5.3.2.1. Lille et son périphérique au cœur de la Métropole

Comme à Lyon, le tracé du périphérique lillois est un héritage des anciennes fortifications de la ville-centre, en l’occurrence de celles issues de la dernière extension de 1858 qui comprenaient, outre l’enceinte fortifiée, une zone de servitude non aedificandi. Déclassés en 1919, ces terrains présentent la caractéristique de ne pouvoir être affectés qu’à un usage public, ce qui se révélera ensuite une opportunité pour les politiques urbaines. « Cause de blocage, l’enceinte et la zone ont fourni à la ville des réserves foncières, environ 600 ha, l’opportunité d’un développement de ses fonctions et de ses équipements de grande ville, d’une redistribution de sa population, de la réalisation du nœud autoroutier, de l’amélioration de l’accessibilité par rapport à la région toute entière. » 737

A l’ouest, c’est sur ces emprises de la "zone" qu’est aménagé le port fluvial de Lille en 1948. Cette précision a son importance dans le mesure où c’est le seul tronçon qui échappe à la mise en place d’une rocade autoroutière dans les années 70. Il le doit pour partie à la consommation précoce de ces réserves foncières au sud mais aussi à l’obstacle formé, au nord, par un résidu du corset de fortification originel, la citadelle de Vauban. La volonté de faire passer le périphérique à l’ouest de Lille n’en est pas moins forte à la suite du SDAU. Son tracé est même inscrit dans le plan d’occupation des sols. Mais les déviations prévues pour éviter la citadelle se révéleront irréalisables, que ce soit le passage le long du Champ de Mars qui rencontre d’importants problèmes de voisinage, la traversée du parc de la citadelle, un des rares espaces verts de la ville, ou encore un passage souterrain jugé trop coûteux. Ces oppositions auront raison du projet de bouclage du périphérique.

La mise en place des autres tronçons participe quant à elle d’une logique uniforme. A la fin des années 60, alors que le réseau d’autoroutes converge aux portes de Lille, il n’existe pas de voie urbaine qui possède le gabarit suffisant pour assurer la continuité de ces liaisons. L’aménagement du boulevard périphérique va s’inscrire dans cette perspective. Sa partie Sud devient le premier maillon important du carrefour autoroutier lillois en réalisant la jonction entre l’A.1 et l’A.25 grâce à une voie rapide. Le périphérique Est doit quant à lui assurer la continuité du transit autoroutier Nord-Sud. Pour cela, il prolonge l’A.1 jusqu’à ce qui doit théoriquement devenir l’axe de traversée de l’agglomération, la future Voie Rapide Urbaine. Il perd donc son caractère purement local pour être aménagé de façon à accueillir les flux régionaux et nationaux. En 1972, six viaducs métalliques démontables sont mis en place afin d’organiser une circulation surélevée permettant de supprimer les principaux carrefours réglés par des feux tricolores. Du boulevard Hoover au boulevard Pierre de Coubertin, ces "autoponts" sont envisagés comme des solutions provisoires destinées à assurer un meilleur écoulement du trafic ; au-delà, le périphérique Nord n’est que l’embryon des ambitions de bouclage. Comme bien d’autres aménagements provisoires, les "autoponts" resteront plus de vingt ans en place ou seront parfois remplacés par des ouvrages en béton, même après que le transit entre l’A.1 et l’A.22 ait été reporté sur le boulevard de Breucq à Villeneuve d’Ascq. L’image que le périphérique Est offre au début des années 90 est celle d’une entrée de ville peu reluisante. Entre-temps, la Voie Rapide Urbaine a enfin été construite ce qui a eu pour effet de faire de l’ancien itinéraire de transit autoroutier un support important des relations entre les noyaux urbains de la Métropole.

La confusion des trafics de transit, de distribution et de pénétration caractérise néanmoins le fonctionnement du périphérique. Cette situation explique le fait que le trafic sur la demi-ceinture se révèle globalement équivalent à Lille et à Lyon, alors que l’espace urbain cerné par le boulevard périphérique est plus restreint et moins dense et que les flux sont moins concentrés dans la métropole nordiste. Les automobilistes en provenance de Dunkerque par l’A.25 et à destination de Valenciennes, de Paris par l’A.1 ou même de Bruxelles 738 côtoient ainsi les usagers lillois et métropolitains sur le périphérique Sud. A terme, seule la réalisation du contournement Sud peut, en procédant à une déconcentration du carrefour autoroutier, remédier à la saturation aux heures de pointe de cette 2x4 voies qui n’a cessé depuis plus de vingt ans de voir son trafic augmenter.

Figure 51 - Le semi-périphérique lillois
Figure 51 - Le semi-périphérique lillois

Source : Ville de Lille

Le cas du périphérique Est est encore plus complexe tout en restant marqué par un même mélange des flux. Les modifications qu’il vient de subir illustrent parfaitement le rôle qui est désormais le sien dans le réseau d’agglomération, en conciliant, avec un certain retard, les fonctions qui lui étaient assignées dans le SDAU et d’autres plus en rapport avec les mutations métropolitaines contemporaines. Le chantier achevé en 1999 est plus qu’un lifting pour une infrastructure dont nous avons souligné l’aspect dépassé et délabré. Il relève véritablement de la construction d’une nouvelle infrastructure, plus imposante et pour laquelle les viaducs ont succédé aux autoponts en tant que symbole de la modernité automobile mise au service de l’image de la métropole lilloise. Outre cette surélévation générale de la voie, le nouveau tronçon du périphérique présente la particularité de décaler ostensiblement la ceinture vers l’est, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, l’inscription spatiale d’une voie rapide portée à 2x5 voies et destinée à accueillir quotidiennement plus de 100.000 véhicules relevait du casse-tête dans un secteur fortement occupé par les infrastructures routières et ferroviaires. Si la solution souterraine permettait de passer outre ce problème tout en atténuant les nuisances liés à son passage, elle s’avérait également trop coûteuse et risquée du fait de la présence d’anciens marécages sur le site. Le viaduc s’est donc imposé comme l’option la plus appropriée et le périphérique a pu, en se déportant vers l’est, superposer son tracé aux emprises des voies ferrées et par la même occasion les nuisances inhérentes à leur présence respective.

La nouvelle implantation a également eu pour conséquence de rapprocher le boulevard périphérique de la Voie Rapide Urbaine. Or l’amélioration de la continuité entre les deux infrastructures est un des objectifs de cette restructuration. 2x2 voies sont consacrées à cet itinéraire qui tend à concrétiser non seulement une liaison rapide entre les trois centres originels de la conurbation mais aussi l’axe de transit nord-sud entre l’A.1 et l’A.22 qui devait exister originellement. Certes, la signalétique mise en place incite aujourd'hui à diriger ces flux vers l’extérieur de l’agglomération, sur le ring transfrontalier oriental. Les trajets les plus directs restent néanmoins intra-urbains, que ce soit par la rocade Est de Villeneuve d’Ascq ou par ce parcours dont le réaménagement correspond à une offre qualitativement et quantitativement augmentée. Il faut dire que le maître d’ouvrage de ce chantier est l’État et que les modalités du financement montrent qu’il s’agit d’un projet dont l’intérêt n’est pas seulement local : le coût de l’ouvrage est réparti entre l’État (27,5%), le Conseil Régional (27,5%), le Département (27%) et la Communauté Urbaine (18%). Si sa réalisation s’en est trouvée facilitée, ce n’était pas sans contrepartie.

Enfin, la dimension essentielle du déplacement du boulevard périphérique tient dans la connexion du projet avec la stratégie de développement de l’hypercentre lillois. En effet, ce repositionnement dans l’espace va permettre, outre le réaménagement de l’ancienne voie en boulevard urbain, de dégager des réserves foncières très bien situées liées aux servitudes non aedificandi, afin de mener un programme ambitieux entamé avec la construction de la gare TGV et d’Euralille pour voir s’ériger là, autour de son quartier des affaires, le nouveau centre directionnel de la métropole. La réussite d’un tel projet repose en partie sur l’accessibilité du site. Avec un périphérique dont 2x3 voies lui sont destinées, il dispose, en matière de desserte routière, d’atouts qui sont habituellement l’apanage des pôles de centralité périphérique. Cette nouvelle voie rapide remplit alors une fonction axée sur la pénétration en direction d’un centre de plus en plus « excentrique » 739 , dont Euralille est l’emblème, et non sur la protection de cet espace.

Par leur taille et leur position dans l’agglomération, les villes intra-muros de Lille et de Lyon ne sont pas soumises à la même pression de la part du transit d’agglomération. Si le centre lillois n’offre pas la même perméabilité à ce type de flux, c’est aussi parce qu’il est spatialement moins concerné par ces trajets et qu’il n’a pas le même besoin de protection. Dans ce cadre, le boulevard périphérique existant suffit généralement à éviter la traversée de cet espace par des flux extérieurs. Il lui revient donc de répondre à d’autres priorités en participant à l’accessibilité et au désenclavement des différents secteurs de l’agglomération. Ces valeurs, dont il est porteur et qui le placent au cœur du carrefour autoroutier et de l’organisation interne des déplacements, avivent « la volonté d’inverser [une] politique "au fil de l’eau" en orientant également le développement économique de la Métropole lilloise vers le cœur de la Métropole. » 740 Prenant appui sur ces infrastructures routières, l’hypercentre tend à s’y arrimer en prenant le parti d’un urbanisme de façade par rapport aux grandes voies rapides urbaines.

Cette stratégie n’est pas forcément exportable dans la mesure où elle s’adapte à des conditions urbaines spécifiques, qui associent centralité polynucléaire et métropolisation. Surtout, elle a un coût, que ce soit en termes d’insertion urbaine des infrastructures routières ou de fonctionnement du tissu urbain interstitiel aux centres de la conurbation. Il apparaît enfin qu’elle n’est soutenable à terme que parce qu’elle dispose d’autres modes de transport alternatif à l’offre automobile 741 et si, fidèle au principe d’auto-production du territoire de l’automobile-reine, elle réussit à imposer l’adjonction d’aménagements routiers complémentaires, qu’il s’agisse du grand ring d’agglomération ou de nouvelles pénétrantes.

Notes
737.

P. BRUYELLE, 1981, op.cit., p.427.

738.

Même si, dans les deux derniers cas cités, ils disposent à une plus petite échelle de trajets alternatifs.

739.

L’expression est de Pierre Bruyelle.

740.

CETE Nord-Picardie, 1997, op.cit., p.16.

741.

Euralille est desservi par deux gares, la gare Lille Europe pour les liaisons à longue distance et la gare Lille Flandres pour un des réseaux de chemin de fer régional les plus efficaces de France.