A l’inverse, des mesures visant à limiter la construction de places de stationnement privé dans les espaces centraux ont été prises très tôt à Stuttgart. Les particularités de cette politique sont multiples et contradictoires, puisqu’elles tiennent aussi bien au fait d’avoir été menée en étroite liaison avec le développement des transports collectifs qu’à celui d’être aujourd'hui soumise à une profonde remise en cause.
Dès 1965, avec le second volet de son plan général de transport (Generalverkehrsplan), la municipalité de Stuttgart cherche déjà à mieux cibler, en particulier dans l’hypercentre, la destination d’une offre de stationnement qu’elle sait largement insuffisante, en établissant une première hiérarchie de priorité entre ses différents usages. Mais ce n’est qu’après la publication en 1977 du plan relatif à l’ensemble des transports (Gesamtverkehrsplan)que ces intentions se traduisent concrètement dans les documents d’urbanisme locaux. Considérant alors que certains déplacements automobiles sont moins désirables que d’autres, les autorités publiques locales cherchent à les décourager en opérant des restrictions de stationnement à leur destination. C’est ainsi qu’émerge dans les politiques urbaines le principe d’une demande de stationnement qualifiée (qualifizierte Nachfrage ou qualifizierter Bedarf), correspondant à la seule satisfaction des besoins essentiels au fonctionnement des espaces denses et à la préservation de leur mixité fonctionnelle. 1410 En ce sens, ce principe n’est que le prolongement dans le domaine du "trafic au repos" – une dénomination (ruhender Verkehr) utilisée par les allemands pour évoquer le stationnement – de formalisations qui renouvellent l’approche du "trafic coulant" – l’appellation concurrente (fließender Verkehr) désignant la circulation. L’idée même de demande de stationnement qualifiée découle en fait du concept de circulation automobile nécessaire (notwendiger Kfz-Verkehr) : restreindre la mobilité automobile à ce noyau dur suppose une maîtrise des déplacements individuels qui, dans un contexte de fort développement des transports collectifs, se traduise par un transfert modal en faveur de ces derniers ; or ce transfert, qui concerne d’abord les migrations pendulaires, ne peut guère s’opérer sans intervention sur l’organisation du stationnement de longue durée et notamment sans mesures restrictives à l’encontre des emplacements privés gracieusement offerts par les entreprises à leurs employés.
A partir du moment où la collectivité ambitionne véritablement d’améliorer l’attractivité des transports collectifs par rapport à la voiture, il lui faut donc instituer une régulation contraignante de la production de places de stationnement privé au lieu de travail. La conversion de la ville de Stuttgart à cette pratique s’effectue à la fin des années 70, dans un contexte où interviennent des agents qui ne sont pas, et de beaucoup, exclusivement locaux. A l’issue des négociations entre la municipalité, le Land et le Bund pour la réalisation d’un métro, cette conversion devient en effet la condition sine qua non du financement fédéral et régional du projet de Stadtbahn arrêté en 1977 : il apparaît que la mise en place de périmètres de restriction du stationnement dans l’hypercentre de Stuttgart constitue un des leviers efficaces pour renforcer la position concurrentielle de ce nouveau mode. Cet épisode engage alors une politique municipale qui va évoluer en même temps que va s’étoffer le cadre institutionnel de cette intervention publique.
Compte tenu de la compétence réglementaire exercée par le Land en matière d’urbanisme (à travers le Landesbauordnung – LBO), une prescription administrative s’attache à la question de la définition des places de stationnement considérées nécessaires à l’accompagnement des programmes immobiliers (VwV Stellplätze). Cette prescription introduit la possibilité pour les communes de limiter voire d’interdire la réalisation de places de stationnement privé pour des raisons liées à l’urbanisme ou à l’offre de transports. La municipalité de Stuttgart se saisit de cette possibilité, en développant à partir de 1985 une réglementation spécifique. Pour les immeubles de bureaux, la fourchette préconisée par l’administration du Land en matière de construction de stationnement est alors, à la base, d’une place pour 30 à 40 m² de surface nette (soit 25 à 33,3 places pour 1.000 m²). Sur son territoire, Stuttgart définit donc plusieurs secteurs de restriction du stationnement (Stellplatzbeschränkungsbereich), sur lesquels les obligations minimales de construction de places sont abaissées et la réalisation de stationnement est interdite au-delà du niveau estimé nécessaire. Sont ainsi définis (figure 68) :
Comme en France, les services municipaux ont également la possibilité de s’entendre avec les constructeurs d’immeubles sur la réalisation d’une moindre quantité d’emplacements, moyennant le paiement d’une participation pour défaut d’aire de stationnement. 1412 La régulation publique du stationnement privé mise en place à partir des années 80 s’inscrit alors visiblement dans une stratégie de contestation de l’automobile, dont la cohérence est assurée par l’imbrication permanente des mesures de restriction du stationnement avec la politique de transports collectifs et par des réglementations territoriales qui se focalisent sur les centres de quartiers bien desservis par le S-Bahn ou le Stadtbahn.
Néanmoins, cette définition de restrictions au développement du stationnement privé semble avoir davantage répondu à un argument de nécessité que de pertinence. Ainsi, à la fin des années 90, les premières études menées par la municipalité dans le cadre de la révision de son "schéma directeur" (Flächennutzungsplan 1413 ) relèvent l’ambivalence attachée à la mise en œuvre de cette politique : tout en observant que les mesures de restriction n’ont pu que freiner, et non pas stopper, la croissance des places de stationnement dans l’hypercentre, les techniciens locaux ne voient guère comment parvenir à inverser la répartition modale entre voitures particulières et transports collectifs sur le territoire communal sans poursuivre les efforts de limitation de l’offre privée de stationnement. La nouvelle prescription administrative du Land en la matière (VwV Stellplätze 16.4.1996) va d’ailleurs dans ce sens, d’une plus grande limitation de la construction de stationnement dans les programmes immobiliers de bureaux : en vertu des méthodes d’évaluation et de calcul qu’elle propose et qui sont directement fonction de la desserte des territoires en transports collectifs, les restrictions qu’elle établit peuvent en effet aller jusqu’à réduire de 70% les préconisations liminaires. 1414 Par son statut, cette prescription s’impose à toutes les communes qui ne sont pas dotées de règlements spécifiques, ce qui est le cas de toutes les villes autour de Stuttgart. Néanmoins, les normes qu’elle définit restent plus indicatives que prescriptives car elle ne constitue en aucune façon une interdiction légale de construire des places de stationnement au-delà de ce qu’elle estime nécessaire. D’une façon quelque peu paradoxale, pour une commune comme Stuttgart qui s’est dotée d’un règlement spécifique, le renoncement à ses propres normes et le retour dans le droit commun du stationnement privé peuvent alors apparaître comme l’opportunité de proposer une réglementation moins contraignante.
Source : Landeshauptstadt Stuttgart
Le nouveau conseil municipal stuttgartois élu en 1999 1415 va ainsi remettre en question l’architecture réglementaire édifiée depuis quinze ans et rouvrir le débat sur cette question des normes de stationnement pour les activités économiques, ranimant en cela des oppositions aussi bien idéologiques que stratégiques. Fin 2000, le groupe CDU propose d’abolir les restrictions de stationnement inscrites dans le "plan d’occupation des sols" et d’adopter un amendement libéralisant la construction de places pour les locaux d’activité. Soutenues par le FDP et les Indépendants, ces modifications sont approuvées en mai 2001. Dans un contexte de crise économique, la majorité municipale les justifie en évoquant une nécessaire simplification de la réglementation et surtout en arguant que des autorisations exceptionnelles de construction de stationnement, récemment accordées dans plusieurs zones industrielles, ont eu des conséquences positives en termes d’attrait pour ces espaces et de développement économique. 1416 Cet effacement des contraintes réglementaires suscite toutefois de farouches oppositions au niveau local comme aux autres échelons. Avec l’appui de l’administration communale, les élus SPD et Grüne au conseil municipal en dénoncent les effets pervers en matière de déplacements urbains, après avoir tenté sans succès d’imposer des normes plafond à cette libéralisation du stationnement privé. A l’échelle régionale, les clivages politiques s’estompent pour afficher une large réprobation à l’égard d’une décision contraire à l’esprit des préconisations du Land et pour souligner les menaces que cette mesure fait planer sur les transports publics. Enfin, le ministère fédéral des transports avertit qu’en abandonnant ses restrictions de stationnement, la ville ne satisfait pas à son obligation de soutien aux transports collectifs et que, de ce fait, la participation du Bund à de futurs investissements concernant le réseau stuttgartois pourrait se trouver remise en cause.
C’est ainsi que, sous la pression conjuguée du Bund et du Land, un périmètre de restriction est maintenu dans le secteur du centre-ville qui est situé derrière la gare centrale et qui doit accueillir prochainement les immeubles du programme Stuttgart 21. Il s’agit d’un espace d’urbanisation future sur lequel les pressions des autorités publiques extra-communales se sont concentrées, compte tenu de l’envergure des perspectives de développement qu’il propose et de la position qu’il occupe au cœur de l’agglomération et de son réseau de transports publics. Sans doute s’agit-il aussi de la concession minimale que l’on pouvait espérer de la part d’une municipalité, qui était ici directement confrontée aux risques que l’abandon complet des restrictions de stationnement faisait peser sur les subventions attendues pour la réalisation de la nouvelle ligne de Stadtbahn devant desservir ce secteur. Cette concession apparaît d’autant plus modeste que, même en maintenant une réglementation restrictive dans l’ensemble de l’hypercentre, l’offre de stationnement privé aurait vraisemblablement continué à s’y développer, du seul fait des opérations de réhabilitation et de la densification continue de l’espace central. Mais l’obstination de la municipalité à vouloir rompre avec un héritage réglementaire trop restrictif à ses yeux n’a pas que des raisons que la raison ignore. Dans un contexte métropolitain où le Verband Region Stuttgart a échoué à harmoniser les normes de stationnement appliquées dans chaque commune, la libéralisation entreprise cherche à préserver une certaine accessibilité automobile de la ville-centre, dans l’espoir de freiner l’exode des activités économiques et commerciales vers les espaces environnants. Ainsi, après une vingtaine d’années passées à se montrer hérétique sur ce volet de la production du territoire de l’automobile-reine, la majorité municipale a estimé que Stuttgart avait aujourd'hui davantage de profits à attendre de son ralliement au camp de l’orthodoxie, compte tenu de la structure du champ urbain. Ce revirement est l’occasion de souligner que les orientations politiques ne sont pas obligatoirement soumises à la rectitude et que même le sentiment d’un positionnement dans le "sens de l’histoire" ne peut échapper à la variabilité des enjeux et de l’importance qu’on leur donne.
Concernant la régulation publique du stationnement privé au lieu de résidence, le cas de Stuttgart n’offre pas en revanche de perspectives originales. Les immeubles de logements n’étant pas concernés par les mesures de restriction, la réglementation municipale s’en tient globalement à la prescription d’une place pour 100 m², avec l’obligation de satisfaire à un minimum d’un emplacement par logement. Ce principe normatif à double volet, abandonné à Lille et adopté récemment à Lyon, est resté ici relativement stable dans le temps, cherchant depuis une vingtaine d’années à situer l’offre au plus près de la demande qui s’exprime dans toute nouvelle construction. Pour autant, il ne permet pas d’apporter une réponse globale à la question du stationnement résidentiel dans la zone dense. En effet, la reconstruction des quartiers anciens détruits durant la guerre s’est faite dans un contexte d’urgence quantitative et avec des contraintes de coût et de rapidité qui n’ont pas aidé à adjoindre des dispositifs de stationnement privé aux nouveaux immeubles. Au fur et à mesure de la progression de la motorisation des ménages, l’ampleur du déficit existant a donc eu l’envahissement de l’espace public comme corollaire. Dans ces conditions, le processus engagé par les rénovations et les réhabilitations de l’ère automobile s’est avéré trop lent et trop partiel pour parvenir à inverser complètement cette logique. C’est une des raisons pour laquelle la mise en perspective des politiques locales ne peut d’ailleurs se soustraire à l’analyse de l’intervention directe de la puissance publique, qui permet de proposer des parcs de stationnement accessibles aux résidents ou d’orienter la destination des places offertes sur voirie ; tout en s’interrogeant sur la capacité de la fraction publique de l’offre de stationnement urbain à résoudre la quadrature du cercle qui a été et reste celle du secteur privé en matière résidentielle : se dégager des contraintes liées à l’habitat pour en satisfaire tous les besoins.
Au final, malgré leurs différences, les orientations prises à Lille et à Stuttgart viennent somme toute confirmer ce qu’on avait pu déduire de l’étude de la configuration lyonnaise : d’abord, la prégnance manifeste des marchés de la construction et de l’immobilier qui façonnent sans doute autant la réglementation que la réglementation ne les influence ; ensuite, les difficultés d’articulation entre ces variables structurelles du champ urbain et les enjeux de la politique de déplacements. Dans la mesure où elles viennent heurter les rapports de force constitués qui sous-tendent l’expression de ces différents intérêts, il n’y a rien de surprenant à ce que les stratégies de contestation du territoire de l’automobile oscillent ici entre timidité et fragilité. Évidemment, d’autres mises en perspective pourraient dévoiler des contestations plus poussées ou mieux assumées. Mais notre choix de terrains, s’il ne peut prétendre à une appréhension globale de la réalité, n’en illustre pas moins en quoi, dans des contextes pourtant différents, les représentations sociales de l’automobile peinent à se défaire d’une aura de nécessité qui, au-delà des réseaux de déplacements, imprègne les espaces de la sphère privée et notamment les structures immobilières. En cela, la régulation publique, confrontée à la difficulté d’imposer la prise en compte d’enjeux collectifs et d’objectifs politiques globaux à des marchés particuliers qui n’impliquent souvent qu’une fraction des agents engagés dans le champ urbain, expose ses limites. Pour inscrire plus nettement le stationnement dans les luttes qui agitent le champ des déplacements et pour s’assurer dans le même temps un rôle éminemment directeur dans la dynamique du territoire urbain de l’automobile, les pouvoirs publics doivent alors compter sur des interventions plus directes et sur leur(s) propre(s) investissement(s) 1417 .
Le ministère de l’intérieur du Bade Wurtemberg avait défini en 1974 ce qu’il entendait par demande de stationnement qualifiée. Il s’agit du stationnement correspondant à l’ensemble des demandes relatives aux commerces et aux services, à l’ensemble des demandes des résidents, à une partie de la demande des clients et des visiteurs (définie en fonction de la qualité de la desserte en transports collectifs et de la capacité du réseau routier) mais ne satisfaisant aucune demande des employés (à l’exception des personnes handicapées et de la demande correspondant aux véhicules de fonction).
Littéralement, le terme Bebauungsplan se traduirait plutôt par "plan de construction". Mais il constitue le second échelon de la planification communale allemande et il définit un cadre précis fixant la destination des sols et constituant une norme juridique obligatoire qui lie les acteurs privés et publics, ce qui le rapproche du plan d’occupation des sols français. Il résulte d’un développement détaillé du Flächennutzungsplan qui, lui, se traduirait plutôt littéralement par plan d’occupation des sols mais qui correspond en réalité davantage au schéma directeur français. Stéphan Muzika considère que ce document opposable aux tiers qu’est le Bebauungsplan est en quelque sorte un mélange « entre la partie du P.O.S. consacrée aux règles de construction et le P.A.Z. de nos ZAC » ("L’influence de l’échelle de décision sur les choix d’urbanisation", in La ville aux champs, Colloque de l’ADEF du 7 mars 2000, p.129).
A Stuttgart, le montant de cette participation était d’environ 15.000 DM (7.670 euros) par place non construite en 2000 et, comme en France, ses recettes doivent être rapidement utilisées par la collectivité mais elles peuvent servir aussi bien à la construction d’emplacements de stationnement public qu’à des investissements en faveur des transports collectifs ou du vélo.
Ce premier échelon de la planification communale allemande a pour objet d’orienter l’utilisation future des espaces à 10 ou 15 ans et, à ce titre, ses prescriptions ne sont ni d’une grande précision, ni opposables aux tiers.
Ces méthodes de calcul sont présentées en annexe 5.
dans lequel la CDU renforce sa position, avec 25 sièges contre 20 auparavant (sur 60 à pourvoir), et dispose de la majorité municipale avec ses alliés des groupes FDP et Indépendants, tandis que la coalition SPD-Grüne régresse de 27 à 23 sièges.
Cette libéralisation est donc censée satisfaire prioritairement les milieux économiques. La Chambre de Commerce et d’Industrie et la Chambre des Métiers s’y sont d’ailleurs déclarées favorables.
investissement dans le jeu qui décide de l’offre de stationnement et de son organisation, mais aussi investissements d’ordre financier.