Ne serait-ce qu’en raison de la durée quotidienne d’immobilisation de ce véhicule particulier, « le problème du logis de l’automobile, comme annexe plus ou moins proche du logis humain, est (…) aussi ancien que l’automobile elle-même ; il est même précédé par la question du remisage des voitures hippomobiles, avant le début du XXème siècle. » 1294
En tant que produit de luxe, l’automobile fait d’abord l’objet d’un soin particulier, qui se traduit essentiellement par son remisage dans les anciennes écuries des maisons de maître ou dans de grands garages qui fonctionnent comme de véritables hôtels à voitures proposant une panoplie étendue de services. 1295 Progressivement, les besoins des véhicules glissent cependant « de l’entretien en garage-atelier au gardiennage. » 1296 A partir des années 30, les programmes d’habitations de standing commencent donc à consentir des efforts d’intégration de garages particuliers dans les immeubles collectifs. Dans son application à se rapprocher du domicile, l’automobile investit surtout les cours intérieures des îlots, les rez-de-chaussée des bâtiments voire les sous-sols parisiens. Mais ce mouvement demeure encore laborieux et se prête mal à généralisation, tant « il s’agit souvent de projets originaux, qui ne correspondent pas à la production de masse, même si les savoir-faire techniques progressent. » 1297 Dans ces conditions, les réponses du privé se révèlent de moins en moins satisfaisantes d’un point de vue quantitatif et le manque de garages tend à être peu à peu compensé par l’utilisation de la voirie.
Après-guerre, alors que d’importants investissements dans l’outil de production industriel et dans l’infrastructure routière accompagnent la diffusion de l’automobile, le stationnement reste à la traîne. Il apparaît oublié par les politiques publiques, marginalement visé par le lancement de produits privés spécifiques 1298 et négligé par des opérations immobilières qui ne se préoccupent plus guère d’offrir des garages intégrés aux immeubles de logement ou de bureau. 1299 Alors que Christian Gérondeau le considère comme le grand oublié de la réflexion urbaine, un orphelin situé au confluent de diverses responsabilités publiques et privées et qui n’est pris en charge par personne, Alfred Sauvy estime à cette époque que, concernant le défaut de garages, « tout a été fait pour qu’il n’y en ait pas, parce qu’ils sont nécessairement payants et que les calculs de l’industrie automobile ont été faits en excluant l’idée de paiement du logement de voiture. » 1300 En fait, cette situation doit également beaucoup aux calculs et aux stratégies qui ont cours dans le champ de la production immobilière. « Ce qui pouvait être avant-guerre un signe de distinction, une prestation offerte dans des programmes immobiliers de bon standing, devient ensuite un produit annexe moins recherché mais dont le prix de revient reste élevé. La logique de rentabilité passe avant la logique d’usage, et le garage semble négligé tant dans la production privée que dans le logement à financement aidé par l’Etat. » 1301 En la matière, la voirie fait alors office de pis-aller. Mais, si elle représente une solution pleine d’à-propos pour un stationnement automobile qui se retrouve à la rue, elle ne tarde pas moins à afficher ses limites, face à une flambée de besoins extrêmement divers qui exacerbent les conflits d’usage.
Au cours des années 60, alors que la situation devient problématique dans les zones denses des grandes villes, les pouvoirs publics prennent conscience de la nécessité de se saisir plus vigoureusement de la question du stationnement des véhicules automobiles. Pour ce faire, ils développent un processus de socialisation qui non seulement pousse à d’importantes interventions sur le domaine public mais qui se manifeste également par de nouvelles conditions de régulation d’un marché privé largement déficient jusqu’à présent. Les constructeurs immobiliers se voient ainsi obligés de répondre aux besoins en stationnement de leurs nouveaux programmes sur leur propre terrain, hors d’une voirie dont on estime qu’elle n’a pas vocation à servir de garage. Ce principe est énoncé dès le début des années 50 1302 mais n’est véritablement systématisé qu’à la suite des décrets d’application de la Loi d’Orientation Foncière de 1967. Il fait alors l’objet d’un article particulier des Plans d’Occupation des Sols, l’article 12, qui définit, pour les différentes zones de chaque commune et en fonction des activités abritées par les futures constructions, une réglementation contraignante dont l’objectif originel est ostensiblement d’accroître l’offre de stationnement privé. A cet égard, l’article 12 du POS peut sans conteste se targuer d’une réelle efficacité. Néanmoins, comme il ne s’applique pas au bâti préexistant, son influence se trouve limitée dans l’espace central, où la part de ce qui a été construit antérieurement reste prédominante – mais aussi là où cette réglementation se justifie le plus au regard de ses objectifs initiaux.
A cette volonté d’édicter des normes minimales obligatoires pour pallier à une pénurie de stationnement touchant en priorité les espaces centraux a désormais succédé une phase d’interrogation sur le contenu à donner à cet héritage réglementaire. Après s’être inscrit dans une problématique de gestion de l’espace public, le stationnement privé s’est retrouvé essentiellement cantonné dans des préoccupations relatives à la politique de l’habitat et à la politique économique. Il semble aujourd'hui s’abstraire quelque peu de ces dimensions pour s’ouvrir davantage aux questions de déplacements urbains. Cette évolution impose de procéder à des ajustements plus complexes, qui amènent à une certaine modulation de la réglementation. La loi SRU consacre cette tendance en précisant notamment, dans son article 98, que le plan de déplacements urbains a vocation à délimiter « les périmètres à l’intérieur desquels les conditions de desserte par les transports publics réguliers permettent de réduire ou de supprimer les obligations imposées par les plans locaux d’urbanisme et les plans de sauvegarde et de mise en valeur en matière de réalisation d’aires de stationnement, notamment lors de la construction d’immeubles de bureaux, ou à l’intérieur desquels les documents d’urbanisme fixent un nombre maximum d’aires de stationnement à réaliser lors de la construction de bâtiments à usage autre que d’habitation. »
Entre politique urbaine et politique de déplacements, la gestion publique du stationnement privé se trouve alors soumise à de nouvelles structures d’intérêts et confrontée à une variété d’enjeux élargie. De ce fait, c’est à l’aune des expositions locales de ce thème que nous pourrons juger de l’intensité et de la nature de sa contribution au territoire de l’automobile.
P. BELLI-RIZ, 2000, op.cit., p.12.
Cette offre privée destinée à satisfaire les premiers propriétaires d’automobiles donne lieu à quelques réalisations immobilières d’exception, qui voient le jour dans les quartiers chics des grandes villes. A Lyon, l’un des grands garages les plus luxueux de l’époque est le garage Bollache et Laroque, construit en 1932 au 67, avenue de Saxe, dans le 3ème arrondissement : il combine à l’époque les fonctions de hall d’exposition et de vente, de réparation des véhicules, de garages pour particuliers et comprend également, au dernier étage, trois courts de tennis et un salon de thé ; aujourd'hui, cet immeuble a été réaménagé pour accueillir un hôtel 4 étoiles et un restaurant.
A. PICARD, L. DELACOURT, "Les âges du stationnement", in Le stationnement résidentiel : où en est la recherche ?, Compte-rendu de la rencontre-débat du 25 janvier 2000, PUCA, p.3.
P. BELLI-RIZ, 2000, op.cit., p.69.
Il s’agit essentiellement de grands garages modernes, d’immeubles de garages construits par des professionnels de l’automobile et de l’immobilier ou de petits programmes de garages de rapport, réalisés par de petits investisseurs et qui prennent la forme souvent sommaire de batteries de boxes.
Comme le relève Pierre Belli-Riz, nombreux sont les architectes, y compris parmi ceux réputés progressistes, qui, tout en concentrant plutôt leur travail d’innovation sur la cellule-logement et sur sa production en grand nombre, affichent leur rejet ou leur négligence pour ces garages qui les fascinaient naguère, lorsqu’ils étaient encore un signe d’aristocratie, mais qui ne sont plus qu’un signe d’individualisme. Cette évolution est notamment frappante chez Le Corbusier, dont les dernières réalisations sont nettement en retard par rapport aux normes de leur époque, alors que ses projets des années 20 suggéraient des solutions audacieuses.
op.cit., p.169.
P. BELLI-RIZ, 2000, op.cit., p.71.
et a ensuite été progressivement introduit dans le droit de l’urbanisme, à partir de la loi-cadre de 1957 "tendant à favoriser la construction de logements et les équipements collectifs" qui inscrit une nouvelle disposition dans le code de l’urbanisme : « la délivrance du permis de construire peut être subordonnée à la prévision d’aménagements permettant d’assurer le stationnement hors des voies publiques des véhicules correspondant aux besoins de l’immeuble à construire. » Mais, avant la L.O.F., l’application de cette mesure est laissée à l’appréciation des communes, ce qui ne permet pas d’assister à une véritable généralisation de ce principe.