A Lyon, le "grand boulevard de ceinture" est né du plan général d’aménagement, d’embellissement et d’extension de la ville établi sous la direction de M. Chalumeau et approuvé en 1924 (figure 48). Il est alors la plus éloignée des nombreuses rocades qui strient la plaine de l’est. Pendant cinquante ans, cette demi-ceinture restera comme un des grands projets de voirie de l’agglomération.
Le Conseil Général du Rhône sera l’artisan essentiel de sa réalisation et lui donnera d’ailleurs le nom de son président, Laurent Bonnevay. Il prend en main ce projet d’urbanisme en 1928 en décidant de sa construction sur les terrains militaires déclassés de la seconde enceinte fortifiée du XIXe. A l’époque, ce "chemin d’intérêt commun n°83" doit servir à coordonner le développement et l’urbanisation de Villeurbanne, Bron, Vénissieux, Lyon et Saint-Fons. Si ses caractéristiques sont impressionnantes 687 , ce sont bien celles d’un boulevard urbain. Ce grand boulevard de ceinture intercommunal de l’Est lyonnais est conçu comme une voie résidentielle autour de laquelle est censée s’établir une véritable ville linéaire, où l’alignement des résidences familiales ne sera perturbé que par des habitations collectives et des centres commerciaux aux "portes de Lyon", c’est-à-dire aux croisements du boulevard et des pénétrantes. Engagée dans le cadre des chantiers de chômeurs, la construction de la voie avance rapidement.
Source : G. REVERDY, F. ROUILLE, Histoire des routes lyonnaises
Entre-temps, ce projet est intégré parmi les voies urbaines rapides proposées par Lucien Chadenson en 1935 dans son plan d’aménagement routier de la région lyonnaise mais le boulevard périphérique tel qu’il est achevé après la guerre n’en reste pas moins un ouvrage peu adapté à des flux importants : pour des raisons d’économie, les passages souterrains prévus au croisement des voies à grand trafic n’ont pas été réalisés, mais il est vrai que la circulation ne justifie pas alors de tels aménagements. 688 Ce n’est qu’à partir de 1952 qu’il va être jugé nécessaire d’équiper les carrefours en îlots, en feux tricolores ou avec un grand giratoire à la jonction avec la RN6. Procédant d’une logique presque implacable résultant de l’accroissement du trafic automobile, la décision de transformer le boulevard en autoroute urbaine (LY1) est prise par le Conseil Général du Rhône en 1970. Avec l’aide financière de l’État, on élabore alors les échangeurs actuels.
Les abondants projets routiers de l’époque posent également les bases de la réalisation d’une ceinture complète. Mais, après 1974, le reflux autoroutier sonne provisoirement le glas de cette ambition. Il subsiste uniquement la volonté d’aménager le boulevard périphérique existant de manière prioritaire et avec une capacité maximale. Cette situation ne sera pas sans induire de graves dysfonctionnements tant au niveau des espaces urbains traversés par la voie que de l’agglomération toute entière.
Le rapide inventaire qui suit illustre parfaitement les réserves émises par Jean Frébault quant à l’existence d’un urbanisme capable de réconcilier la ville et les territoires de l’automobile-reine. La transformation du boulevard de ceinture en voie rapide a en effet profondément bouleversé son environnement urbain ainsi que le rapport de l’infrastructure à celui-ci.
D’abord par la création de pôles d’accessibilité à proximité des sorties du périphérique ; grâce à la logique de voie rapide, ces espaces se sont "rapprochés" de l’ensemble des secteurs de l’agglomération. De nouveaux territoires se sont ainsi développés, liés à des phénomènes d’urbanisation commerciale ou à l’implantation de grands équipements publics. On observe également une logique de spécialisation dans la nature des activités environnantes : nombre d’entre elles appartiennent à un mode de vie forgé par la voiture particulière, que ce soient les services automobiles – concessionnaires, garages, stations-service… – ou de nouvelles organisations des activités urbaines – grandes surfaces commerciales.
Les espaces résidentiels proches ont ensuite énormément souffert des nuisances routières dues à l’afflux de trafic. Au quotidien, les riverains du périphérique subissent un niveau sonore supérieur à 75 décibels, ce qui le met au niveau des radiales autoroutières de l’agglomération. Même si l’État a engagé à la fin des années 80 des travaux d’isolation acoustique, la déstabilisation des formes urbaines, avec ses inévitables conséquences en termes de dépréciation et de paupérisation des espaces résidentiels avoisinants, est chose acquise depuis longtemps. Dans ce tableau, il ne faut pas sous-estimer l’importance des effets de coupure. En interrompant les axes du développement urbain, en perturbant fortement les cheminements de quartier et en complexifiant les échanges routiers entre la voie rapide et la trame viaire originelle, le boulevard périphérique a engendré la marginalisation de certains espaces et, plus généralement, la dérive de deux mondes qui, de chaque côté de la voie, tendent de plus en plus à s’ignorer.
Compte tenu des trafics supportés, cette demi-ceinture a acquis une utilité indéniable en matière de mobilité mais elle n’est pas exempte de réserves quant à son rôle véritable à l’échelle de l’agglomération. Dans l’écoulement du transit interne, cette voie rapide assure les échanges entre ses différents secteurs, entre ses différentes couronnes ainsi que l’accès au réseau autoroutier des grandes pénétrantes de l’est 689 . Mais, en termes d’organisation urbaine, elle n’assume pas toutes les fonctions habituellement dévolues aux boulevards périphériques. Elle ne constitue pas un ring protecteur, ce qui fait que le centre reste très perméable aux flux automobiles (figure 49). « L’importance des flux sur certaines voies internes (80.000 voitures sur les quais du Rhône, 40.000 sur les quais de Saône, 45.000 sur l’avenue Berthelot, 37.000 sur la rue Garibaldi) n’est pas très éloignée de celle que l’on retrouve sur le périphérique (de 60.000 à 130.000 selon les tronçons) dont la vocation est, à l’évidence, différente. » 690 En l’absence d’une ceinture complète, le transit Nord-Sud et Est-Ouest interne à l’agglomération continue de passer par le centre : les quais du Rhône, le tunnel de la Croix-Rousse, le tunnel de Fourvière et l’avenue Tony Garnier au Sud accueillent ces flux, bouclant en fin de compte le périphérique par des voies de pénétration urbaine 691 .
Sans réelle vocation protectrice, ce boulevard transformé en voie rapide demeure avant tout une infrastructure du territoire de l’automobile-reine, plus proche de la rocade autoroutière que du ring.
Source : SYTRAL, PDU de l’agglomération lyonnaise. Trois scénarios pour un débat
Sur 13,8 km, il est constitué d’une plate-forme de 46 m composée de deux chaussées de 10,50 m de largeur séparées par un trottoir central de 13 m avec deux lignes d’arbres et deux pistes cyclables et encadrées par deux trottoirs latéraux de 6 m avec une ligne d’arbres.
Anecdote révélatrice de cette faible circulation, les agriculteurs utilisent à cette époque le terre-plein central du boulevard pour faire paître leurs vaches.
La rocade Est a d’ailleurs permis de délester quelque peu ce boulevard périphérique : alors qu’en 10 ans, sa charge de trafic avait été multiplié par 2,8, on observe l’année suivant la mise en service de la rocade une diminution de 8,5 %.
SYTRAL, Le Plan de Déplacements Urbains de l’agglomération lyonnaise. Projet soumis pour avis aux collectivités, Février 1997, p.11.
On retrouve ici une organisation des déplacements qui n’est guère éloignée de celle prévue par le plan Chadenson 60 ans auparavant.