Cet aphorisme résume assez bien la politique actuelle menée par la ville de Stuttgart en matière de grandes voiries en général comme de contournements en particulier. Ce qui ne signifie pas qu’elle n’ait pas connu elle aussi de période d’abondance voire de surplus de projets et qu’elle ait mis un terme au développement de son réseau routier.
Symbole de ce temps révolu, le GVP de 1962 prévoyait un système de contournement à trois niveaux (figure 47) : un demi-ring extérieur formé par le croisement des autoroutes 675 , un ring moyen et le city-ring autour du centre-ville. En matière de transit national et international, Stuttgart ne connaît certainement pas le même degré de contraintes que Lyon et Lille mais elle le doit aussi, selon un modèle commun à l’ensemble des grandes villes allemandes, à la localisation de son carrefour autoroutier hors de la zone urbaine dense. Le ring extérieur a donc joué le rôle qui lui a été dévolu, à savoir exclure ce transit de longue distance du cœur de la ville. En revanche, la commune souffre fortement de la non-réalisation d’un ring moyen qui devait améliorer les liaisons entre les quartiers extérieurs de Stuttgart et les communes voisines en déviant ces flux du centre-ville.
A l’image de son barreau Sud, la Filderquerstrasse, ce ring moyen n’a pas vu le jour malgré sa présence répétée dans les plans. La construction de la Filderquerstrasse était déjà projetée en 1947 et l’a été jusqu’à la fin des années 70. Dans un premier temps, son coût lié aux problèmes topographiques rencontrés l’a pénalisé par rapport à l’immensité des besoins de la reconstruction et à la priorité accordée au réseau radial. Lors du plan de réduction du réseau de grande voirie de 1973(Reduziertes Netz der Hauptverkehrstrassen), elle réussit à se maintenir dans un ring moyen qui s’effrite. La sévère sélection de ce plan, qui cherche à organiser des contournements routiers en privilégiant ceux qui permettent d’assurer les délestages les plus importants, la place même au premier rang des priorités : connectée aux pénétrantes les plus puissantes, la Filderquerstrasse doit évacuer les trafics parasites du centre-ville et de plusieurs quartiers "extérieurs" de la commune ; elle s’impose ainsi comme une limite à partir de laquelle les capacités des radiales ne doivent plus être augmentées et le développement des transports collectifs devient prépondérant. Victime du syndrome "Ouest lyonnais", son inscription dans l’espace n’en demeure pas moins problématique : aux yeux de riverains qui sont pourtant parmi les plus motorisés de la commune, ses bienfaits apparaissent nettement moins importants que les problèmes environnementaux qu’elle engendrerait.
Source : GVP I
Désireuse de mener à bien une politique d’amélioration de la qualité de vie dans les noyaux urbains d’habitation qui passe par la suppression des trafics de transit et par l’aménagement de zones "Tempo 30", la municipalité se doit de réaliser de nouvelles voies de contournement et de collecte du trafic. Devant les oppositions aux grands programmes de réticulation et de contournement routiers, le Gesamtverkehrsplan (GesVP) de 1977 propose alors de morceler ces aménagements : au sud, le ring extérieur (A.8) doit se substituer à la Filderquerstrasse ; partout où ils sont réalisables les tronçons du ring moyen sont maintenus ; mais surtout, de nouveaux contournements sont envisagés, limités à l’échelle de chaque noyau urbain à reconquérir. Ces contournements de proximité, assurés au besoin par des tunnels lorsque les conditions l’imposent, composeront le socle de revitalisation des quartiers les plus pénalisés par la circulation routière.
Outre le Tunnel d’Heslach, plusieurs contournements de quartiers de Stuttgart ont ainsi été réalisés : celui de Weilimdorf à l’ouest par la B295, celui de Bad Canstatt à l’est par la B14/B312 ou encore celui de Stuttgart-Ost par la B10 à Gablenberg. D’autres sont en projet : celui de Feuerbach et d’Hedelfingen grâce à des tunnels. La plupart étaient inscrits depuis longtemps dans les différents plans mais il aura fallu cette inversion des priorités et l’abandon progressif des grands contournements pour qu’ils se concrétisent ou qu’ils soient en voie de l’être. Leur mise en chantier s’étale dans le temps car ces aménagements comportent souvent des infrastructures souterraines et s’avèrent à ce titre très coûteux. En fractionnant la décision, en se rapprochant de la réalité des micro-territoires et en rendant leurs effets plus prévisibles et plus directement perceptibles, ils présentent en revanche l’avantage d’être plus attendus que contestés.
Ces réalisations témoignent de l’intérêt porté à la protection des espaces urbains traversés par les infrastructures automobiles. La solution consistant à enterrer le trafic de transit permet d’ouvrir la voie à une revitalisation de ces quartiers et de réduire les nuisances liées aux nouvelles voies. Mais ces contournements s’inscrivent dans une logique plus globale de réponse aux problèmes urbains contemporains. D’abord, ils tendent à juguler le départ des habitants de la commune centre en œuvrant pour l’amélioration de la qualité de vie au sein des quartiers. Ensuite, ils cherchent à atténuer les effets de cette exurbanisation : ce phénomène génère un accroissement des migrations alternantes en raison de la mobilité résidentielle des travailleurs du centre ; pour que les emplois ne suivent pas les habitants, les infrastructures automobiles doivent alors maintenir une bonne accessibilité des principaux noyaux urbains de Stuttgart.
La génération des contournements de quartier peut donc être interprétée de deux manières opposées mais néanmoins convergentes : comme des infrastructures au service de la protection des espaces urbains traversés – objectif explicite – ou comme de nouvelles voies visant à assurer une plus grande facilité d’écoulement du trafic en les soustrayant aux contraintes des espaces denses – objectif plus implicite. C’est toute l’ambiguïté d’un projet comme celui du tunnel de Pragsattel,sous le Rosensteinpark et le zoo Wilhelma 676 , qui doit normalement être réalisé à l’horizon 2006-2007 : la B10 y gagnera une continuité qui participera certes à la clarification des itinéraires empruntés par les flux automobiles mais également à la fluidité du transit entre l’est et le nord.
On assiste donc bien à une production continue du territoire de l’automobile selon un processus endogène. Simplement, les déterminants spatiaux font que, contrairement à Lille et à Lyon, ces contournements souscrivent relativement peu au modèle urbain de rocade et qu’ils s’inscrivent ici dans un schéma polynucléaire hérité qu’ils cherchent à soutenir. L’existence d’un modèle territorial automobile à géographie variable explique en filigrane pourquoi à Lyon « la création de contournements pour protéger les centres-villes secondaires n’a pu être systématisée. » 677 Mais la volonté de protection des noyaux urbains dépasse, et de beaucoup, ce qu’on pourrait être tenté de réduire à un simple déterminisme spatial. En fait, elle souligne l’existence d’une certaine cohérence dans les politiques urbaines, cohérence fondée sur des principes généraux qui datent de plus de vingt ans : si les contournements chargés de délester les zones d’habitation de leur transit peuvent concourir à une forte concentration des flux et, de ce fait, créer de fortes pressions sur le territoire de l’automobile, ils ne doivent pas induire une augmentation substantielle des capacités de trafic en direction du centre-ville ou des centres secondaires – capacité qui entrerait de plus en concurrence directe avec les transports collectifs. Cette ligne politique prend enfin le parti d’un aménagement qualitatif afin de conserver aux zones concernées leur attractivité. C’est cette ligne qui, quand elle est respectée, intègre les contournements dans un processus territorial participant d’une contestation de l’automobile-reine : à cet effet, elle peut compter sur le soutien appuyé des habitants des quartiers en question, soutien d’autant plus efficace qu’il est généralement relayé par des formes d’organisation sociale rodées et efficaces ; quant aux agents économiques, ils demeurent certes extrêmement sensibles à toute amélioration de l’accessibilité routière mais ils s’avèrent également de plus en plus réceptifs à l’image véhiculée par la préservation d’une certaine qualité de vie urbaine, même si cela doit se faire au prix d’une présence automobile plus discrète.
Le dénominateur commun le plus évident de nos trois exemples réside dans le fait que les infrastructures de rocade et de contournement ne constituent généralement qu’un deuxième temps de la production du territoire de l’automobile. La dynamique qui anime ce dernier s’en trouve soumise à des facteurs d’un type différent. La dimension spatiale n’y est plus intégrée comme un paramètre mais tend à se transformer en donnée. On peut alors être tenté de placer les facteurs géographiques au cœur des réflexions sur la nature des logiques portées par la réalisation de ces nouvelles voies, en se demandant comment ces dernières suivent les évolutions spatiales d’une mobilité urbaine automobile devenue dominante ou de quelle façon l’organisation socio-spatiale des villes interagit avec l’évolution du réseau routier. C’est partiellement d’un éclairage sur ces questions dont est porteur la comparaison entre Lyon, Lille et Stuttgart : en l’occurrence, elle contribue à dévoiler l’importance cruciale des phénomènes de centralité pour des voies qui sont destinées à organiser le contournement de ces espaces, tout en étant sensibles aux différentes polarités urbaines.
Mais il s’agit également d’initier une réflexion plus générale sur le statut des politiques territoriales. La structuration et l’organisation de l’espace urbain sont des "données" qui restituent l’image d’une société. Si les politiques choisissent de se soumettre à un certain nombre de contraintes spatiales, c’est aussi parce qu’elles cristallisent des rapports de pouvoir spécifiques entre les agents et les groupes sociaux. Dans une dynamique territoriale qui se fait endogène, la marge des politiques semble donc se restreindre. Pourtant même le maintien d’une stratégie qui vise à suivre le " fil de l’eau", comme à Lille, constitue un positionnement politique, nécessite un engagement et implique une certaine stabilité dans la structure du champ concerné. A l’inverse, les rapports sociaux n’étant pas immuables, les agents et les institutions sont susceptibles d’évoluer dans leur positionnement à l’intérieur de l’espace de jeu : cela est actuellement le cas de manière sensible à Lyon, tandis qu’à Stuttgart l’évolution paraît à la fois plus nette et plus précoce. Ce n’est qu’à cette dernière condition, et dans des proportions qui restent aujourd'hui encore limitées, que rocades et contournements peuvent paradoxalement devenir les instruments de politiques dans lesquelles l’accessibilité automobile n’est plus l’alpha et l’oméga de tout aménagement urbain.
Concrètement, l’étude de ces nouvelles autoroutes urbaines nous montre la contradiction profonde qui existe entre la réalisation d’une nouvelle infrastructure routière et la volonté politique de s’affranchir du territoire de l’automobile, tant elles sont l’image même de l’extension de ce territoire. Néanmoins, ces réorganisations du réseau de voirie introduisent naturellement des différenciations spatiales qui, bien relayées par les politiques d’aménagement urbain, peuvent entraîner l’avènement d’un territoire à deux vitesses : celui de l’automobile-reine et celui de l’automobile-contestée. Dans ce cadre, les boulevards périphériques doivent-ils être considérés comme les prémisses du premier ou la condition voire la limite du second ?
Aussi peu que possible – autant que nécessaire.
et complété au Nord par un contournement qui n’a jamais été réalisé (Nord-Umgehung).
Il s’agit d’un projet ancien intégré au ring moyen et qui se trouve relancé par le programme Stuttgart 21.
SYTRAL, 1997, op.cit., p.14.