Nous avons d’abord observé, dans l’espace urbain lyonnais, que la zone dense héritée n’axait plus prioritairement sa stratégie de développement sur une volonté de modernité à tout crin mais souscrivait davantage à une approche soucieuse de qualité des territoires. « Renouant avec une tradition quelque peu délaissée au cours des années 1960-1980, la Communauté Urbaine et les communes ont beaucoup investi dans des opérations visant à améliorer le cadre de vie. Les effets de ces efforts sont particulièrement visibles dans le centre de Lyon, qui a été en quelque sorte mis en scène d’une façon quasi unanimement appréciée. » 1979 Cette politique qualitative s’est traduite dans la réhabilitation du bâti existant, dans l’animation culturelle et commerciale de la ville, dans le réaménagement des espaces publics ou encore dans quelques réalisations spectaculaires recherchant la paternité de grands noms de l’architecture 1980 . Plus que tout, elle a constitué le signe et le signal du réinvestissement du centre de l’agglomération, en s’affirmant comme une proposition forte contribuant à rendre les formes urbaines denses plus attrayantes – plus "sexy" serait-on presque tenté de dire. La politique de déplacements n’a pas été tenue à l’écart de ce processus et a servi en quelque sorte de « fil rouge » 1981 à la restructuration des quartiers existants : cette fonction a été illustrée par l’omniprésence des préoccupations relatives aux déplacements dans les orientations du Plan Presqu’île ; elle a été symbolisée par la renaissance d’un tramway conçu comme une véritable opération d’urbanisme ; elle s’est manifestée plus largement dans divers réaménagements de la voirie urbaine et d’espaces de mobilité moins organisés en fonction des automobilistes ; et même si elle ne s’est pas accompagnée d’une diminution de l’offre de stationnement automobile, elle a intégré la poussée de l’importance des préoccupations riveraines dans la différenciation des usages que cette offre de stationnement pouvait opérer. Ce faisant, les espaces centraux et péricentraux de l’agglomération lyonnaise tendent aujourd'hui à présenter une distinction spatiale porteuse, à l’égard de l’automobile, d’une logique territoriale spécifique qui façonne une ville des vitesses variables s’efforçant de préserver la diversité de ses accessibilités.
Seulement, la circonscription spatiale de la contestation de l’automobile hypothèque pour l’instant les perspectives de développement plus large d’un territoire urbain porteur de cette logique. A cet égard, l’évolution de la première couronne d’urbanisation, cette zone intermédiaire intégrée à la zone agglomérée, apparaît comme un des enjeux majeurs pour l’avenir. Car, tandis que le développement urbain récent s’est fait « à saute-mouton par dessus les proches banlieues selon un processus de différenciation sociale de plus en plus complexe » 1982 , cette proche périphérie se révèle la plus à même d’offrir à un certain nombre de ménages une alternative à des capacités foncières plus lointaines porteuses d’une dépendance à l’automobile. « Une inflexion à la dynamique urbaine actuelle n’aura en effet lieu ni dans les villes centres, qui n’offrent que des potentiels de développement limités, ni dans le périurbain. Il est urgent de développer une troisième voie. » 1983 Pour ce faire, il s’agit de lutter contre la relégation sociale qui frappe une partie de la première couronne mais aussi contre sa déshérence et une structuration territoriale associant une offre de traversée rapide par les flux automobiles à une desserte de seconde zone en transports collectifs. A l’inverse, il s’agit de faire de ces espaces d’urbanisation dense et continue une offre de localisation attractive, proposant une qualité résidentielle à un coût raisonnable et bénéficiant de bonnes conditions d’accessibilité en même temps que de possibilités de desserte concurrentielle par les transports collectifs. Or, si des axes lourds, notamment de tramway, commencent à desservir cette zone auparavant reliée de manière plutôt fruste au centre, on s’interroge encore sur la portée des dynamiques de renouvellement urbain qui y sont engagées et sur la capacité de cette ville suburbaine à s’affirmer concrètement comme « le lieu où les recommandations des PDU [prendront] tout leur sens. » 1984 Le Plan d’Occupation des Sols (POS) de l’agglomération lyonnaise révisé en 2001 1985 a certes cherché à s’inscrire dans cette logique de requalification de la première couronne, en affichant sa volonté de maîtriser l’étalement urbain, de privilégier la reconquête des sites déjà urbanisés et d’organiser un développement urbain offrant des espaces bâtis de qualité. Dans cette optique, il a procédé à une limitation des terrains constructibles là où il était en mesure de le faire, c’est-à-dire sur le territoire de la communauté urbaine. 1986 Seulement, à cette échelle, une telle restriction réglementaire peut se révéler contre-productive si elle ne s’accompagne par d’une intervention complémentaire des pouvoirs publics sur le marché foncier. Car, pour maîtriser le degré d’éparpillement de la périurbanisation, « il ne faut pas raréfier l’offre foncière disponible (par la planification) mais au contraire accroître sa disponibilité réelle en pesant sur les prix là où les collectivités veulent canaliser la périurbanisation. » 1987 A partir du moment où le POS organise une plus grande pénurie foncière sur le territoire du Grand Lyon, il devient encore plus capital d’agir sur les capacités d’accueil restantes, qu’elles procèdent d’une extension ou d’un renouvellement urbains, pour assurer leur mise sur le marché à un prix abordable. Faute de quoi, il y a fort à parier que la diffusion de l’urbanisation se poursuivra en dehors du périmètre communautaire, dans les espaces périurbains. L’objectif de compacité urbaine, qui sous-tend à Lyon le développement d’une contestation élargie du territoire de l’automobile-reine, implique donc pour être atteint une certaine maîtrise foncière de la part des collectivités. Or, la faiblesse de la politique foncière du Grand Lyon vient ici s’ajouter au « rôle du libéralisme qui place loin des collectivités l’un des éléments essentiels de toute politique : le sol. » 1988
Les nouveaux instruments de relance de la planification urbaine, que sont le Schéma de COhérence Territoriale (SCOT) et le Plan Local d’Urbanisme (PLU), seront alors jugés en partie par rapport à leur capacité à répondre à cet enjeu. Le SCOT notamment fait aujourd'hui l’objet de multiples curiosités à cet égard. Sera-t-il capable de mieux articuler urbanisme et déplacements, en favorisant une urbanisation prioritaire dans les secteurs desservis par les transports collectifs et en assurant plus particulièrement le développement urbain d’une première couronne qui tend à voir sa desserte en transports publics s’améliorer sensiblement ? Son territoire d’action est-il suffisamment étendu dans l’aire urbaine lyonnaise pour contrôler les dynamiques d’urbanisation et faire valoir les avantages des espaces de régénération urbaine au détriment de nouvelles extensions périurbaines ? Et saura-t-il échapper à la prégnance du modèle monocentrique lyonnais pour promouvoir une structuration du développement périphérique autour de centralités secondaires structurées et offrant moins de prise à l’automobile ? De la réponse positive à ces questions dépendra certainement la portée future d’une dynamique territoriale moins favorable à la voiture. A défaut, Lyon devra se contenter d’une contestation axée sur un espace restreint et distinctif, une contestation fortement chargée symboliquement mais encore limitée, qui maintient du fait des dynamiques urbaines de plus en plus de ménages en situation de dépendance automobile.
M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.155.
Daniel Buren pour le réaménagement de la place des Terreaux, Jean Nouvel pour la transformation de l’opéra, Renzo Piano pour la construction de la Cité Internationale…
L’expression est de Marc Wiel.
M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.193.
V. KAUFMANN, C. JEMELIN, J.M. GUIDEZ, Vers de nouvelles dynamiques urbaines écomobiles ? Paris, Lyon, Strasbourg, Aix-en-Provence, Rapport de recherche 148, mars 2000, p.158.
ibid., p.159.
même s’il a été annulé depuis à deux reprises par le tribunal administratif, ce qui a entraîné un retour au précédent POS en attendant l’adoption du futur Plan Local d’Urbanisme.
Pour maîtriser l’étalement urbain et préserver l’environnement naturel dans le Grand Lyon, le POS de 2001 prévoyait le rétrozonage de quelques 1.000 hectares de friches et terres agricoles, avec leur classement non plus en secteurs urbanisables mais en zones NC.
M. WIEL, 2002, op.cit., p.54.
C. MONTES, Les transports dans l’aménagement urbain à Lyon, Lyon, Géocarrefour, 2003, p.224.