A la suite du plan Presqu’île, les conflits d’usage qui continuent à être attachés au stationnement public donnent à voir, du côté des usagers, des positions dominantes de fait et, en filigrane, une certaine logique de gestion d’une offre structurellement inférieure à la demande dans l’hypercentre. En fait, si le principe de différenciation des usagers du stationnement semble passé dans les mœurs des édiles et des techniciens locaux, les orientations effectives qu’il implique au niveau de l’accueil de ces différentes catégories obéissent encore essentiellement à une logique comptable. Lyon Parc Auto, qui assume la gestion de la voirie et de la quasi-totalité des parcs lyonnais, se révèle alors être un agent éminent dans la définition de ces orientations. Or, en dépit de son statut de société d’économie mixte et des liens étroits qu’elle entretient avec les collectivités locales 1468 , LPA reste une société de droit privé, dont l’équilibre financier est d’abord dépendant des conditions d’exploitation du stationnement sur voirie et en parc. Ses responsables se plaisent d’ailleurs à répéter que la société ne gère pas de fonds publics et qu’elle tire « ses ressources des services qu’elle offre et non des budgets de la collectivité publique. » 1469 Ce financement par les usagers et non pas par les contribuables, qui déroge au principe répandu de socialisation des charges liées à l’automobile, concourt à organiser « la recherche des ressources financières à l’intérieur du système stationnement, ce qui tend à introduire une logique plutôt économique. » 1470
Ainsi, selon François Gindre, le directeur de LPA, les parcs de l’hypercentre ont vocation à se tourner prioritairement vers les clients horaires. Il estime en effet que seule une forte fréquentation de la part de ces derniers peut permettre de continuer à proposer un tarif attractif par rapport à la voirie, tout en offrant les meilleures garanties de rentabilisation de ces investissements. Cette stratégie commerciale répond en outre à une des préoccupations majeures des politiques publiques locales qui, en lançant la construction de nouveaux ouvrages de stationnement, visaient à séduire principalement la clientèle des commerces et les visiteurs occasionnels de l’hypercentre. Tout en suscitant de nouvelles pratiques modales, révélées par l’accroissement des parts de marché de l’automobile pour les achats effectués dans les magasins du centre 1471 , les parcs de la Presqu’île se font donc un devoir d’accueillir ces migrants. Mais ces visiteurs par trop occasionnels 1472 , bien que pourvoyeurs de recettes importantes, ne suffisent pas à opérer un remplissage continu et provoquent des creux de fréquentation, particulièrement lors des journées de semaine. En termes d’usage, les pendulaires apparaissent alors comme le complément naturel de cette clientèle occasionnelle. Rapidement, l’important déficit de stationnement privé au lieu de travail existant dans le centre historique de l’agglomération assure le succès d’une formule d’abonnement permanent à 650 francs (100 euros) par mois. Une fois ces pratiques ancrées, avec une clientèle pendulaire qui représente près du tiers des usagers des parcs publics de la Presqu’île 1473 , une augmentation progressive des tarifs viendra porter ces abonnements plus nettement au-delà du coût de revient des places ainsi occupées. Seulement, si cette politique participe incontestablement à la rentabilisation des investissements réalisés par LPA pour le compte de la collectivité, elle contredit les objectifs affichés par le Grand Lyon en matière de gestion des déplacements, en soutenant la mobilité automobile sur un des segments de forte compétitivité des transports collectifs urbains. 1474 Enfin, contrairement là encore aux engagements pris dans le plan Presqu’île, les résidents continuent à apparaître comme les parents pauvres de la stratégie commerciale mise en place avec les nouveaux parcs publics de l’hypercentre. Les revendications d’associations de riverains, réclamant la reconnaissance du statut de résident et l’obtention de tarifs préférentiels dans ces ouvrages, ne parviennent qu’à arracher la création de deux abonnements "à temps partiel" : un abonnement nocturne à 240 francs (36,6 euros) par mois, valable de 18 heures à 9 heures, et un abonnement à 390 francs (59,5 euros) par mois, qui donne droit à stationner de 18 heures à 14 heures, à l’exception des dimanches et jours fériés où l’autorisation est étendue à la journée entière. L’institution de ces formules, qui ne correspondent qu’imparfaitement aux demandes des résidents, est en fait le produit d’un consensus entre les élus de la communauté urbaine, qui entendent apporter une première réponse aux besoins spécifiques de stationnement résidentiel, et les instances de direction de Lyon Parc Auto, qui cherchent pour des raisons financières à ouvrir au maximum leurs parcs aux horaires. La vocation résidentielle des parcs de la Presqu’île demeure donc bien timide et, en 1996, François Gindre continue d’ailleurs à affirmer que, même avec ses nouveaux ouvrages, LPA n’a pas de produit spécifique adapté à cette demande résidentielle et que toute politique tarifaire en sa faveur conduirait à augmenter considérablement les tarifs à destination des autres usagers. En définitive, au fil de ces logiques des plus économiques, l’orientation donnée à l’offre de stationnement public en ouvrage dessine un territoire de l’automobile dans lequel les préoccupations liées à l’échange riverain restent dominées par les déplacements à plus longue distance. Elle tend également à renforcer des discriminations effectives, qui échappent aux règles du jeu social pour se conformer davantage à celles du marché et auxquelles les collectivités locales vont tenter de substituer une gestion plus stratégique des conflits d’usage.
C’est avec le plan de déplacements urbains de 1997 que ces questions sont réellement mises sur la place publique. Encouragée à intégrer l’organisation du stationnement sur le domaine public à ses réflexions sur la limitation de la circulation automobile, cette procédure fixe pour l’avenir deux principes généraux d’action au niveau de l’agglomération : il s’agit d’abord de s’engager à ne plus accroître l’offre globale de stationnement sur les communes de Lyon et Villeurbanne et d’y compenser toute création nouvelle par la suppression d’autres places ; il est ensuite question d’organiser le stationnement selon l’usage et de fixer aux politiques publiques des objectifs qui tiennent compte de la diversité de cette demande. Le PDU lyonnais entend alors privilégier et améliorer le stationnement des résidents, assurer le stationnement lié aux activités économiques 1475 et réduire le stationnement des pendulaires.
En 1997, sur un total de douze sièges, la communauté urbaine dispose de quatre sièges au conseil d’administration de LPA, la ville de Lyon de trois, le conseil général du Rhône de un, tout comme le Crédit Lyonnais, la Chambre de Commerce de Lyon, la Caisse des Dépôts et Consignations et le Crédit Local de France. Quant au capital de la société, il est détenu à 61,84% par les collectivités locales (Grand Lyon pour 30,69%, ville de Lyon pour 21,63% et département du Rhône pour 9,52%) et à 38,16% par d’autres actionnaires (les principaux étant la Caisse des Dépôts et Consignations à hauteur de 21,98%, la CCI de Lyon pour 3,90%, le Crédit Local de France pour 3,90% et le Crédit Lyonnais pour 3,22%).
Document de présentation de Lyon Parc Auto, La ville, l’homme et la voiture.
F. MARGAIL, Les parcs relais, outils clés de politiques intermodales de déplacement urbain, Doctorat de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussée, LATTS, sous la direction de Gabriel Dupuy, 1996, p.93.
L’enquête sur les comportements d’achat des ménages réalisée par le CCI de Lyon dévoile qu’en 1996 le commerce de la Presqu’île réalise 52% de son chiffre d’affaires en produits non alimentaires avec des clients qui viennent en voiture, alors que cette proportion n’était que de 46% en 1986. A l’inverse, en dépit de l’ouverture d’une nouvelle ligne de métro, la part des transports collectifs régresse de 26 à 23%.
Ces visiteurs sont d’autant plus occasionnels que l’aire d’attraction des commerces de la Presqu’île est importante et que le tiers des usagers horaires des parcs de l’hypercentre ne sont pas des habitants de l’agglomération lyonnaise.
et plus de 75% des souscripteurs d’un abonnement permanent.
Contrecoup de cette politique commerciale ou produit d’un faisceau d’éléments plus large, toujours est-il qu’entre 1985 et 1995, en dépit des investissements réalisés dans les transports collectifs de la zone centrale, la proportion d’actifs accédant en voiture à la Presqu’île et à la Part-Dieu est passée de 41 à 47%.
regroupant ici chalandise, déplacements professionnels et démarches. Les rédacteurs du plan adopté par les collectivités s’accordent néanmoins pour reconnaître que cet objectif n’est pas en adéquation avec l’engagement consistant à diminuer le trafic automobile.