Quelques données sommaires sur l’agglomération lyonnaise suffisent à attester que la régulation publique du stationnement privé et les pratiques qui en découlent – qu’elles soient orthodoxes et contraintes ou subversives par rapport aux préconisations réglementaires et aux visées politiques – constituent des éléments marquants des configurations territoriales locales. Que ce soit au lieu de travail ou au lieu de résidence, l’offre d’emplacements de stationnement privé s’impose comme un facteur influent dans le comportement des automobilistes et donc, en définitive, comme un élément structurant du territoire urbain de l’automobile.
En 1995 1303 , en cas de mise à disposition d’une place de stationnement privé à leur lieu de travail, 66% des actifs de l’agglomération lyonnaise s’y rendaient en automobile contre seulement 14% en transports collectifs, alors que dans le cas contraire, les proportions s’établissaient respectivement à 44 et 28%. Mais, si l’on est mesure d’évoquer une différenciation territoriale, c’est que l’importance que revêt la disponibilité d’une place de stationnement gratuite à destination dans le choix modal des pendulaires s’inscrit dans un schéma spatial que l’on a déjà mis en évidence : tandis que cette disponibilité touche 68% des actifs de l’agglomération rhodanienne, ce chiffre tombe à 51% pour ceux qui travaillent sur la rive gauche du Rhône dans le centre lyonnais et à 28% pour ceux dont l’emploi est situé dans le cœur de l’hypercentre, la Presqu’île ; même si d’autres éléments interviennent, ces disparités ne sont pas sans rapport avec le fait que 75% des déplacements domicile-travail de l’agglomération soient effectués en voiture particulière, mais que cette part de marché se réduise à 64 et 43% pour les déplacements à destination de la rive gauche et de la Presqu’île. L’offre de stationnement privé au lieu de travail se présente donc comme un facteur permissif influent – à défaut d’être exclusif – de la préférence pour l’automobile et comme un élément limitatif à cet égard dans les espaces centraux. Pire, « c’est aussi une incitation indirecte à la péri-urbanisation : dans la recherche des localisations résidentielles, la proximité du lieu de travail passe au second plan vis-à-vis de la recherche de l’espace et de la tranquillité, dès lors que les trajets domicile-travail peuvent s’effectuer en voiture avec, à la destination, une place de parking gratuite mise à disposition par l’employeur. » 1304 Il apparaît alors que, même si ce qui motive les déplacements individuels motorisés se situe souvent au-delà de cette commodité, une limitation de l’offre demeure un intéressant instrument d’une stratégie de contestation de l’automobile.
En ce qui concerne les logements, on peut d’abord observer, outre une nette différenciation entre le noyau central et les couronnes périphériques de l’agglomération lyonnaise 1305 , la persistance de réelles disparités de motorisation pour les résidents au sein même de la ville-centre. 1306 Or, la cartographie de ces disparités pour les arrondissements de Lyon dessine une image relativement proche de celle de l’offre de stationnement au logement (figure 65). A une échelle plus fine, en l’absence de croisement possible entre les deux variables précédentes 1307 , il apparaît ensuite que c’est avec l’âge du bâti, qui constitue un bon indicateur de la disponibilité de places privées au logement (tableau 20), que la distribution des taux de motorisation dans l’espace central est le plus fortement corrélée 1308 : il existe en effet une corrélation significative de 0,75 entre la motorisation des ménages et la proportion de logements construits après 1968, année la plus proche de la date d’introduction dans les règlements d’urbanisme de la prescription visant à intégrer systématiquement la réalisation de stationnement privé dans les programmes immobiliers. 1309 Cette relation statistique peut laisser supposer l’existence d’un lien entre les choix résidentiels de la population motorisée et la disponibilité d’une place de stationnement privé intégrée à l’habitation mais elle ne le garantit aucunement et il convient de rester prudent quant à cette interprétation 1310 ; d’autant que « toutes les recherches territorialisées ont démontré la plasticité des populations résidentes des centres : choix culturel et personnel ; solutions sur mesures ; résignation à certaines contraintes ; reports modaux… dans le faisceau des critères de choix résidentiel le stationnement n’est pas isolable ». 1311 Il n’en apparaît pas moins que l’offre de stationnement en complément du logement se présente comme un élément qui n’a rien de dérisoire à l’égard de la composition résidentielle des espaces de la ville dense héritée. Un accroissement de cette offre s’avère en effet susceptible de participer à un certain renouvellement de la population, dès lors que l’amélioration des conditions de vie quotidienne proposée aux résidents motorisés génère une valeur ou implique un coût, instituant ainsi des mécanismes à même d’établir un accès plus sélectif au logement. De même, la limitation des possibilités de stationnement résidentiel, si elle n’implique pas fatalement de renoncer à la possession d’une automobile en ville, tend à induire un relatif maintien à distance de certaines catégories de population, notamment des ménages les plus motorisés voire, selon les cas, des possesseurs d’automobile les moins fortunés. 1312
Source : CETE de Lyon
Ensemble |
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En pourcentage : des logements en résidence principale |
35,4 |
15,8 |
69,1 |
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des immeubles d’habitat collectif | 37,5 | 22 | 88,5 |
Source : INSEE, RGP 1999
Ce cadrage préliminaire entend permettre une meilleure appréciation de la qualité des enjeux attachés à la régulation du stationnement privé, dans le champ des déplacements comme dans le champ urbain. C’est à la lumière de cet éclairage que vont à présent être étudiées les politiques menées dans l’agglomération lyonnaise – plus particulièrement dans son espace central, où les contraintes, les pressions et les intérêts sont les plus concentrés et les plus forts – et les pratiques qu’elles suscitent. Il s’agira de mettre en évidence les mécanismes qui, d’abord au lieu de travail, puis au lieu de résidence, façonnent les dynamiques qui animent le territoire urbain de l’automobile.
Les chiffres proviennent de l’enquête ménages.
J. VIVIER, op.cit., p.14.
voir l’analyse développée dans la partie 6-1-2 et les cartes publiées dans l’annexe 4.
Les données par quartier INSEE témoignent d’écarts encore plus importants que la carte par arrondissement, qui lisse davantage les différences.
Si le Recensement Général de la Population de 1999 fournit pour la première fois des statistiques sur la disponibilité d’un garage, box ou parking au lieu de résidence principale, le traitement fin de ces données, par quartiers INSEE au niveau des communes, n’est malheureusement pas disponible.
parmi toutes les variables retenues lors de l’analyse développée dans le chapitre 6 et dans l’annexe 4, à l’exception malheureusement du revenu, pour lequel aucun indicateur n’est disponible au niveau des quartiers INSEE.
Ces calculs ont été effectués à partir des données du recensement de 1999. Dans ce cadre, nous avons retenu 1968, dans la mesure où c’est la date disponible qui est sans doute la plus à même d’évoquer les conséquences du PUD, lancé en 1958 et qui a contribué à prescrire la réalisation de places de stationnement dans les permis de construire à partir des années 60. Quant à 1975, elle constitue l’échéance de recensement la plus proche de l’année d’adoption du premier POS de Lyon (1978), mais la corrélation entre le taux de motorisation des ménages et la proportion de logements construits après 1975 n’est guère différente, puisqu’elle est de 0,69. Le choix de ne retenir que ces deux dates repose sur l’hypothèse, qui nous paraît tout à fait soutenable, que l’essentiel des places de stationnement privé sont liées à l’introduction progressive de l’obligation réglementaire.
En effet, un coefficient de corrélation élevé entre deux variables n’implique pas nécessairement une relation de cause à effet. De plus, il n’est pas exclu qu’à travers l’âge du bâti ce soient d’autres facteurs implicites (sociologiques, économiques, démographiques… etc.) qui s’expriment, plutôt que l’offre de stationnement privé. Enfin, il faut se méfier de ce que l’on nomme l’erreur écologique, qui consiste à inférer d’une corrélation à l’échelle des unités spatiales une corrélation à l’échelle des individus qui la composent : ainsi que l’ont montré les travaux d’Émile Durkheim sur le suicide (1897, Le Suicide. Étude de sociologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1960 ; étude mettant notamment en évidence une relation entre le taux de suicide et la proportion de protestants dans la population, mais sans que cela ne permette de déduire que le suicide soit plus fréquent chez les protestants car en l’occurrence cela peut aussi bien signifier que le suicide est d’autant plus fréquent chez les catholiques qu’ils sont en minorité parmi les protestants), une forte corrélation entre la motorisation des ménages et l’âge du bâti ne suffit pas à conclure que les ménages les plus motorisés tendent prioritairement à s’installer dans les logements les plus récents.
J. FRENAIS, "Le stationnement à la rescousse", in Diagonal, n°147, janvier-février 2001, p.37.
la rareté conduisant logiquement à une sélection par les quantités ou par les prix.