Plusieurs grilles de lecture concernant les variations du modèle global ont déjà été élaborées. Nous en avons retenus deux, pour l’intérêt des éclairages qu’elles proposent sur les rapports entre espace et mobilité.
En cherchant à définir des futuribles pour les agglomérations françaises, Alain Bieber, Marie-Hélène Massot et Jean-Pierre Orfeuil ont élaboré trois scénarios dépendant de l’organisation sociale, des dynamiques urbaines et des politiques de transport :
Cet univers des possibles théoriques est inspiré de situations et d’expériences culturellement très marquées. Si les villes françaises sont censées être susceptibles dans l’avenir d’emprunter à chacun de ces modèles prospectifs, ces derniers soulignent en revanche l’impossibilité d’envisager les choix politiques indépendamment de leur contexte économique, social, institutionnel et bien sûr spatial.
Gabriel Dupuy distingue, quant à lui, plusieurs « territoires de l’automobile ». Les trois types principaux qu’il établit formalisent en fait des territorialités, des formes de reconquête territoriale, des rapports à l’espace et aux territoires différents même s’ils ont tous été permis par l’automobile. Il y a le « territoire » suburbain, pour lequel l’automobile a permis aux populations d’aller habiter loin des centres-villes, induisant un relâchement progressif des liens avec le centre, l’émergence de nouvelles centralités mais aussi une moindre nécessité de fortes densités urbaines. Il y a le « territoire » rurbain qui, en connaissant grâce à la voiture particulière un élargissement des territoires du quotidien, se caractérise par l’importance des liens de toute nature conservés par les urbains avec la ruralité, notamment à travers le réseau familial étendu. Il y a enfin le « territoire » touristique, pour lequel l’automobile représente l’instrument de la quête d’un ailleurs, un anti-ville symbolisé par la nature ; pour ce dernier type, la voiture particulière permet la découverte de paysages nouveaux que la ville n’a pas artificialisés et la réalisation d’activités de loisirs, là encore à bonne distance des villes.
Ces modèles purs peuvent en fait être rapportés à des réalités observables dans un cadre national : le territoire suburbain est particulièrement développé aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, le territoire rurbain a sans doute trouvé en France sa meilleure illustration, tandis que l’Allemagne a largement adhéré au modèle du territoire touristique. De même, les combinaisons et les évolutions qu’ils peuvent subir dessinent elles aussi des spécificités nationales : la France développe par exemple un modèle périurbain dérivé du « territoire » suburbain et l’Allemagne tend à proposer un modèle interurbain inspiré du « territoire » rurbain. Finalement, l’un des intérêts de cette typologie est de « montrer que la redéfinition des territoires par le système automobile ne pouvait se faire que dans le cadre de grands types correspondant grosso modo à des caractères nationaux : production automobile, réseau routier, réseau urbain (au sens géographique du terme), sans parler des données socio-économiques générales (revenus, histoire de l’urbanisation). » 830 Aussi faut-il admettre que l’usage qui est fait de l’automobile, sa place dans la société et dans les pratiques spatiales et, ce faisant, la nature des transformations urbaines qui lui sont imputables s’inscrivent dans une organisation socio-spatiale fortement déterminée par l’appartenance nationale.
Outre les différenciations qu’elles établissent, ces deux typologies nous invitent donc à considérer l’influence du contexte macroscopique, et notamment des spécificités nationales, sur les variations du modèle territorial.
A BIEBER, M.H. MASSOT, J.P. ORFEUIL, Questions vives pour une prospective de la mobilité quotidienne, Rapport de convention INRETS-DATAR, INRETS, septembre 1992, p.58.
J.P. ORFEUIL, 1994, op.cit., p.67.
A BIEBER, M.H. MASSOT, J.P. ORFEUIL, op.cit., p.61.
G. DUPUY, 1995, op.cit., p.118.