Bruit, accidents, congestion : les autres grandes nuisances de l’automobile

Le bruit constitue la seconde catégorie de nuisance environnementale pour laquelle la responsabilité de l’automobile est engagée. En raison de son caractère particulièrement sensible, cette nuisance apparaît depuis longtemps comme une des préoccupations majeures des citadins. Outre la dépréciation immobilière qu’elle peut engendrer, elle est en effet facteur de gênes multiples, fonctionnelle 1747 , physiologique ou psychologique, à l’origine d’une perturbation de la vie quotidienne.

Or, « en ville, 80 % de l’énergie acoustique sont émis par les véhicules en circulation, et l’on estime que 10 millions de personnes sont soumises, en France, à un niveau sonore supérieur à 65 décibels, seuil au-delà duquel le bruit est considéré comme gênant, notamment pour le sommeil. » 1748 En la matière, le sentiment d’une fatalité face à ce que l’on a longtemps considéré comme une contrepartie du progrès économique a progressivement fait place à une perception du bruit comme une pollution qu’il faut combattre. En France, le vote en décembre 1992 d’une loi contre le bruit est venu sanctionner cette évolution 1749  : elle prescrit une obligation de prévention imposant d’étudier les répercussions sonores de toute nouvelle voie ; elle fixe ensuite, par un arrêté de mai 1995, le seuil de gêne sonore à 60 décibels pour les transports terrestres et considère toute situation où les habitants sont soumis à des niveaux supérieurs plus de huit heures par jour comme un point noir à traiter. 1750 Mais, des décrets d’application qui se font attendre et des moyens insuffisants pour financer les mesures prescrites ont contribué à minimiser la portée de cette loi et à maintenir la lutte contre le bruit dans un statut de parent pauvre des politiques environnementales. En 1998, deux rapports viennent conforter cette analyse : celui du Conseil Economique et Social sur Le bruit dans la ville, qui estime que les dépenses publiques destinées à résorber les points noirs demeurent cinq fois inférieures à l’investissement nécessaire ; et celui rédigé par Claude Lamure sur La résorption des "points noirs" routiers et ferroviaires, qui établit un constat alourdi en évaluant à 3.000 le nombre de points noirs – et à 520 le nombre de "supers points noirs", où le niveau de bruit nocturne dépasse les 70 décibels – et qui relève qu’à peine 10% des points recensés ont été traités en dix ans. Ce double, et peu flatteur, état des lieux stigmatise une certaine inaction des pouvoirs publics, alors même que les moyens d’action ne manquent pas.

Comme pour la pollution atmosphérique, il est d’abord possible d’agir à la source en misant sur le progrès technologique. Les normes imposées aux constructeurs ont déjà conduit à diminuer les émissions sonores des véhicules et des marges de progression existent encore par rapport au bruit d’origine mécanique. En revanche, le bruit de roulement, qui devient à partir de 60 km/h la principale source d’émission pour les voitures particulières, ne peut espérer être réduit par cette voie et doit compter sur un traitement adapté de la chaussée pour être atténué. 1751 Plus globalement, les gains unitaires retirés des améliorations technologiques sont contrariés là encore par l’accroissement du parc et de la circulation automobiles. S’« il n’est pas possible de s’en remettre au mythe du véhicule silencieux, pour attendre des lendemains plus calmes » 1752 , il ne reste plus alors qu’à investir dans des solutions relevant des politiques d’aménagement. Parmi les pistes les plus efficaces, il y a celles qui consistent à jouer sur l’architecture et la conception des bâtiments afin d’améliorer leur isolation et leur confort phoniques ou encore celles qui reviennent à aménager des protections extérieures, des écrans acoustiques, le long des grandes artères de circulation. Mais il apparaît surtout intéressant d’intégrer plus largement les objectifs de réduction du bruit routier dans les mesures de gestion du trafic, ce qui peut tendre à promouvoir des aménagements visant à réduire la vitesse des véhicules 1753 , à réorganiser la circulation automobile 1754 ou à agir en faveur des modes de déplacement les moins bruyants : ainsi, à Lyon, le réaménagement de l’avenue Berthelot lié à l’arrivée du tramway a eu pour conséquence d’y faire baisser considérablement le niveau de bruit, grâce à la diminution du trafic automobile mais aussi à la réduction et à l’homogénéisation des vitesses de circulation suscitées sur la voie. 1755 Pour l’heure cependant, si les diagnostics se font de plus en plus précis et élaborés, le traitement de la pollution sonore souffre toujours d’un déficit de moyens et d’un manque de partenariat entre les collectivités locales. 1756 Or, dans la plupart des agglomérations, « avec la croissance observée et prévisible du trafic, le bruit s’étend dans l’espace (de plus en plus de sites deviennent bruyants) et dans le temps (le trafic devient permanent, il n’y a plus d’heures creuses, même la nuit). L’augmentation du trafic et la lenteur du renouvellement du parc gomment les effets potentiellement positifs des réglementations tendant à diminuer le bruit à la source. » 1757 C’est donc en intégrant pleinement, et à tous les échelons, la lutte contre la pollution sonore aux problématiques d’aménagement que l’on réussira à prendre la mesure d’un enjeu, qui répond à un besoin social constamment réaffirmé ; cet aménagement de l’espace sonore, qui s’inscrit dans la perspective d’une meilleure qualité de l’espace urbain, imposant alors inévitablement de questionner le territoire de l’automobile.

Les coûts externes de l’automobile ne se réduisent pas à leurs composantes environnementales et l’insécurité routière s’impose comme un autre élément fondamental des externalités négatives engendrées par ce moyen de transport. A ce sujet, il n’est d’ailleurs pas inopportun d’inviter à se montrer « cyniques, mais réalistes : le (vrai) problème de la pollution n’a pas plus de raison de faire réfléchir sur les politiques de transport que n’en ont les 9 ou 10 000 accidents mortels, et annuels, de la route. » 1758

Le bilan des accidents de la circulation éclaire en effet d’une lumière crue la question de la place de l’automobile dans nos sociétés, en mettant en relief son coût humain. En France, avec plus de 7.600 morts et 162.000 blessés en 2000, ce bilan restait dramatiquement lourd. 1759 En milieu urbain, l’insécurité routière n’est pas une nuisance moins anodine, puisque 67% des 121.000 accidents survenus en 2000 ont eu lieu en agglomération et qu’ils représentent les deux tiers des blessés, même s’ils sont "seulement" responsables d’un peu moins du tiers des victimes de la route. En fait, « le risque d’avoir un accident pour une même distance parcourue est près de trois fois plus fort en agglomération qu’en rase campagne, mais le risque d’être tué est moins élevé en agglomération. La gravité des accidents est généralement moins forte en ville » 1760 , principalement en raison d’une moindre vitesse. En revanche, l’insécurité routière urbaine affecte, dans des proportions souvent majoritaires et nettement plus élevées qu’hors agglomération, les usagers qui ne circulent pas en voiture particulière. C’est d’abord ces derniers que, porteuse d’un « monopole radical sur l’espace de la ville » 1761 et d’une « atteinte extrême au milieu urbain, l’automobile blesse et tue. En Allemagne, plus de 56% des accidents de circulation locale concernent des non-automobilistes. » 1762 En France, en 2001, les accidents survenus en milieu urbain ont tué 57% de non-automobilistes et en ont blessé gravement 68% : ces victimes sont d’abord des conducteurs de deux-roues motorisés – 28% des tués et 39% des blessés graves – mais aussi des piétons – 24% des tués et des blessés graves – et des cyclistes – 5% des tués et des blessés graves.

La lutte contre l’insécurité routière a pourtant été engagée avec, comme cadre privilégié, de grands programmes nationaux d’action. 1972 marque un tournant en la matière, en raison d’un triste record de 16.000 morts qui amène enfin les autorités françaises à considérer les accidents de la circulation comme un véritable problème de santé publique. Dès l’année suivante, un certain nombre de mesures relatives à la limitation de vitesse, au port de la ceinture et du casque sont prises afin de limiter les accidents et leur gravité. D’autres suivront, contribuant régulièrement à une baisse de la mortalité routière, qui se fait pour l’essentiel par paliers au fil du renforcement de l’arsenal répressif. Ainsi peut-on observer l’impact positif de l’introduction en 1992 du permis à points sur la sécurité routière. 1763 Plus récemment, la volonté affichée de faire de la lutte contre la violence routière une grande "cause nationale" 1764 – volonté notamment traduite dans la loi de 1998 instaurant un délit de grande vitesse 1765 et relayée par des messages de prévention plus réalistes et moins aseptisés – s’est accompagnée une nouvelle fois de progrès sensibles. 1766 Enfin, le durcissement des sanctions et de la répression illustré par l’installation de radars automatiques sur les routes françaises ont permis au dernier gouvernement de franchir un nouveau palier dans la réduction de l’insécurité routière. 1767 Toujours est-il que la route demeure encore un « domaine de prédilection des incivilités de toute sorte » et constitue surtout « un espace implicitement négocié où, faute d’être véritablement négocié, la réglementation semble appartenir au domaine de l’indicatif. » 1768 On touche là sans doute aux limites de ce type d’actions, dont la faiblesse est de n’influencer finalement que secondairement des comportements régis très en amont par des modes originaux de rapport à l’automobile et à la norme.

« L’autre chantier concerne les poids, puissance, et vitesses de pointe des véhicules. (…) Interdire d’un côté ce qu’on autorise de l’autre 1769 n’est sans doute pas le meilleur moyen de donner une image cohérente de l’action publique, surtout quand les problèmes posés par la dérive des puissances sont graves » 1770 Or, jusqu’à présent, les pouvoirs publics ont échoué ou plutôt renoncé à imposer un quelconque bridage des automobiles, alors même que cette mesure se justifierait autant par rapport à des objectifs de sécurité routière que de préservation de l’environnement. 1771 De leur côté, les constructeurs ont développé notoirement les équipements de sécurité embarqués à bord de leurs véhicules. 1772 Depuis quelques années, les systèmes de protection ont fait d’énormes progrès et les aides à la conduite se sont généralisées, en réponse à une demande réelle des consommateurs. Pour autant, ces améliorations ne sont pas sans effets pervers, puisque l’on a observé que la vigilance des conducteurs pouvait parfois se trouver altérée par ce sentiment accru de confort et de sécurité. 1773 Surtout, elles n’ont pas encore pris le pas sur une course aux performances, qui concourt à maintenir le risque d’accidents au cœur de la conduite automobile.

Il reste alors à compter sur les politiques d’aménagement pour réduire l’insécurité routière. Si une amélioration des infrastructures et un travail sur la conception des ouvrages de circulation ont déjà été réalisés dans cette optique, l’ampleur et la complexité de la tâche rendent nécessaires des interventions élargies, notamment en ville où il s’agit de rapprocher les logiques des ingénieurs de la route de celles des urbanistes. 1774 C’est en effet par des actions transversales que la sécurité routière parvient à gagner du terrain. En France, « en 1983, grande première dans l’histoire des routes : la Direction de l’architecture et de l’urbanisme et la Direction de la sécurité et de la circulation routière s’associent et montent sous la houlette du Comité interministériel des villes, le programme “ville plus sûre, quartiers sans accidents”. La Direction des routes suit. La coordination est assurée par le CETUR. » 1775 A partir de 1991, les politiques locales peuvent aussi s’appuyer sur une nouvelle réglementation nationale en matière de limitation de vitesse en ville 1776 , pour procéder à une hiérarchisation du réseau de voirie qui soit porteuse d’un aménagement de l’espace urbain plus soucieux de sécurité. Au-delà de l’abaissement des vitesses autorisées, c’est ici notamment la réalisation de zones à trafic modéré qui permet d’espérer une cohabitation plus pacifique entre les différents usagers. D’une commune à l’autre, les progrès se révèlent néanmoins fortement hétérogènes. Cette disparité se retrouve, entre les agglomérations, dans les premiers PDU issus de la loi sur l’air 1777  : en s’inscrivant dans la continuité d’expériences locales inégales, ces documents n’affichent pas tous les mêmes ambitions, qu’ils visent à améliorer, à dynamiser ou simplement à initier la prise en compte de la sécurité routière dans les politiques d’aménagement 1778  ; évoquant ces questions sans procéder à un diagnostic approfondi, les PDU se contentent bien souvent de promouvoir quelques grands principes comme la hiérarchisation des voies urbaines, la création de zones 30 ou le partage de la voirie. Afin d’inciter les collectivités territoriales à se saisir plus vigoureusement du problème, la loi SRU a renforcé depuis l’exigence de prise en compte de la sécurité routière dans les plans de déplacements urbains. Il y a donc, en matière de pratiques comme d’expertise locales, encore beaucoup de progrès à faire pour que l’urbanisme assume pleinement une de ses missions fondamentales, qui est in fine de civiliser la ville. Bref, quoi qu’on en dise, face aux multiples facettes de la toute-puissance automobile, la problématique sécuritaire peine encore à quitter totalement les sphères de la fatalité et des incantations collectives pour se glisser dans les habits d’une religion attirant de fervents pratiquants.

Il est enfin des coûts qui méritent d’être intégrés aux coûts sociaux de l’automobile mais dont l’externalité n’est pas toujours aisée à établir ou à circonscrire. C’est le cas de la congestion qui « constitue en milieu urbain à la fois une évidence et un casse-tête. (…) L’incertitude des analyses est aussi évidente que la congestion elle-même. Ainsi, le coût de la congestion doit être ignoré pour certains alors que pour d’autres, il représente des sommes élevées. En réalité, les uns et les autres sont généralement d’accord pour constater l’existence des effets négatifs des embouteillages (temps perdu, hausse du coût de fonctionnement des véhicules, stress…) mais reconnaissent qu’il ne s’agit pas d’un effet externe au sens habituel du terme. » 1779 En effet, la congestion touche d’abord les automobilistes eux-mêmes, soit des usagers de la voiture « qui ne restent usagers que dans la mesure où ils y trouvent un avantage. Il en est différemment lorsque la congestion affecte les non-usagers comme les usagers des transports collectifs, notamment de surface » 1780 . Il ne s’agit pas de nier les conséquences pour la société du temps perdu par les automobilistes dans les embouteillages, ainsi que de la fatigue et du stress qui l’accompagnent. Mais il convient de souligner que la souscription au principe d’externalité impose de ne retenir des effets de la congestion automobile que les pertes de temps des autres utilisateurs de la voirie, les surcoûts d’exploitation dont sont victimes les transports collectifs 1781 , la surconsommation d’énergie et la surémission de polluants atmosphériques dues à l’altération des vitesses des véhicules 1782 ou encore l’étalement des nuisances inhérent à la redistribution temporelle et spatiale du trafic des grands axes vers l’ensemble du réseau.

Outre les indéniables inconvénients pour les migrants et les riverains, ces effets externes permettent de dévoiler les transferts cachés dont la congestion est porteuse au sein du champ des transports : transferts de clientèle entre les modes, lorsque les atteintes à la régularité des fréquences et à la rapidité des bus conduisent les usagers à se détourner des transports en commun, mais aussi transferts financiers plus larges des transports collectifs vers l’automobile. 1783 Bien sûr, les difficultés de circulation peuvent également dissuader certains automobilistes et les inciter à se rabattre vers les modes de transport collectifs. Pour autant, la congestion ne peut être considérée comme un adversaire indéfectible de l’automobile, même si elle est à l’origine de sérieux désagréments pour ses utilisateurs. « Au fond, ce que l’on nomme la congestion n’est-elle pas la forme librement consentie de l’affluence, dont aucun commerçant, industriel, artisan, organisateur de spectacle ne songerait pour sa part à se plaindre ? La route joue parfois à guichets fermés, c’est la conséquence de son importance et de son succès. » 1784 Cette ambiguïté fondamentale se retrouve au niveau des politiques destinées à la résorber. En la matière, la large palette de moyens d’action dont disposent les pouvoirs publics est en mesure d’appuyer des logiques fort différentes. Car, dans la mesure où il participe déjà d’une forme de régulation des déplacements, il n’est pas anodin de remettre en cause l’équilibre non optimal de la congestion. Lutter contre cette dernière nécessite donc de se montrer avant tout soucieux des équilibres internes au système de transport. En effet, ce n’est qu’à volume de trafic égal ou inférieur, qu’une plus grande fluidité de la circulation automobile peut entraîner une réelle amélioration de la qualité de vie urbaine. A l’inverse, toutes les mesures qui, comme la construction de nouvelles infrastructures, ne visent pas d’abord à réduire le trafic automobile tendent à entretenir un cercle vicieux de la congestion et de la dégradation du cadre de vie. Car les conditions de circulation ainsi produites participent à une dynamique territoriale plus globale, dont elles sont à la fois un reflet et un support. En définitive, « les coûts de la congestion peuvent être interprétés comme des coûts sacrifiés d’un commun accord par les individus et la collectivité au profit de la poursuite d’une logique urbaine qui satisfait le plus grand nombre. » 1785 Seulement, en dépit d’investissements importants en faveur de l’automobile, ce problème tend à s’aggraver de manière quasi générale dans les grandes agglomérations, où il provoque des nuisances qui s’étendent dans l’espace comme dans le temps. C’est pourquoi, tout en inscrivant son extension dans le sillage du règne urbain de l’automobile, la congestion s’affirme parallèlement comme un important levier de contestation.

Ainsi que nous venons de l’observer, la prise en compte des externalités négatives engendrées par la mobilité automobile s’inscrit depuis une dizaine d’années dans un contexte nouveau. En effet, « si la préférence pour la mobilité a été prépondérante jusqu’à aujourd'hui, elle entre désormais en conflit avec la montée des préférences pour un meilleur environnement. » 1786 La résolution de ce conflit passe alors incontestablement par la remise en question d’un certain nombre de pratiques en vigueur dans le champ des déplacements comme dans le champ urbain. Mais cette évolution se révèle d’autant plus difficile à concrétiser qu’elle repose également sur un bouleversement profond des valeurs inscrites dans le champ social.

Dans ces conditions, il apparaît clairement que des pays comme la France ou l’Allemagne ne peuvent « profiter de "la liberté" que procure l’absence d’industrie automobile nationale pour être un élément moteur dans l’évolution réglementaire » 1787 en matière de régulation des déplacements urbains. Néanmoins, même les activités liées à la production de voitures particulières intègrent de plus en plus le fait « que les effets induits des transports affectent leur propre efficacité et remettent également en cause l’équilibre écologique du milieu urbain, par le poids des nuisances, la consommation effrénée d’énergie, de temps, d’air et d’espace qu’ils occasionnent. » 1788 Face à ces maux, certains constructeurs ne s’opposent d’ailleurs plus à l’introduction d’éléments de contestation du règne urbain de l’automobile, ne serait-ce que par fidélité à une philosophie « selon laquelle les voitures doivent être vendues en tant qu’"autos mobiles" et non en tant qu’"autos immobiles pour cause d’embouteillage" » 1789 . Engager des actions de contestation peut donc permettre de répondre aussi bien à la montée dans le champ social des préoccupations relatives à des nuisances comme la pollution ou la congestion, qu’au souci de préserver l’image de ce moyen de transport.

Pour autant, les freins à l’affirmation de cette dynamique nouvelle ne manquent pas. Pour n’en citer que deux, situés aux deux extrémités du processus de décision, il s’agit d’abord d’arriver à traduire cette orientation globale dans les comportements quotidiens des automobilistes. Or, il subsiste au niveau de ces usagers une forte contradiction entre des désirs exprimés de réduction des nuisances et des pratiques individuelles de mobilité, souvent vécues comme contraintes ou déconnectées de leur agrégation collective. 1790 « Cette ambiguïté est aussi présente dans le discours de la classe politique française. Celle-ci a conscience des dangers liés à la pollution et à la voiture, mais a du mal à proposer des actions coordonnées et cohérentes face aux problèmes de mobilité urbaine et de stationnement. Les discours s’inscrivent plus dans une logique "d’effet d’annonce" ou d’information qu’ils n’annoncent des actions concrètes. Il est plus facile pour les élus d’informer et de sensibiliser que de prendre des mesures qui pourraient s’avérer impopulaires ou aller à l’encontre de tel ou tel lobby professionnel. » 1791 Que ce soit pour les agents privés ou publics, il reste donc encore à trouver les voies permettant de relever concrètement les défis posés par la perspective d’une contestation urbaine de l’automobile. Avant de voir ce que cela exige en matière de production territoriale, il convient de balayer le champ des moyens et des opportunités de contestation qui peuvent alors s’offrir aux politiques de déplacements.

Notes
1747.

quand le bruit interfère avec les activités humaines, comme le sommeil ou le travail.

1748.

I. BOURBOULON, "Des villes asphyxiées par l’automobile", in Le Monde Diplomatique, décembre 1997, p.18. On estime plus fréquemment que le nombre de français exposés à leur domicile à un bruit supérieur à 65 décibels se situe entre 6 et 7 millions.

1749.

même si, avant cette loi dite loi Royal, d’autres programmes d’action avaient déjà été élaborés : la ministre de l’environnement Huguette Bouchardeau avait notamment lancé en 1984 un plan national de lutte contre le bruit mais celui-ci était resté pour l’essentiel lettre morte.

1750.

En 1995, un rapport parlementaire commandé au député de l’Essonne, Bernard Serrou, recense 2.600 points noirs à traiter et estime à 10 milliards de francs (1,52 milliards d’euros) l’investissement nécessaire pour les résorber.

1751.

Les revêtements de chaussée les plus efficaces à cet égard sont ceux à forte porosité, comme les enrobés drainants.

1752.

P. BAR, "Une des contraintes de l’aménagement urbain", Dossier bruit, in Diagonal, n°71, p.14.

1753.

par des ralentisseurs ou des zones 30, toute mesure favorisant un apaisement de la circulation profitable à une réduction des émissions sonores, à condition qu’elle ne nuise pas trop au caractère fluide de l’écoulement des véhicules.

1754.

en détournant par exemple certains flux de transit.

1755.

Entre 1997 et 2001, le niveau de bruit enregistré durant la journée a diminué d’environ 7 dB(A) (et de 3,3 db(A) la nuit, entre 22h et 6h) sur l’avenue Berthelot (d’après CETE de Lyon, SYTRAL, Tramway de Lyon. Suivi des changements acoustiques, octobre 2001). Cette diminution est particulièrement importante sachant que, si c’est à partir de 3 dB(A) qu’une variation de bruit est perceptible par l’oreille humaine, une diminution de 10 dB(A) correspond à une sensation de « deux fois moins fort ». On considère que la division par deux du trafic automobile, qui a été observée entre 1997 et 2001, ne peut générer qu’une baisse du niveau de bruit de 3 db(A). Le reste de la diminution s’explique donc par la suppression des bus mais aussi par la baisse et l’homogénéisation des vitesses pratiquées sur la voie.

1756.

Même si les nuisances restent locales, chaque collectivité a en effet vocation à décider des aménagements adéquats sur les voies relevant de sa compétence.

1757.

in SYTRAL, Rapport final du groupe de travail Environnement, Cadre de vie et Déplacements du Plan de Déplacements Urbains de Lyon, op.cit., p.5.

1758.

J.M. OFFNER, 1996, op.cit., p.47.

1759.

Derrière la Grèce et le Portugal, la France est le pays d’Europe où le nombre de morts sur la route est le plus élevé au regard du trafic. Par ailleurs, rapportées au nombre d’habitants, les routes françaises tuent deux fois plus qu’au Royaume-Uni et une fois et demie plus qu’en Allemagne.

1760.

H. FONTAINE, P.E. BARJONET, "L’insécurité routière", in INRETS, 1989, op.cit., p.216.

1761.

G. DUPUY, 1995, op.cit., p.51.

1762.

G. DUPUY, 1995a, op.cit., p.47.

1763.

Le chiffre des victimes de la route, qui tendait à se stabiliser entre 1985 et 1990 au-dessus de 10.000 morts par an après une diminution relativement régulière, a enregistré une nouvelle baisse au début des années 90 (amorcée il est vrai en 1991, avant l’introduction du permis à points) pour atteindre un nouveau palier à partir de 1994, aux alentours des 8.500 décès annuels. L’évidence de l’influence du permis à points dans cette évolution donne-t-elle raison à Alfred Sauvy prétendant que, pour nombre d’automobilistes, « la peur de perdre le permis est supérieure à la peur de perdre la vie » ("Coûts et avantages de l’automobile pour la nation", in Chronique sociale de France, cahier 4/5, octobre 1973, p.64) ? L’efficacité de l’instauration d’un permis probatoire pour les jeunes conducteurs, prévue en 2004, pourrait permettre de souscrire définitivement à cette assertion.

1764.

une ambition gouvernementale proclamée notamment par le ministre des transports, Jean-Claude Gayssot, « afin d’atteindre en France un niveau identique à celui d’autres pays européens comparables » (in Discours au séminaire internationale sur la "civilisation de l’automobile", Lyon, octobre 2000).

1765.

Ce délit s’applique à un conducteur déjà condamné pour avoir dépassé la vitesse maximale autorisée de plus de 50 km/h et pris à récidiver dans un délai d’un an. Il prévoit une peine pouvant aller jusqu’à trois mois d’emprisonnement et 25.000 francs (3.811 euros) d’amende.

1766.

Le nombre de morts sur les routes françaises est ainsi passé de 8.437 en 1998 à 8.029 en 1999, avant de se stabiliser à 7.643 et 7.720 en 2000 et 2001. Le nombre d’accidents corporels et de blessés a également diminué significativement durant ce laps de temps (de 124.387 en 1998 à 116.745 en 2001 pour le premier et de 168.535 à 153.945 pour le second).

1767.

Le nombre de tués est alors passé de 7.242 tués en 2002 à 5.732 en 2003, tandis que le nombre d’accidents et de blessés régressait respectivement de 105.470 à 90.220 et de 137.839 à 115.929 entre 2002 et 2003.

1768.

J.M. NORMAND, "L’innovation technologique pour le véhicule peut jouer contre la sécurité routière", in Le Monde, dimanche 27-lundi 28 janvier 2002, p.21.

1769.

c’est-à-dire des véhicules pouvant aller jusqu’à 250 km/h alors que la vitesse maximale autorisée est de 130 km/h.

1770.

J.P ORFEUIL, 1994, op.cit., p.71-72.

1771.

Envisagée un temps dans le cadre du Programme National de Lutte contre l’Effet de Serre, la limitation de la puissance et de la vitesse des automobiles par les pouvoirs publics n’a finalement pas été retenue par le gouvernement français, qui s’est cependant promis d’étudier cette opportunité avec ses partenaires de l’Union Européenne. L’hypothèse d’un bridage des moteurs fut certes évoquée par la France en octobre 1998, lors d’un conseil des ministres européens de l’environnement, mais elle fut aussi rapidement abandonnée devant l’opposition manifestée notamment par l’Allemagne et ses constructeurs automobiles nationaux. A ce jour, aucune mesure concrète visant à obtenir à court terme une réduction de la vitesse maximale des véhicules automobiles n’est donc envisagée : ni bridage de la puissance des moteurs, ni boite noire embarquée, ni même obligation d’équipement en limitateur ou régulateur de vitesse (qui existent en option sur certains modèles).

1772.

alors que pendant longtemps les constructeurs ont préféré occulter le danger, comme l’illustre l’aveu du président de General Motors suite aux remous provoqués par Ralph Nader. « Installer des dispositifs de sécurité, expliqua-t-il, c’est révéler que la voiture présente des dangers. On ne vend pas une voiture en disant qu’elle est dangereuse » (Y. BOUDOISEAU, op.cit., p.59).

1773.

Certaines véhicules offrent un confort et des comportements routiers tellement rassurants qu’ils gomment les sensations liées à leur conduite. Le développement du sentiment de protection peut également inciter le conducteur à rouler plus vite et à réduire son attention. A tel point que l’on envisage aujourd'hui de réintroduire dans les voitures des signaux artificiels (léger mouvement de caisse, vibrations, effets sonores…), fonctionnant comme des marqueurs émotionnels de risques.

1774.

Cette appréhension des problèmes de sécurité routière a été popularisée en France par la parution en 1979 du document En rue libre…, publié par le CETUR à partir d’études pilotées par Geneviève Dubois-Taine. Cette dernière rappelle d’ailleurs à ce sujet, qu’« à l’époque, (…) prétendre que l’automobiliste conduit en fonction de son environnement passait pour révolutionnaire ! » (in M. GUIAS, "Sécurité routière : la voie du changement", in Diagonal, n°62, p.9). Procédant d’une forme de remise en cause du règne sans partage de la voiture, la nouvelle voie à suivre consistait à se démarquer de la simple politique du dos d’âne et à ne plus dissocier par exemple l’aménagement de la circulation automobile de celui des parcours piétons (le second se trouvant d’autant plus à la remorque du premier).

1775.

M. GUIAS, op.cit., p.10.

1776.

La nouvelle réglementation introduit, pour la circulation en milieu urbain, trois grandes catégories de voies définies par des vitesses maximales autorisées de 30, 50 et 70 km/h.

1777.

« La sécurité routière n’est pourtant pas explicite dans la LAURE. En effet, le lien entre la sécurité routière, économie d’énergie et diminution de la pollution n’est pas directe, l’ambiguïté ne sera levée que par la loi "solidarité et renouvellement urbains" (SRU) en 2000. (…) les responsables des futurs PDU de la loi SRU devront obligatoirement prendre en compte l’amélioration de la sécurité de tous les déplacements. Le législateur ayant explicitement retenu cet objectif pour les PDU notamment par la mise en place d’un observatoire des accidents » (in J. YERPEZ, "Quelle place pour la sécurité routière dans l’élaboration des plans de déplacements urbains ?", in TEC, n°168, novembre-décembre 2001, p.2).

1778.

Les PDU de Lyon et de Lille sont d’ailleurs assez exemplaires des différences qui peuvent exister en matière de prise en compte de la sécurité routière. Les objectifs affichés ne sont pas particulièrement dissemblables : à Lyon en 1997, « les partenaires du plan se donnent pour objectif d’aboutir, à un horizon de dix ans, à une baisse de 40% des statistiques actuelles pour les tués et les blessés graves » (in SYTRAL, 1997, op.cit., p.20) ; tandis qu’à Lille, « l’objectif du PDU est de réduire de 30% en 5 ans le nombre d’accidents corporels de la circulation sur la métropole » (in Communauté Urbaine de Lille, Direction Générale des Services Opérationnels, op.cit., p.8), sachant qu’une prolongation des dernières tendances conduirait à une baisse d’environ 20%. En revanche, l’examen des mesures spécifiques préconisées pour atteindre ces objectifs est édifiant quant à l’écart entre ces deux procédures. L’agglomération lyonnaise, qui présente une situation particulièrement dégradée, n’a jamais véritablement développé de culture d’aménagement soucieuse de sécurité routière. Outre les mesures générales attachées à la réduction de la place de l’automobile et à une gestion plus équilibrée de l’espace de voirie, son PDU ne propose donc guère d’actions ciblées sur ce problème. Il se contente de prôner l’élaboration d’un programme d’actions destinées à résorber les points les plus accidentogènes ainsi que d’un plan d’interventions visant à réduire physiquement les vitesses excessives pratiquées. Et les changements intervenus depuis dans le mode local de recueil de données en matière d’accidentologie interdisent désormais toute évaluation correcte de la politique mise en œuvre depuis 1997. Ces formes d’externalisation de la lutte contre l’insécurité routière traduisent bien à la fois l’inexpérience et la pusillanimité des collectivités en la matière. Dans l’agglomération lilloise, des efforts importants ont déjà été engagés et l’on a pris l’habitude de considérer que « l’insécurité routière constitue le premier problème de santé publique lié aux transports » (ibid., p.35). Les services techniques de la communauté urbaine ont développé très tôt des outils avancés de traitement des données d’accidents et de gestion du trafic (fichier accidents, cartographie automatique, système d’information géographique, logiciel PACTOL, système informatisé de gestion des feux), qui ont connu dans le champ de l’ingénierie routière une renommée dépassant les frontières de l’hexagone. Faisant preuve d’une bonne maîtrise de ces questions, son PDU peut alors proposer un inventaire détaillé et complet de moyens d’action à renforcer et à propager : il impose ainsi la réalisation systématique d’audits de sécurité pour tout projet routier, la mise en place d’un protocole d’évaluation de l’influence des aménagements sur la sécurité routière, la création d’une ligne budgétaire spécifique "sécurité routière" afin de pouvoir effectuer en urgence de petits aménagements ponctuels, l’organisation d’actions de formation aux principes de sécurité routière pour les cadres et techniciens locaux ainsi que d’actions de sensibilisation auprès des élus locaux et de la population, la diffusion annuelle des bilans d’accidents de la circulation… etc.

1779.

Y. CROZET et al., 1993, op.cit., p.84.

1780.

M. FRYBOURG, R. PRUD’HOMME, op.cit., p.44.

1781.

Selon Yves Crozet, la congestion explique pour le quart la croissance des charges d’exploitation des transports collectifs. Il évoque à ce sujet une étude SYTRAL-SLTC de 1990, concluant ainsi : « Les TCL avancent que la perte d’un kilomètre-heure sur l’ensemble du réseau de surface induit une augmentation de 35 millions par an du budget de fonctionnement de l’ensemble des TC de l’agglomération » (in Y. CROZET et al., 1993, op.cit., p.74).

1782.

Les hydrocarbures et le monoxyde de carbone sont très affectés par le niveau de congestion, tandis que les particules, le SO2 et le CO2 y sont sensibles. A volume de trafic égal, décongestionner la circulation tendrait donc à réduire la pollution locale. En revanche, la vitesse peut faire augmenter certaines émissions comme celles d’oxydes d’azote. Au final, les enjeux de la congestion « se situent essentiellement à un niveau local, sur le cadre de vie des résidents du territoire considéré, tant pour la pollution atmosphérique que pour le bruit. Les niveaux régionaux et globaux, même s’ils sont également concernés, restent d’abord et avant tout affectés par le niveau de trafic, quel que soit l’état de la circulation » (ibid., p.105).

1783.

« C’est par la médiation d’effets externes que s’exercent ces transferts (…). Ces effets externes se tiennent exclusivement en période de saturation du système d’offre de transport. On peut considérer que les transferts se manifestent presque exclusivement des déplacements en mode collectif vers les déplacements individuels. Ce sont donc toujours les automobilistes qui sont les bénéficiaires de transferts ayant une origine double : les surcoûts que la congestion impose à l’exploitation des transports collectifs ; les avantages que l’amélioration de l’offre TC apporte aux déplacements individuels. Les surcoûts d’exploitation des TC du fait de la congestion peut être estimée à 1,77 francs par déplacement VP en situation de congestion. Quant au surplus dégagé par l’amélioration de la circulation due au développement de l’offre TC, il représente un transfert TC vers VP de l’ordre de 0,20 franc par déplacement en situation de congestion » (in Y. CROZET et al., 1993, op.cit., p.69).

1784.

F. PREVOST, "Que ferait-on sans la route ?", in Autoactualité, n°48, février 2004, p.8.

1785.

Y. CROZET et al., 1993, op.cit., p.3.

1786.

ibid., p.14.

1787.

J.P. ORFEUIL, 1994, op.cit., p.30.

1788.

B. ARCHER, "Ville, transports et environnement", in Les cahiers du génie urbain, n°4, mars 1992, p.9.

1789.

D. LUDWIG, "Transports publics urbains et régionaux en Allemagne", in Transport Public International, 2/1997, p.71.

1790.

Une enquête réalisée par le CREDOC au milieu des années 90 (in ADEME, Les Français et l’environnement : attitudes et comportements. Données et références, Paris, Editions de l’ADEME, 1997, p.7) témoigne bien de la forte progression des enjeux environnementaux dans les préoccupations des Français mais elle montre aussi leur réticence à modifier dans les faits leur comportement quotidien vis-à-vis de la voiture, même si près des deux tiers des automobilistes se disent prêts à faire le sacrifice occasionnel de leur véhicule lors de pics de pollution.

1791.

V. CATHERIN, J.M. JARRIGE, J. LEGAIGNOUX, E. LE VAN, op.cit., p.122.