A l’image de son équivalent au lieu de travail, la question du stationnement au lieu de résidence n’est pas épargnée par les difficultés d’articulation entre dynamique du marché et régulation collective, même si c’est selon des modalités et des logiques sensiblement différentes. C’est encore une fois dans les zones urbaines denses et héritées que s’expriment l’essentiel de ces contradictions. Elles résultent pour beaucoup de l’inadaptation d’un parc immobilier ancien à une société de motorisation de masse dont ces espaces ne sont pas tenus à l’écart, même s’ils y occupent une position particulière. Dans un contexte où l’espace public est lui-même saturé et fait l’objet de conflits d’usage incessants, les pressions sur l’espace privé et sur la disponibilité d’une place de stationnement en complément du logement tendent alors à s’accroître dans ces quartiers qui connaissent, eux aussi, une réduction de la part des ménages sans voiture et une croissance de la multimotorisation. Or la réaction du marché immobilier à ces pressions n’est pas aussi mécanique que les prédicateurs de l’adaptation spontanée de l’offre à la demande aiment à le faire croire, tandis que les politiques publiques restent tiraillées entre des questions d’habitat et de déplacements. Il se déroule ainsi un jeu complexe entre les agents du champ urbain, qui pose d’abord la question des normes, de leur logique de fixation et des comportements qu’elles induisent, mais qui porte également à considérer les nombreuses solutions pratiques tentant de concilier les enjeux du stationnement résidentiel privé avec ses logiques de production.
Jusqu’en 1993, l’article 12 prescrivait pour la grande majorité des espaces de la ville de Lyon la réalisation de 1,2 places minimum par logement. Aux dires des promoteurs et des techniciens locaux, en règle générale, la réalité de la construction s’en tenait alors au respect de cette obligation réglementaire. Des invitations contradictoires à une modification de la norme sont néanmoins lancées en vue de la révision du POS de 1994 : aux sollicitations de quelques associations de résidents favorables, compte tenu de l’essor de la motorisation, à une offre plus étoffée 1367 font face les souhaits des constructeurs marqués par la crise de l’immobilier et plaidant pour un abaissement des normes exigées. 1368
La modification qui est finalement validée étend aux logements le mode de calcul fondé sur la Surface Hors Œuvre Nette et s’affiche comme un arbitrage à la hausse. En imposant la construction d’au moins une place pour 75 m² de SHON, avec un minimum d’un emplacement par logement, cette nouvelle norme est censée entraîner un accroissement sensible du nombre de places construites. 1369 Mais la souplesse qu’elle entend également introduire vis-à-vis des constructeurs – en atténuant la contrainte qui pèse sur les petits appartements et en la renforçant sur les plus grands – va contribuer à produire l’effet inverse. Cette inversion procède-t-elle alors d’une stratégie délibérée des professionnels de l’immobilier qui, profitant de cette règle à deux volets, jouent sur la taille des logements pour augmenter, par la production de plus petits appartements, le rapport entre le nombre de logements à vendre et la quantité de places de stationnement à construire ? Ou découle-t-elle des dynamiques globales d’un marché du logement neuf qui tend à proposer davantage de petits appartements et à réduire la taille des grands ? 1370 Quoi qu’il en soit, le résultat est le même : sous l’effet de cette évolution réglementaire, la production privée de stationnement résidentiel tombe en moyenne à 1,1 places par logement dans les nouveaux immeubles du centre lyonnais.
En fait, les professionnels de l’immobilier estiment généralement que la nouvelle norme, au-delà d’une réelle aptitude à ménager leurs intérêts particuliers, permet de réguler le marché au plus près de la demande effective. Par rapport à sa devancière, elle semble en effet contribuer à une réduction notable des places de stationnement invendues. Pour le reste, si les nouveaux programmes immobiliers satisfont de meilleure grâce à cette obligation réglementaire, ils continuent à ne la dépasser qu’exceptionnellement, pour des raisons de coût naturellement mais aussi pour des motifs purement commerciaux. D’abord, contrairement au discours de certains habitants, l’achat ou la location de plusieurs places de stationnement privé au lieu de résidence demeure une pratique exceptionnelle. 1371 Même la progression de la multimotorisation des ménages ne modifie guère pour l’instant cette donnée de base, dans un contexte surdéterminé par les questions économiques 1372 et par des approches individuelles du stationnement qui n’oublient jamais d’envisager les opportunités offertes sur le domaine public. Enfin, la commercialisation de places privées hors de l’immeuble où elles sont construites reste une opération marginale. Il s’agit pourtant d’une idée séduisante qui permet de diffuser dans l’espace ces solutions privées de stationnement résidentiel et qui, à ce titre, est considérée avec bienveillance par les responsables publics. 1373 Mais elle se heurte inlassablement à l’incertitude qui entoure les comportements des résidents 1374 ainsi qu’aux réticences des constructeurs. 1375 De plus, elle est confrontée à une contradiction forte, puisque c’est dans les quartiers anciens où il se construit le moins de logements neufs que les contraintes spatiales existantes lui assurent le plus de chances de succès.
En matière de stationnement résidentiel privé, on observe donc pour la zone dense une prégnance incontestable des contraintes du marché immobilier. 1376 A cet égard, les intérêts des constructeurs privés ne sont d’ailleurs pas les plus ménagés. Les logements locatifs bénéficiant d’une aide de l’État 1377 jouissent en effet, depuis 1994, d’une norme de construction de stationnement allégée, puisqu’elle n’est plus que d’une place minimum pour 150 m² de SHON. Cette mesure, prise à Lyon en anticipant légèrement la modification du code de l’urbanisme instituant cette possibilité 1378 , vise à la fois à limiter la participation financière de la collectivité 1379 et à ne pas pénaliser la construction de logements sociaux. Néanmoins, en atteignant une population dont la motorisation n’est en rien marginale, elle introduit une discrimination peu légitime qui accentue par ailleurs les difficultés globales de gestion du stationnement résidentiel.
En définitive, si les normes de construction de places s’ajustent plutôt bien aux réalités du marché du logement, elles entretiennent en revanche des dissonances persistantes avec d’autres enjeux prioritaires de la politique urbaine. Ainsi, leur pondération n’est pas sans conséquences sur la gestion de l’espace public, sur son encombrement et donc sur son ouverture aux différentes catégories d’usagers-automobilistes mais aussi sur la qualité de vie urbaine qu’il peut proposer. Or, en dépit des pressions suscitées par une motorisation croissante, les pouvoirs publics lyonnais peinent encore à substituer, à travers leurs mesures d’encadrement du stationnement privé, la recherche d’une meilleure habitabilité au souci premier de dynamique du marché immobilier. Doit-on, pour l’expliquer, laisser entrevoir la constance d’un décalage entre préservation d’intérêts catégoriels et objectifs de régulation collective ? Ou, plus simplement, regretter que « la norme réglementaire, avec sa rigidité intrinsèque, [ne soit] pas insérée dans une pensée globale de l’équilibre entre public et privé pour favoriser l’accessibilité urbaine » 1380 ? Quelle que soit la vision retenue, il apparaît en tout état de cause que les ambitions de la politique locale de stationnement résidentiel ne peuvent être pleinement satisfaites par le seul jeu des agents privés, dès lors que les obligations réglementaires auxquelles ces derniers sont soumis « doivent leur orientation et leur efficacité à la structure des relations objectives entre ceux qui les engagent et ceux qui les subissent. » 1381
Un certain nombre de petits arrangements avec la norme 1382 peut toutefois permettre d’atténuer les contraintes qui dissuadent les producteurs privés de développer une offre de stationnement résidentiel plus ambitieuse dans leurs programmes immobiliers. A Lyon, la principale disposition technique allant dans ce sens réside dans la possibilité de faire dépasser, jusqu’à 1,50 mètre au-dessus du sol naturel d’origine, la dalle qui recouvre le dispositif de stationnement souterrain, à condition que ce dernier comporte au moins deux niveaux de sous-sol. Ainsi, dans de nombreux cas, les constructeurs échappent à la nappe phréatique et sont dispensés de réaliser un cuvelage générant des surcoûts qui pèsent sur l’économie du stationnement résidentiel. Une seconde disposition, réclamée par un certain nombre de constructeurs et de propriétaires, concerne l’utilisation des rez-de-chaussée des immeubles de logements. Peu prisés des résidents et souvent délaissés par les petits commerces, ces volumes pourraient, dans des secteurs péri-centraux souffrant d’une pénurie de stationnement, trouver avantage à se voir transformer en garages. 1383 Mais, jusqu’à présent, les autorités lyonnaises se sont refusées à autoriser ces aménagements, craignant pour les alignements commerciaux existants – ces activités seraient alors soumises à une nouvelle concurrence difficile à réguler – et pour la qualité esthétique des paysages urbains qui en résulteraient. Cela tend à prouver que, s’il existe des arrangements fructueux, il n’y a pas de solution miracle et que ces dispositions sont elles aussi confrontées à des enjeux contradictoires. C’est ainsi que la construction d’immenses dalles de stationnement occupant l’ensemble d’une parcelle est aujourd'hui contestée : elle apparaît peu compatible avec le souci de constituer un patrimoine d’espaces verts de qualité, en pleine terre, dans des cœurs d’îlot pourvus de belles pelouses et d’arbres de haute tige ; si bien qu’au sein des services d’urbanisme du Grand Lyon, certains techniciens commencent à défendre l’idée d’une limitation des emprises au sol des dispositifs de stationnement souterrain, même si cela aurait pour corollaire un accroissement du nombre de niveaux de ces installations et donc un surenchérissement de leur coût. 1384 Enfin, dernier petit arrangement plus conventionnel, les tentatives de foisonnement présentent à Lyon un bilan peu convaincant qui porte à s’interroger sur leur intérêt. Si l’idée consistant à exploiter les capacités de stationnement diurne généreusement offertes aux employés des bureaux en faveur des besoins nocturnes des résidents peut sembler séduisante de prime abord, elle comporte deux faiblesses importantes : elle s’accommode mal de l’application du principe de zonage et se trouve par conséquent difficile à organiser, du fait de la faible mixité fonctionnelle des immeubles mais aussi souvent des quartiers ; surtout, si elle relève d’une stratégie judicieuse dans les limites strictes du marché du stationnement privé, elle se révèle plutôt pernicieuse en termes de gestion globale des déplacements, puisqu’elle conduit à légitimer encore un peu plus l’offre d’emplacement gratuit à destination des pendulaires, tout en encourageant les résidents à utiliser leur voiture la journée pour aller travailler. Elle incarne de ce fait l’archétype de la fausse bonne idée dans l’optique d’une contestation du territoire de l’automobile.
On l’aura compris, l’organisation du stationnement des automobiles à domicile doit composer, dans les espaces de la zone dense, avec une dialectique complexe : en raison du caractère ancien du tissu urbain, elle présente une insuffisance durable de l’offre par rapport à l’équipement des ménages (figure 67 1385 ), alors même que les contraintes du marché des immeubles neufs d’habitation obligent à une certaine modération de la contrainte réglementaire. 1386 C’est pourquoi, en dépit des objectifs initiaux de l’article 12 du POS, le stationnement des résidents continue de peser sur l’espace public. 1387 Doit-on pour autant conclure à la faillite de la philosophie sous-tendant l’article 12 ? Ou, plus modérément, ainsi que nous avons tenté de le faire, mettre en lumière les difficultés auxquelles cette réglementation a été confrontée et admettre simplement son incapacité à solutionner l’ensemble des problèmes rencontrés dans cette partie de l’espace urbain. Si cette seconde position nous semble plus pertinente, son mérite tient aussi à ce qu’elle incite finalement à considérer les logiques profondes, dont la régulation publique du stationnement résidentiel privé peut être porteuse, dans le champ des déplacements comme dans le champ urbain.
En l’occurrence, le champ des déplacements offre à cet égard, il faut bien le reconnaître, une lisibilité relativement médiocre. Il demeure difficile d’identifier l’impact des orientations propres à ce volet de la politique de stationnement résidentiel sur la manière dont s’organisent les déplacements urbains. En effet, il existe encore à ce sujet de trop nombreuses indéterminations. La première incertitude concerne l’occupation réelle des emplacements par les résidents : ces agents sont loin de renoncer systématiquement à garer leur véhicule dans les rues de leur quartier, dès lors qu’ils disposent d’une place sous leur immeuble d’habitation ; d’abord, parce qu’un box privé de stationnement ne sert pas uniquement à l’automobile du ménage mais joue pleinement son rôle d’annexe au logement, en assumant une fonction de remisage en tout genre qui peut parfois aller jusqu’à empêcher celui de la voiture particulière ; ensuite et surtout, en raison de l’attrait persistant exercé par le domaine public, notamment lorsque le stationnement y est gratuit la journée et pas trop difficile le soir. 1388 Tout en influant sur l’offre de stationnement public à destination des autres usagers, ces comportements n’ont pourtant qu’une résonance lointaine dans la sphère des déplacements. Si la connaissance de l’offre de stationnement privé peut apporter des convictions limitées par les incertitudes d’utilisation, cette disjonction semble intéresser avant tout des questions d’occupation de l’espace public. Elle participe toutefois à une deuxième incertitude, essentielle celle-là, puisqu’elle interroge le rapport qui s’instaure entre la possession et l’usage de l’automobile en milieu urbain. Tout le problème consiste à savoir si le développement du stationnement résidentiel parvient à favoriser réellement le maintien à domicile des véhicules particuliers. Or, en ce domaine, les connaissances font cruellement défaut. On ne peut guère que se contenter de reconnaître que, si la jouissance d’un garage apparaît comme l’invitation la plus directe à y laisser sa voiture, satisfaire à un idéal d’usage parcimonieux de ce mode dans une société motorisée nécessite la réunion de bien d’autres conditions que l’investissement dans le stationnement résidentiel, qu’il soit privé ou public. Enfin, la troisième incertitude majeure concerne l’impact sur la motorisation elle-même. Il n’est pas rare d’entendre ou de lire qu’il « serait souhaitable de réduire sensiblement le ratio "nombre de places de parking par logement", afin de diminuer le prix des logements neufs et de limiter la tendance à la multi-motorisation des ménages. » 1389 Le second terme de cette proposition reste néanmoins éminemment contestable, dans la mesure où, au sein de la zone dense, le niveau de motorisation des ménages n’obéit pas mécaniquement aux conditions de stationnement, telles qu’elles existent au lieu de résidence voire même à l’échelle du quartier. Ainsi, sur la rive gauche de Lyon, le 6ème arrondissement « cumule tous les handicaps avec la part de logement ancien la plus importante, l’offre hors voirie la plus faible, les places payantes sur voirie les plus élevées. Le taux d’équipement en voiture particulière est, malgré les considérations précédentes, le plus élevé du territoire étudié » 1390 et témoigne finalement d’une large soumission à d’autres logiques et à d’autres échelles. 1391 Au final, ces différentes indéterminations portant sur les enjeux réels du stationnement résidentiel privé expliquent sans doute qu’il n’interfère que faiblement avec les grandes orientations de la politique de déplacements, telles qu’elles sont définies localement.
Le champ urbain présente en revanche, à l’égard de ce pan singulier du territoire de l’automobile qu’est le stationnement privé résidentiel et de ses implications, une toute autre faculté d’appréciation. Ainsi que nous l’avons évoqué précédemment, cette faculté est d’abord perceptible au niveau des enjeux relatifs à la gestion de l’espace public. En la matière, l’évaluation des actions entreprises peut être réduite à une équation élémentaire : débarrasser l’espace public des véhicules des résidents permet non seulement d’accroître l’offre de stationnement à destination des autres catégories d’usagers mais aussi de réaffecter l’espace ainsi libéré au profit d’autres fonctions urbaines. Seulement, il apparaît aujourd'hui que, dans la zone dense de l’agglomération lyonnaise, la mise en pratique de cette équation est restée largement fragmentaire, autant en raison de l’insuffisance globale de l’offre privée que des modalités pratiques de gestion de l’espace public. En fait, le stationnement résidentiel privé s’inscrit plus généralement dans des orientations stratégiques qui entendent en priorité soutenir l’habitabilité de l’espace central, même si les moyens pour parvenir à cette fin peuvent paraître divers voire contradictoires : qu’ils consistent à dispenser les opérations de réhabilitation d’immeubles anciens de l’obligation de réalisation de places de stationnement, pour ne pas accroître leur coût… 1392 ; ou qu’ils visent à développer la construction d’emplacements privatifs considérés comme des éléments d’attraction de la population motorisée, afin de ne pas « réserver les centres-villes aux catégories de population les moins dépendantes de la voiture : jeunes, célibataires, personnes âgées » et d’éviter « que, par l’intermédiaire des règles de stationnement, on en arrive à spécialiser certains quartiers et à diminuer la liberté de choix des habitants » 1393 … ; dans un cas comme dans l’autre, ces mesures ont finalement accompagné des processus résidentiels qui ont rendu ces quartiers de moins en moins accessibles aux revenus modestes. Ainsi, « les dynamiques de rénovation des quartiers et de réhabilitation des logements anciens ont constamment réduit l’habitat des ménages à faibles ressources », si bien qu’il est devenu difficile de parler « du maintien d’une mixité socio-résidentielle mais plutôt de la mise en place d’une répartition en mosaïque, qui juxtapose des immeubles et des populations de conditions très différentes. » 1394 De même, si l’on relève une certaine accentuation des ségrégations socio-spatiales, c’est aussi parce que « les immeubles sont munis obligatoirement de places de stationnement en sous-sol dans la généralité des cas, en proportion variable des logements (une ou deux places), ce qui grève lourdement les coûts de construction et explique, en grande partie, la réservation de plus en plus forte des parties habitées des hypercentres aux classes supérieures. » 1395 Même si la possession d’une automobile n’a aujourd'hui plus grand chose d’un privilège social en soi, on peut donc estimer qu’en vertu du processus de réinvestissement des quartiers centraux, la possession d’une automobile dans les espaces de la ville dense tend à devenir à la fois le signe d’un pareil privilège et l’un des moteurs de cette distinction.
Plus de trente ans après l’invention des POS et de l’article 12, la disponibilité d’une place de stationnement privé au lieu de résidence est indéniablement devenue un facteur de différenciation influent au sein des structures spatiales héritées. C’est par ce biais, plus proche des questions d’habitat que des questions de déplacements, qu’à Lyon l’offre privée de stationnement résidentiel prend le plus visiblement part aux dynamiques qui animent le territoire urbain de l’automobile. Expression de cette primauté de l’appartenance au marché immobilier, la stabilité actuelle des normes de stationnement pour les immeubles d’habitation 1396 n’aidera vraisemblablement guère les enjeux de déplacements et les considérations sociales à s’extraire dans un avenir proche de leur caractère secondaire ou non révélé.
Entre les préoccupations qui s’expriment dans la politique lyonnaise de stationnement privé au lieu de travail et celles qui s’affirment au lieu de résidence, il existe donc un léger décalage : si l’on observe dans le premier cas l’esquisse d’une articulation avec les problématiques de déplacements, cela apparaît moins nettement pour le second, où d’autres impératifs continuent à s’imposer. Pour autant, dans les deux cas, ce sont les mêmes limites à la mise en œuvre d’une stratégie de contestation de l’automobile qui transparaissent, dévoilant un intérêt certes croissant pour cette stratégie mais encore peu intégré aux logiques du marché et qu’à ce titre les pouvoirs publics peinent à appuyer. Cet état du rapport de force déborde néanmoins assez largement le cadre local et dévoile une inertie plus générale des schémas structurels anciens : ainsi, dans les années 50, il pouvait apparaître légitime de soumettre les emplacements privés de stationnement résidentiel à la fiscalité locale, tant cela venait sanctionner des positions privilégiées ; aujourd'hui en revanche, cette disposition risque non seulement de renforcer une distinction territoriale fondée sur la solvabilité des ménages mais elle se justifie d’autant moins au regard des ambitions de la politique urbaine contemporaine qu’elle s’adresse à des automobilistes qui s’appliquent théoriquement à ne pas laisser leur véhicule sur le domaine public. Au final, au-delà de l’éclairage particulier qu’il apporte, cet ultime exemple illustre bien la difficulté des politiques locales à dépasser plus généralement une dialectique persistante fondée sur l’idée « de taxer le logement et de subventionner le déplacement domicile-travail. » 1397
Certaines associations tendent à réclamer, sans en mesurer véritablement les conséquences et pour parer à une éventualité de bimotorisation dont par ailleurs elles n’évaluent guère la réalité, une norme minimale de 2 places par logement.
Ils justifient essentiellement cette position par le coût de ces dispositifs de stationnement. En effet, si la construction d’un emplacement en surface vaut de 10 à 20.000 francs (1.500 à 3.000 euros), l’obligation quasi-généralisée de construire ces places en souterrain dans la zone dense génère un coût unitaire grossièrement compris entre 60.000 francs (9.000 euros) au premier sous-sol et 120.000 francs (18.000 euros) dans le cas d’un deuxième sous-sol nécessitant la réalisation d’un cuvelage en raison de la nappe phréatique (ce qui est très fréquent sur le territoire lyonnais). Or, Lyon n’est pas Paris et les prix du marché font qu’il n’est pas toujours possible de vendre ces places ne serait-ce qu’à prix coûtant (d’autant plus que si le coût de revient d’un emplacement situé au –2 est plus important, son prix de vente, lui, est plus faible). Pour mieux mesurer la probabilité que la vente d’un emplacement privé se fasse à perte, il faut savoir que le prix de vente moyen d’une place de stationnement privé à domicile avoisine 70.000 francs (11.000 euros) à Lyon – même si cette moyenne recouvre des disparités importantes et s’inscrit dans une fourchette relativement large (une étude menée en 1993 sur le rive gauche a ainsi montré que les prix s’établissaient entre 40.000 francs dans le 7e arrondissement et 160.000 francs dans le 6e arrondissement, mais plus généralement entre 60.000 et 100.000 francs, in Agence d’Urbanisme de la Communauté Urbaine de Lyon, Le stationnement des résidants dans les 3 ème , 6 ème et 7 ème arrondissements, Juin 1993, 83 p.). Quant à la pratique consistant à compenser cette faiblesse des prix du marché par un accroissement des prix du m² de logement, elle peut poser problème lorsque le marché immobilier est moins florissant, et plus particulièrement pour les petits appartements. Pour les logements plus que pour les bureaux, l’argument commercial que constitue l’offre d’un emplacement de stationnement privé peut donc être supplanté par la charge que cela peut représenter.
Une simulation, portant sur une soixantaine d’opérations entreprises à la fin des années 80 et au début des années 90, fait état d’une réalisation effective devant passer de 1,2 places à 1,35 places par logement, tout en restant dans un contexte financier réaliste – les techniciens locaux entendent, par contexte financier réaliste, le fait que la norme n’oblige pas à la création d’un troisième sous-sol (sachant que les autres options de modification de la réglementation étudiées et destinées à aller dans le sens voulu par les associations de résidents, comme par exemple l’instauration d’une norme de 1,5 places par logement, obligeaient dans de nombreux cas à construire un troisième sous-sol).
Au milieu des années 90, les T1 et les T2 représentaient plus de 40% du marché lyonnais de la construction de logement, alors qu’à la fin des années 80, ils constituaient moins de 30% de ce marché. Cette évolution dans la typologie des appartements réalisés s’explique notamment par les dispositifs fiscaux introduits successivement, à partir de 1993, par la loi Quillès-Méhaignerie puis par le système de l’amortissement Périssol : ces deux régimes entendaient encourager les particuliers à acquérir des logements neufs à usage locatif, grâce aux réductions d’impôt qu’ils proposaient ; un de leurs effets induits fut d’accentuer la construction de petits appartements, destinés à devenir des produits d’investissement raisonnables. Enfin, aux dires des constructeurs, le mouvement de recul qui a fait suite à la crise immobilière du début des années 90 s’est répercuté sur la surface des grands appartements mis sur le marché (la taille moyenne des T4 notamment semble s’être sensiblement réduite), traduisant la passage d’une certaine euphorie vers une plus grande prudence.
A ce titre, elle ne trouve donc guère d’écho dans les réalisations des constructeurs. Au pire, une accumulation de demandes exceptionnelles de plusieurs emplacements de stationnement par logement dans un programme immobilier permet au promoteur de vendre de petits appartements sans places privées (pratique commerciale qui s’adresse notamment à la clientèle des retraités non-motorisés qui reviennent s’installer au centre). Car, si la première place de stationnement se vend aujourd'hui plus facilement qu’il y a vingt ans, elle a encore parfois tendance à rester en marge de l’investissement initial spontané des résidents. Seulement, par des offres commerciales intégrées, les promoteurs poussent en règle générale à l’achat d’au moins un emplacement en complément du logement, en faisant valoir l’argument que cela peut représenter en cas de revente.
En effet, si le stationnement privé a un coût pour les professionnels de l’immobilier, il en a un également pour les résidents, un coût qui peut constituer un frein réel à l’acquisition de places de stationnement en complément du domicile et qui ne se limite d’ailleurs pas au coût d’acquisition de ces places (frais de notaire, taxe foncière, taxe d’habitation). Ainsi, même lorsqu’il reste des emplacements invendus dans les immeubles de logement et que les promoteurs cherchent à les brader auprès de ceux qui en possèdent déjà un, les résidents ne se précipitent guère sur ces offres à prix cassés qui représentent une surface supplémentaire sur laquelle ils payeront des impôts locaux.
Ils en sont même très souvent d’ardents partisans, non seulement parce que, dans certains quartiers, cette solution leur paraît porteuse de la promesse d’un affaiblissement des pressions sur le stationnement résidentiel, mais aussi, de manière moins explicite, pour la vision qu’elle tend à proposer du partenariat public-privé : en effet, la commercialisation extérieure des places de stationnement constitue un moyen d’amener des agents privés à prendre en charge une partie des préoccupations de la collectivité, en même temps qu’elle donne l’occasion au principal promoteur de cette stratégie auprès des constructeurs – en l’occurrence, ici, la Direction de l’Urbanisme Appliqué du Grand Lyon, service qui, en raison d’une convention passée entre la ville de Lyon et la Communauté Urbaine, instruit à sa place les permis de construire de la commune lyonnaise (du moins jusqu’en 1999, année où cette convention est annulée) – de valoriser le rôle qui est le sien.
qui, s’ils peuvent solliciter fortement le développement de telles opportunités, font également preuve d’une grande sensibilité à la distance séparant l’emplacement de stationnement offert de leur logement et, lorsqu’ils sont les résidents du programme immobilier concerné, témoignent souvent d’une certaine réticence à l’égard de l’utilisation des places de stationnement par des personnes extérieures à la propriété.
qui, face à des opérations à la rentabilité économique incertaine et dont ils ne maîtrisent pas totalement la réussite, tendent à appliquer un principe de prudence. Le plus souvent, la commercialisation à l’extérieur ne constitue pas un objectif initial mais est envisagée comme une solution de recours, lorsqu’il reste des places invendues dans le programme immobilier.
prégnance qui n’a rien d’anormal en soi mais qui tend à freiner une perception plus stratégique de la régulation de cette offre.
ce qui correspond à l’appellation plus commune de logement social et très social.
Article L123-2-1 du Code de l’Urbanisme (loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 et loi n° 98-657 du 29 juillet 1998). Il y est également précisé que les plans d’occupation des sols peuvent ne pas imposer la réalisation d’aires de stationnement lors de la construction de ces logements et qu’il ne peut, nonobstant toute disposition du plan d’occupation des sols, être exigé la réalisation de plus d’un emplacement de stationnement par logement lors de la construction de logements locatifs financés avec un prêt aidé par l’État.
sachant que pour le logement social, encore plus que pour le logement privé, il est impossible de répercuter l’intégralité du coût de la place de stationnement sur les locataires et que les surcoûts dégagés par ces dispositifs sont alors financés par la collectivité.
P. BELLI-RIZ, 2000, op.cit., p.11.
P. BOURDIEU, 2000, op.cit., p.240. Plus simplement, cela signifie que la réglementation est autant déterminée par les agents privés, leurs intérêts et leurs stratégies, qu’elle ne s’impose à eux.
L’expression fait ici référence à un certain nombre de dispositions légales prévues en marge du ratio de places à construire (qui constitue la norme au sens strict) et non pas à des comportements qui se situent en marge de la légalité réglementaire.
surtout si l’accessibilité de ces garages est assurée par la partie arrière du bâtiment. En effet, si l’on souhaite vraiment augmenter l’offre globale de stationnement, il convient de limiter si possible à une voie par parcelle l’accès à ces emplacements privés, afin d’éviter de supprimer de ce fait plusieurs places de stationnement sur voirie (comme cela a été souvent le cas lorsque de telles réalisations ont été entreprises dans les années 60).
Si le principe de limitation des emprises au sol des dispositifs de stationnement résidentiel n’a pas été introduit dans le dernier POS, on peut voir dans la clause paysagère et dans la norme d’espace vert des permis de construire les prémisses d’une logique approchante.
L’indicateur cartographié ne concerne que les résidences principales. Il ne prend pas en compte l’éventualité de disposer de plusieurs places de stationnement par logement et fait donc l’hypothèse implicite que les ménages multimotorisés n’utilisent de place de ce type que pour un seul de leur véhicule. Il ne préjuge pas non plus de l’usage qui peut être fait d’un garage, box ou parking. Néanmoins, on peut considérer qu’il constitue une première indication de la proportion de stationnement résidentiel potentiellement satisfaite par l’offre privée au logement et donc de la part qui est externalisée.
En marge du POS, on rencontre de très rares exceptions à cette règle dans des ZAC comme celle de la Cité Internationale. Le programme de plus de 300 logements qui y est construit doit ainsi satisfaire à une norme d’au moins 1,5 places par logement. Toutefois, ces appartements sont destinés à des ménages aisés, sur un site qui n’offre pas d’alternative sur voirie. Car, le plus souvent, les opérations de ZAC ne dérogent guère au droit commun en matière de stationnement résidentiel, même si elles représentent en principe « une excellente opportunité pour créer des petites unités de stationnement à proximité du tissu ancien où les résidants souhaitent et ne peuvent pas stationner hors voirie, par absence de garages dans leur immeuble » (in Agence d’Urbanisme de la Communauté Urbaine de Lyon, 1993, op.cit., p.75).
La recherche menée en 1993 par l’Agence d’Urbanisme sur la rive gauche de Lyon estime qu’il n’y a environ que 60 % du stationnement résidentiel qui s’effectue hors voirie et observe que cette proportion tend à diminuer avec l’âge du bâti (elle tombe à 52% dans le 6e arrondissement).
Pour autant, ce paramètre semble influer relativement peu sur l’achat ou la location d’une place de stationnement privé en complément du domicile, dans la mesure où ceux-ci sont intégrés à d’autres processus. En revanche, concernant l’achat ou la location d’un second emplacement pour les ménages bimotorisés, il s’agit d’un paramètre qui retrouve toute son importance et qui se révèle être un facteur prépondérant de l’"asthénie" de ce marché. Il convient enfin de rajouter que, si les automobilistes dédaignent parfois les places souterraines pour des questions de sécurité ou en tout cas de sentiment de sécurité, il peut également arriver que des défauts de construction rendent ces emplacements inutilisables ou inaccessibles aux voitures particulières. Depuis 1996 toutefois, des normes nationales (AFNOR) ont été édictées dans l’espoir de garantir ce qui peut paraître un minimum, à savoir la possibilité pour ces places de servir au stationnement automobile, mais ces infrastructures n’en restent pas moins les parents pauvres de l’architecture des immeubles d’habitation.
J. VIVIER, op.cit., p.14.
Agence d’Urbanisme de la Communauté Urbaine de Lyon, 1993, op.cit., p.46.
Gabriel Dupuy illustre d’ailleurs bien cette réalité à travers l’exemple de l’île de la Dérivation, une petite île de 300 habitants sur la Seine près de Paris qui n’est reliée à l’extérieur que par un pont piétonnier mais qui présente néanmoins un taux de motorisation de 98%. En effet, « les habitants de la Dérivation appartiennent à la société française de cette fin de 20e siècle. Ils vivent dans la région francilienne. Ils travaillent dans des pôles d’emploi. Ils fréquentent des centres commerciaux et des complexes scolaires ou sportifs. Si leur maison est entourée d’eau, leur mode de vie, dans son ensemble, n’a rien d’autarcique. Au contraire, il se déploie sur des espaces qu’irrigue et que rend accessible le système automobile. Il ne faut donc pas confondre le paysage insulaire de la Dérivation avec un îlot d’indépendance automobile. La dépendance est forte là comme ailleurs » (1999, op.cit., p.28).
En la matière néanmoins, l’efficacité de ces mesures peut se trouver partiellement contrariée par des effets pervers, tant « les équilibres sont fragiles… Pour citer un exemple, Dijon a un cœur historique très dense et très riche. En voulant revaloriser son centre historique, on avait supprimé l’obligation de créer du stationnement dans le cadre des opérations de réhabilitation. Cela a conduit à quoi ? A transformer les immeubles réhabilités en une succession de petits studios, F1 et F2 et à modifier complètement l’offre de logement et la structure des logements en centre-ville »(P. LOTHE, in CERTU, CNISF, op.cit., p.172). Le souci de favoriser la dynamique de réhabilitation afin d’améliorer l’habitabilité de la zone dense peut ainsi se traduire par une spécialisation voire par une diminution de la population, si l’augmentation du nombre de logements a pour corollaire une baisse importante de la taille des ménages.
B. SCHMIT, "POS et réglementation du stationnement", in Diagonal, n°124, avril 1997, p.53.
M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.136.
C. DELFANTE, J. PELLETIER, op.cit., p.177.
En effet, le POS 2001 de l’agglomération lyonnaise n’a pas cherché à modifier notablement des préconisations qui, si elles se sont traduites par une légère diminution des places effectivement construites, ont été bien accueillies et acceptées par les professionnels de l’immobilier.
G. MERCADAL, in Le stationnement résidentiel. 2-La règle et le marché. Demande, offre privée, utilité publique, Compte-rendu de la rencontre-débat du 11 juin 1999, Plan Urbanisme Construction Architecture, p.11.