Stationnement sur voirie et en ouvrage : quand et comment les pouvoirs publics s’en mêlent !

A partir des années 60 en France, alors que le domaine privé se révèle clairement incapable d’assumer l’ensemble des charges de stationnement requises par des automobiles en constante augmentation, les collectivités reprennent l’initiative en organisant et en développant leur propre offre. Cette politique passe à la fois par la mise en place du stationnement payant sur voirie et par la construction de parcs publics de stationnement.

Pourtant, devant un tel programme, les obstacles et les défiances ne manquent pas. Il convient d’abord de s’affranchir de l’idée que la rue n’est pas un garage et que la voie publique doit servir exclusivement à la circulation – idée extrêmement vivace dans les théories comme dans les pratiques urbanistiques et parfaitement énoncée par Le Corbusier dès les années 20 : « Où stoppent les milliers de voitures de la ville moderne ? Au long des trottoirs, embouteillant la circulation : la circulation tue la circulation. » 1419 Il faut également faire taire les craintes, quasi immémoriales mais néanmoins justifiées, d’appropriations privées du domaine public, dans la mesure où ce type d’appréhension n’est guère conciliable avec une proposition sociale visant à massifier l’usage de l’automobile individuelle. Enfin, les collectivités locales vivent comme un véritable défi la recherche des solutions, des ressources et des montages financiers leur permettant de développer une offre de stationnement public hors voirie.

Ce dernier défi, le maire de Lyon, Louis Pradel, le relève avec toute la détermination qu’il tire de son ambition d’assurer le règne de l’automobile dans sa ville. Au cours des années 60, il ne craint donc pas de justifier sa réputation de bétonneur en lançant la réalisation d’importants dispositifs de stationnement. Déjà largement ouverts à la circulation automobile le long du Rhône, les quais sont mis à contribution : le domaine public fluvial, laissé à la disposition des collectivités locales 1420 , permet d’aménager 1.400 places de stationnement non couvertes sur les bas-ports du Rhône 1421 ou encore d’enchâsser un silo à voitures entre la Saône et les quais de sa rive droite 1422 , à proximité des quartiers touristiques et commerciaux du centre. Un autre ouvrage illustre bien les objectifs et la recherche de moyens caractérisant ces premières années de "volontarisme" public : conscient à la fois de l’importance de ce type d’infrastructures pour le commerce central et des difficultés communales à dégager les capacités de financement nécessaires à leur réalisation, le maire de Lyon accède à l’idée du promoteur immobilier Henri Laurent de construire et d’exploiter, sous le régime de la concession, un vaste parc de stationnement en sous-sol au cœur de la Presqu’île, sous la place Bellecour. 1423 Ce recours au secteur privé ne fait cependant pas florès à Lyon et la ville reste à la recherche d’autres outils susceptibles de lui donner réellement les moyens de ses ambitions. En 1969, suite à la création de la communauté urbaine qui se voit confier par la loi la compétence en matière de parcs de stationnement, se constitue sous l’égide de cette nouvelle collectivité la société d’économie mixte Lyon Parc Auto (LPA), chargée par ses statuts « de l’étude, de la construction, de l’exploitation des parcs de stationnement et de toutes installations commerciales, administratives ou autres » de l’agglomération lyonnaise. Louis Pradel, qui est également devenu président de la communauté urbaine de Lyon, va alors utiliser de manière exclusive ce nouvel instrument au profit de la commune dont il est le maire. Trouvant là l’occasion de donner une nouvelle impulsion à sa politique d’infrastructures, il confie à LPA la construction de cinq nouveaux parcs publics de stationnement dans la ville-centre. 1424 Ensuite, pour entériner cet exercice des compétences spécifique, la ville de Lyon, la communauté urbaine et la préfecture du Rhône s’entendent, dès le début des années 70, sur un montage pratique en marge de la loi et qui laisse à la ville-centre le contrôle des parcs de stationnement sur son territoire.

Concernant la voirie, les décisions de la municipalité lyonnaise apparaissent nettement moins "volontaires". Tout en s’échinant à accroître le nombre de places offertes sur la voie publique, les autorités communales tentent d’abord de réguler les pratiques de stationnement des automobilistes par l’établissement de zones bleues, comme dans la plupart des villes françaises à partir de 1955. Qualifié de « stationnement payant gratuit » 1425 , ce système souple impose simplement, dans les zones les plus saturées, l’utilisation d’un disque limitant la durée de stationnement des véhicules particuliers. Mais, victime d’un défaut manifeste de surveillance et progressivement livrée à elle-même, cette réglementation se révèle de plus en plus inefficace au fur et à mesure qu’elle s’étend dans l’espace. C’est donc une autre solution qui est adoptée un peu partout en France à partir de 1967. Face à la saturation de l’offre existante et à l’anarchie régnant dans les grands centres urbains 1426 , on assiste à la propagation rapide du stationnement payant, au sujet duquel l’Auto-Journal affirmait en 1954 : « Qu’on le sache, les automobilistes n’accepteraient pas plus un tel mauvais coup que l’institution d’une taxe à l’entrée des autoroutes. » 1427 Cette propagation n’est d’ailleurs pas sans soulever de multiples réticences et sans susciter de vifs débats. Au sentiment général que l’automobile est un objet déjà suffisamment coûteux s’ajoute parfois la crainte d’une sélection par l’argent. Le maire de Lyon, quant à lui, reste longtemps opposé à cette mesure qu’il juge contraire à sa politique en faveur de l’automobile et susceptible de faire fuir les clients du centre vers les commerces périphériques. 1428 Il ne s’y résout qu’en septembre 1970 en faisant montre à cette occasion, à l’instar de nombreux autres édiles, d’une certaine résignation et d’une grande prudence : à moins d’un an des élections municipales, la majorité en place ne veut parler que d’une opération de stationnement payant à caractère expérimental. 1429 Le revirement n’en est pas moins remarquable et s’avère le fruit de la conjonction de plusieurs éléments. Le premier, et sans aucun doute le plus important, tient aux pressions exercées sur l’exécutif municipal par une majorité de commerçants. Ceux-ci, convertis de fraîche date aux vertus du stationnement payant avec l’espoir que cette mesure participe à la redynamisation de leur activité, ont cherché à peser de tout leur poids afin d’infléchir les résolutions contraires de leur maire. 1430 Ce dernier le reconnaîtra d’ailleurs volontiers lors de l’inauguration des nouvelles voies piétonnes de la Presqu’île en 1975 : « Vous, commerçants, m’avez demandé deux choses pour lesquelles je n’étais pas d’accord au départ : le stationnement payant et les rues piétonnes… Vous aviez raison. » 1431 Un autre élément aide à emporter l’adhésion de Louis Pradel au principe de stationnement payant. L’avis favorable rendu par la Commission de Circulation accrédite en effet l’idée que cette mesure permettra d’engendrer une augmentation de la rotation des véhicules et donc, à quantité de places de stationnement égale, un accroissement du nombre d’automobiles pouvant accéder au centre. La chasse à la "voiture ventouse" 1432 rejoint ainsi un des objectifs prioritaires du premier magistrat de la ville. Enfin, un dernier argument en faveur du stationnement payant réside dans l’autofinancement du système. Mieux, les recettes qu’il permet de dégager doivent non seulement couvrir les frais de surveillance et d’aménagement des emplacements mais elles sont également susceptibles de devenir, en l’absence d’aides de l’État, une source de financement appréciable pour la construction de nouvelles places de stationnement en ouvrage. Au final, cette combinaison d’éléments incitatifs convainc donc les élus locaux de l’intérêt qu’il y a à dépasser l’impopularité présumée de la mesure auprès des automobilistes. Pour autant, la mise en place du stationnement payant se fait très progressivement, afin de faciliter son acceptation par la population : initialement limitée aux places publiques, elle s’étend peu à peu à la voirie dans un mouvement d’expansion géographique qui s’accompagne d’une hausse continue des tarifs modiques du départ. Le principe par lui-même n’en sera en tout cas jamais remis en cause et se trouvera au contraire rapidement intégré à l’économie générale du stationnement public urbain. C’est ainsi qu’en janvier 1972 1433 , Lyon Parc Auto, société d’économie mixte créée pour construire et exploiter les parcs de stationnement de la communauté urbaine, signe avec la municipalité lyonnaise une convention qui lui confie la gestion du stationnement payant sur la voirie, soit à l’époque environ 1.000 places toutes situées dans la Presqu’île.

Lors de ce premier temps de la politique de stationnement, l’accent est donc mis autant sur le développement de l’offre que sur l’accroissement de son utilisation. Par ce biais, les pouvoirs publics entendent organiser le stationnement pour tous dans des centres qui s’y prêtent naturellement mal. Ce faisant, ils se présentent comme les promoteurs d’une nouvelle croissance du trafic automobile. L’effet d’appel induit par les nouvelles places offertes en parc et l’amélioration des opportunités concrètes de stationnement, résultant de la rotation introduite par la tarification de l’usage des emplacements sur voirie, améliorent en effet l’accessibilité effective des zones concernées par ces aménagements. Mais, dans le même temps, et comme il est d’usage en la matière, cette offre supplémentaire – dans l’espace et dans le temps – produit elle-même les conditions de sa propre saturation.

En s’enfermant dans cette logique, les collectivités locales ne se donnent alors guère d’autres choix que de poursuivre la mise en œuvre de cette politique. A Lyon, c’est ce qui se passe durant près de vingt ans au cours desquels les recettes appliquées en matière de stationnement sont éprouvées mais ne varient guère. Soumis à une progression régulière des tarifs, le stationnement sur voirie se veut de plus en plus "rotatif". Seule innovation le concernant, l’extension des périmètres d’application du stationnement payant donne lieu à une première segmentation du système : la création de la zone orange en 1978, année où le nombre de places payantes sur voirie dépasse la barre des 7.000, introduit une différenciation permettant d’adapter la réglementation à des contextes spatiaux différents et de renforcer la rotation dans les secteurs les plus saturés. La construction de parcs de stationnement est, quant à elle, stimulée par la création de Lyon Parc Auto, qui assume sans faillir la mission que lui a confiée la collectivité. Cette société d’économie mixte s’affirme ainsi en quelques années comme le partenaire incontournable de la politique de gestion et de développement de l’offre de stationnement public : en 1978, après avoir construit 5 parcs 1434 et récupéré l’exploitation de deux autres 1435 , elle gère déjà 9.000 places en ouvrage. Cependant, l’importance des investissements consentis au cours de cette première phase de construction intensive a mis à mal pour un temps son équilibre financier et, durant la décennie suivante, les collectivités se voient contraintes de modérer le rythme des réalisations. 1436 Il est vrai également que ce ralentissement se fait l’écho des prospectives de l’époque, qui estiment que la Presqu’île a quasiment épuisé ses réserves d’emplacements susceptibles d’accueillir de nouveaux ouvrages 1437 … ce que l’avenir démentira.

Notes
1419.

in Urbanisme, Editions Crès et Cie, Paris, 1925. « Tous les efforts des techniciens se concentrent ainsi sur l’impérieuse nécessité de garantir la liberté et la fluidité du mouvement des véhicules ; et on en arrive à oublier un peu sa finalité, son objectif : l’arrivé à destination et l’arrêt, qu’il soit temporaire ou de longue durée. Sur le plan théorique, la Charte d’Athènes consacre la coupure mentale entre la circulation et les autres fonctions urbaines. Circuler est une fonction à part entière, et tend à oublier qu’elle devrait être non pas autonome mais au service des autres fonctions : habiter, travailler, se récréer. La circulation comme moyen essentiel de l’échange urbain tend à devenir une fin en soi. La pensée fonctionnaliste de la Charte d’Athènes tend à spécialiser les usages de l’espace, de la voirie en particulier, et réduit la complexité de la notion d’échange » (in P. Belli-Riz, 2000, op.cit., p.8).

1420.

moyennant un loyer payé à Voies Navigables de France.

1421.

le parc des quais du Rhône sur la rive gauche mis en service en 1966.

1422.

les 1.025 places du parc Saint-Jean ouvert ultérieurement, en 1973.

1423.

Deuxième ouvrage souterrain réalisé en France après celui des Invalides à Paris, le parc Lyon Bellecour, concédé pour une durée de 60 ans à la société des Parcs de Stationnement de Lyon Bellecour (parc au pluriel car son président, Henri Laurent, comptait bien en construire d’autres et notamment un second sous la place Antonin Poncet), est ouvert en 1967. Grâce à ce système de concession déjà éprouvé dans d’autres circonstances, l’initiative publique en matière de stationnement est relayée par le secteur privé. Comme souvent à l’époque, la présence privée est assurée ici par de petits entrepreneurs locaux, avant que quelques grands groupes ne s’intéressent à ce marché et ne se le partagent. En 2000, le parc Bellecour sera d’ailleurs racheté par la société GTM, aujourd'hui intégrée au grand groupe de stationnement VINCI Park, et ce au grand dam de Jean Douvre, PDG d’une petite société qui s’est développée sur le marché lyonnais et qui s’était également portée acquéreuse.

1424.

Ces équipements publics sont localisés dans des espaces stratégiques, c’est-à-dire dans la Presqu’île pour l’essentiel (où le silo à voitures des Cordeliers s’implante, comme cela s’est souvent fait par ailleurs, sur l’emplacement de la vieille halle jugée vétuste et anti-hygiénique) mais aussi dans le quartier de la Part-Dieu.

1425.

par M. Grimaud, préfet de Police de Paris à la fin des années 60.

1426.

Les journaux lyonnais de la fin des années 60 rapportent en effet qu’il n’est pas rare de voir des voitures garées en double ou même en triple file dans les rues de la Presqu’île.

1427.

cité in G. DUPUY, 1995, op.cit., p.172.

1428.

Louis Pradel ne se prive d’ailleurs pas d’exprimer son opposition. Ainsi : « S’il ne doit exister qu’une ville où le stationnement sera gratuit, je m’emploierai de toutes mes forces à ce que ce soit Lyon » (in L’Auto-Journal, 4 décembre 1969). Ou encore : « La Ville de Lyon sera la dernière à adopter le stationnement payant dont on imagine assez qu’il puisse être irritant pour les automobilistes, appelés déjà, par des taxes sur l’essence ou la vignette, à participer d’une manière amplement suffisante » (in Le Monde, 29 janvier 1970).

1429.

Le mode de paiement retenu pour cette première expérience de stationnement payant est assez particulier. La ville de Lyon opte pour un système très peu répandu en France, celui des cartes de stationnement. En effet, le stationnement payant par parcmètres, inventé en 1935 aux Etats-Unis et choisi à l’époque par de nombreuses villes françaises, n’a pas les faveurs de Louis Pradel, qui juge ces appareils « trop onéreux, disgracieux, facilement exposés au vandalisme, encombrant les trottoirs et imposant une surface aux emplacements donc réduisant le nombre de véhicules pouvant stationner » (in M. COUVRAT DESVERGNES, T. DUCREST, Les premières mises en place du stationnement payant sur voirie, Rapport d’étude CERTU, Lyon, 2000, p.16). A l’inverse, la carte de stationnement apparaît comme un système souple, qui nécessite un investissement minime et qui est facilement retirable en cas d’échec. Des cartes de 1h30 sont donc vendues au prix unitaire de 1,50 francs et certains commerçants en distribuent gratuitement à leurs clients. Ce système de cartes ne tarde cependant pas à dévoiler ses limites et, pour permettre de fractionner davantage le temps de paiement et de répondre à une demande de stationnement de courte durée, un premier horodateur est installé en 1972. Dès lors, l’abandon des cartes de stationnement et l’extension des horodateurs vont s’effectuer peu à peu.

1430.

Fin 1969, les commerçants de la Presqu’île adressent une pétition au maire pour lui réclamer l’instauration du stationnement payant. Puis, l’association "Le Cœur de Lyon" organise un référendum interne au résultat sans appel (450 voix se prononcent pour le stationnement payant et 2 contre), avant que la mobilisation des commerçants n’enregistre le ralliement de l’Union des commerçants et de la Chambre de Commerce. Ce soutien ne se démentira pas et se traduira, après la mise en place du système, par des demandes d’extension de son application. Enfin, des commerçants de communes voisines, comme celle d’Oullins, relaieront cette même demande auprès de leurs élus.

1431.

M. WATEL, "Activités commerciales de la Presqu’île : 1973-1981", in Transport Urbanisme Planification, Volume 5, 2è trimestre 1985, p.66.

1432.

Les premières observations dénotent une efficacité certaine de l’introduction du stationnement payant à cet égard. Néanmoins certains ajustements se révèlent immédiatement nécessaires. Ainsi, dès octobre 1970, les autorités municipales rappellent à l’ordre les commerçants qui, tout en étant pourtant à l’origine de cette chasse à la "voiture ventouse", ont parfois tendance à ne pas jouer eux-mêmes le jeu en utilisant les places libérées pour garer leur propre véhicule.

1433.

après que le stationnement payant sur voirie de la ville de Lyon ait fait l’objet d’un premier contrat de concession signé en 1970 avec une société privée, la S.A. Laurent, déjà concessionnaire de parcs de stationnement en ouvrage, mais dénoncé au bout d’un an en raison de l’insuffisance maintes fois constatée du contrôle assuré par le concessionnaire.

1434.

La Halle en 1970, Cordeliers en 1971, Saint-Antoine en 1971, Part-Dieu Centre Commercial en 1975 et Perrache en 1976.

1435.

Saint-Jean et Quais du Rhône en 1973.

1436.

Au cours de cette période, les investissements de LPA se "résument" à la construction d’un petit parc dans la Presqu’île (Hôtel de Ville en 1980) et de deux autres à proximité de la gare de la Part-Dieu (Part-Dieu Gare en 1983 et Villette en 1984). Quant à la concession du parc Antonin Poncet, qui lui est finalement attribuée en 1986 (le parc sera ouvert deux ans plus tard), elle ne le sera qu’au terme d’un concours qui, pour la première fois, met en concurrence la SEM communautaire avec d’autres entreprises.

1437.

En 1986, les travaux du premier PDU soulignent ainsi qu’il « n’existe presque plus de possibilité pour réaliser de nouveaux parcs en centre-ville. Le futur parc Antonin Poncet est un exemple des dernières opportunités existant dans la Presqu’île » (in SYTRAL, Agence d’Urbanisme de la COURLY, Prédiagnostic du Plan de Déplacements Urbains, 1986, p.58).