes conditions d’accès au centre, est ici respecté.

Ces dernières années néanmoins, le grand projet de voirie qui a agité la métropole du Nord n’est pas un projet d’accessibilité ou de desserte interne mais un ambitieux « bouclage de la métropole transfrontalière » par un grand ring. Alors que la partie belge de ce ring est plus avancée 666 , sa concrétisation impose de mener à bien un vaste chantier du côté français, celui du contournement Sud. Ce barreau est un programme relativement nouveau issu d’un compromis entre deux anciens projets du SDAU, l’un étant devenu inutile – la liaison Londres-Ruhr court-circuitée par le littoral belge –, l’autre irréalisable – la rocade Sud rattrapée par l’extension urbaine. Sa fonction, en mélangeant transit et desserte locale, illustre bien cette double paternité. En fait, sa genèse comme son avenir semblent procéder d’un inévitable compromis. Financé par l’État et le Conseil Général, son tracé s’est affiné peu à peu en fonction du maximum de trafic à en attendre mais aussi dans le souci d’épargner la zone la plus vulnérable des champs captants 667 qu’il doit traverser. Ce contournement est conçu pour organiser une meilleure répartition des transits en provenance des grandes pénétrantes autoroutières 668  : il s’adresse notamment aux flux est-ouest qui empruntent actuellement un périphérique Sud engorgé ainsi qu’aux flux nord-sud dans l’espoir d’en libérer l’entrée Sud de Lille et la rocade Est. Mais on parle aussi d’en faire un axe structurant du sud de l’agglomération avec tout ce que cela implique dans un espace en devenir où la question de l’urbanisation reste encore en suspens : certes, une politique de sanctuaire entend protéger les zones de très forte vulnérabilité ; toutefois, comme les événements semblent le dessiner, la volonté de contrôler le processus d’urbanisation autour de la voie sera sans doute contrariée par les concessions nécessaires à son inscription sur le terrain. 669

Ce projet d’envergure s’engage aujourd'hui de manière partielle. Pour l’instant, seule la réalisation de sa partie orientale entre l’A.1, l’A.23 et l’A.27 est en cours de négociation entre l’État et les partenaires régionaux. Elle permettrait déjà de soulager l’entrée sud de l’agglomération, en établissant une connexion plus précoce entre les trois radiales autoroutières et en offrant aux flux de transit nord-sud un itinéraire alternatif extérieur à la métropole. Elle présente également l’avantage d’être moins contestée car localement attendue afin d’améliorer la desserte d’éléments stratégiques comme l’aéroport, le Centre Régional des Transports de Lesquin ou le futur parc d’activités à haute technologie dont l’implantation est projetée sur le site de la Haute-Borne au sud de Villeneuve d’Ascq.

Malgré des ressemblances apparentes avec Lyon, les rocades et contournements lillois ne s’accompagnent pas toutefois de véritables projets de réduction de pénétrantes, bien au contraire. 670 La logique territoriale consiste à réaliser les infrastructures routières censées répondre aux besoins de l’agglomération, combinant ainsi des pénétrantes fortes, support des processus de métropolisation, et des ceintures permettant la desserte automobile périurbaine. A l’articulation de ces deux réseaux, l’aménagement de portes doit contribuer, « par leur qualité urbaine et architecturale » et non par une politique de densification et de rabattement des lignes de transports collectifs, à l’identification des entrées d’une métropole qui cherche encore aujourd'hui à se doter d’un maillage routier inspiré des plans des années 70.

Le caractère multipolaire de l’agglomération lilloise amène enfin à la conception d’autres types de contournement, les rocades de proximité. Aujourd'hui, les principaux noyaux urbains de la conurbation – Roubaix, Tourcoing et Villeneuve d’Ascq – font l’objet de tels projets. A l’instar de la rocade Est, ces derniers se distinguent par l’ambiguïté qui s’établit entre leur dénomination et leur fonction réelle. L’Antenne Sud de Roubaix 671 qui s’achève pour l’instant dans les champs au sud-est de Wattrelos doit ainsi rejoindre le réseau belge 672 afin de constituer « une infrastructure majeure pour l’accessibilité du nord-est de la métropole. » 673 En réalité, ces axes de contournement cherchent à apporter à des secteurs, que les décideurs locaux sont prompts à considérer enclavés, un oxygène routier, vecteur supposé d’attraction économique. Si le contournement Est de Villeneuve d’Ascq doit aider à renforcer la fonction métropolitaine de la Ville Nouvelle et à désengorger la rocade Est, il est également susceptible, en reliant l’A.27 à la pénétrante Sud de Roubaix, de capter une partie du trafic qui doit être normalement reporté sur le grand ring. Entre complémentarité et concurrence, entre contournement et accessibilité, ces rocades de proximité manquent de la clarté nécessaire à la création d’un réseau routier réellement hiérarchisé.

Pour l’heure, il n’apparaît pas en tout cas de véritable volonté de protection de ces noyaux urbains. Dans la conurbation lilloise, l’influence spécifique du schéma spatial multipolaire est porteur d’un foisonnement routier qui concourt à un maillage du territoire selon une logique de vitesse et d’accessibilité accrue. Il n’existe pas de démarche initiant une véritable logique territoriale de l’automobile-contestée, ce qui prouve que les infrastructures n’ont que la valeur que leur donne leur intégration dans une politique plus globale : ici, c’est sur l’amélioration quantitative et qualitative de la réticulation de l’espace urbain selon une logique de desserte automobile que se focalise la réalisation de rocades et de contournements, dans la mesure où elle se borne à proposer une augmentation de l’offre d’infrastructures routières rapides et finalement une extension sans contrepartie du territoire de l’automobile-reine.

Notes
659.

Nous n’évoquerons pas ici la rocade Est, qui n’a de rocade que le nom puisqu’elle constitue en vérité l’autoroute intra-urbaine, qui est en quelque sorte à Lille ce que l’A.6 est à Lyon.

660.

Syndicat Mixte pour la révision du Schéma Directeur de l’Arrondissement de Lille, 2002, op.cit., p.139.

661.

Syndicat Mixte pour la révision du Schéma Directeur de l’Arrondissement de Lille, 1997, op.cit., p.107.

662.

pour cause de décroisement des financements. L’infrastructure dans sa totalité a été financée, par ordre d’importance, par l’Etat, le Conseil Général et la Communauté Urbaine.

663.

Syndicat Mixte pour la révision du Schéma Directeur de l’Arrondissement de Lille, 1997, op.cit., p.142.

664.

Elle permet notamment l’accès à trois centres commerciaux, ceux d’Englos (pour lequel Auchan a d’ailleurs pris en charge, à hauteur de 33 millions de francs – 5 millions d’euros –, l’accès au centre commercial), de Lomme et de Wasquehal.

665.

Syndicat Mixte pour la révision du Schéma Directeur de l’Arrondissement de Lille, 1997, op.cit., p.142.

666.

non pour des raisons liées au fonctionnement de la métropole française mais parce que cette partie du grand ring est en fait essentiellement constituée d’autoroutes de liaison interurbaines à l’échelle du territoire belge.

667.

dont les nappes aquifères fournissent plus du tiers de l’eau potable de la métropole. Leur protection a constitué un des motifs pour lequel le préfet a annulé le Schéma Directeur approuvé en 1994. Elle a ensuite motivé la nouvelle annulation, prononcée en avril 2000 par le Tribunal Administratif, du schéma directeur et d’urbanisme de la métropole. Si bien que, dans le dernier schéma directeur de 2002, le bouclage initialement prévu s’estompe pour se faire plus au sud…

668.

C’est pourquoi, en raison d’un éloignement trop important de la métropole, la Rocade Minière (A.21) pourrait difficilement lui servir d’itinéraire de substitution comme certains l’ont proposé – outre le fait que cette voie est déjà saturée et qu’elle offre peu de possibilités d’élargissement. Parallèlement, la réalisation du contournement Sud devrait logiquement relativiser l’utilité de l’A.24. Pourtant, les deux projets coexistent toujours dans le Schéma Directeur.

669.

Ainsi, c’est souvent l’annonce du principe de sanctuaire qui a paradoxalement avivé les préoccupations écologiques des maires des communes concernées et révélé d’autres attentes de leur part.

670.

Les actions s’orientent au mieux vers un traitement paysager de ces infrastructures.

671.

Son appellation d’origine est rocade Est. Prioritaire dans le SDAU, cet axe de contournement, outre qu’il reste inachevé, a vu sa capacité réduite pour des raisons financières, suite au désengagement de l’Etat qui a finalement considéré, après plusieurs revirements, qu’elle faisait double emploi avec la Voie Rapide Urbaine alors en construction. Il s’agit aujourd'hui d’une infrastructure à 2x1 voies dont le financement est assuré à 60% par le Conseil Général et à 40% par la CUDL.

672.

Mais, comme pour le grand ring, les projets qui touchent au territoire belge sont d’abord des vœux pieux.

673.

Syndicat Mixte pour la révision du Schéma Directeur de l’Arrondissement de Lille, 1997, op.cit., p.142.