Introduction. Les compétences énonciatives argumentatives de lycéens en seconde générale et professionnelle

Il y a argumentation lorsque la modification d’une situation initiale donnée, à la suite d’un événement, conduit un participant à cette situation à produire un discours, dans le but de transformer ou de consolider un comportement ou une opinion chez un interlocuteur ou un auditoire, considérés par lui comme impliqués dans cette situation : en fonction de la présence ou non de l’interlocuteur, ce discours sera énoncé à l’oral ou à l’écrit, en direct ou en temps différé. L’argumentation s’adresse donc à une ou plusieurs personnes envers qui le locuteur élabore un discours, destiné à modifier leur représentation sur un thème donné, discours qui prend appui sur des éléments du réel, sur la représentation par le locuteur de positions sociales, sur l’estimation de sa propre capacité d’influence et sur les valeurs, opinions, croyances, etc. qu’il pressent chez l’autre. Le locuteur adaptera donc son discours en fonction du destinataire (ou des destinataires) auquel il aura affaire.

Pour que l’argumentation ait quelque chance de succès, il faut qu’au moins le locuteur ait un but « explicite » vers lequel tendre et qu’il parvienne à mettre en place un espace de négociation dans lequel le destinataire acceptera de se situer. L’espace de négociation créera un déséquilibre par rapport à la situation initiale qui pourra être de nouveau stabilisée à partir du moment où le destinataire admet une partie des arguments du locuteur. Si ce destinataire refuse d’entrer dans l’espace proposé, l’argumentation se termine aussitôt en laissant le locuteur en position d’échec.

L’ensemble de notre recherche se situe en référence à des travaux en psycholinguistique (Brassart, 1988, 1990, 1996, 1998 ; Coirier, Coquin-Viennot, Golder et Passerault, 1990 ; Coirier et Golder, 1993 ; Golder, 1992, 1993, 1996, 1998 ; Golder et Coirier, 1996 ; Golder, Percheron et Pouit, 1999 ; Pouit et Golder, 1996, 1997) avec quelques incursions chez certains linguistes dont Adam, (1985, 1987, 1989, 1990, 1992, 1996, 1999) puisque que plusieurs courants de recherche (pragmatique, sociologique, etc.) se sont intéressés à cette question. Nous prenons également appui sur certains travaux de Grize (1990, 1996) et de Kerbrat-Orecchioni (1990, 1996, 2002) qui se situent dans le cadre de la communication et notamment de la relation locuteur-destinataire.

Ces différentes études ainsi que d’autres (Akiguet-Bakong, 1997 ; Coirier, Gaonac’h et Passerault, 1996 ; De Bernardi et Antolini, 1996 ; Dolz, 1994 ; Dolz et Pasquier, 1994 ; Espéret, Coirier, Coquin et Passerault, 1987 ; Gombert, 1998 ; Passerault et Coirier, 1989 ; Piche, Rubinet Michlin, 1978) réalisées sur l’argumentation permettent de caractériser les habiletés argumentatives de populations d’âge différent et mettent en évidence un effet développemental. Les sujets rencontrés par ces chercheurs sont scolarisés en formation générale. A notre connaissance, aucune étude n’a été menée sur un échantillon de lycéens scolarisés en seconde BEP dans l’industrie, ni sur une comparaison entre ces lycéens et des lycéens scolarisés en seconde générale. Nous nous sommes donc interrogés sur les compétences argumentatives de ces deux populations en postulant que leurs compétences sont équivalentes.

Pour observer les compétences de notre échantillon, nous nous sommes plus particulièrement penchés sur leur énonciation argumentative en fonction du destinataire auquel il devait s’adresser.

Nous avons donc créé un dispositif expérimental dans lequel les sujets avaient à produire une argumentation, en situation monogérée orale et écrite, à différents destinataires. Chacun des sujets avait à produire deux courriers (situation monogérée écrite) ou messages (situation monogérée orale) à un même destinataire avant de produire un dernier courrier ou message à un autre destinataire. Ainsi nous avons fait varier non seulement le moyen de production (message ou courrier) de la situation monogérée mais également le statut des destinataires : ils avaient soit un statut « légal » (Préfet ou Maire), soit ils étaient des « jeunes » (détenu et responsable d’une boîte de nuit).

L’utilisation de situations monogérées a l’avantage de proposer les mêmes contraintes expérimentales entre l’oral et l’écrit puisque les sujets ont à produire un message ou un courrier en l’absence du destinataire et en temps différé.

Notre recherche se déroule en cinq parties subdivisées en treize chapitres. La première partie porte sur l’argumentation, telle que définie par différents auteurs (Toulmin, 1958, 1993 trd française ; Adam, 1980, 1985, 1987, 1989, 1990, 1992a, 1992b, 1999 ; Brassart, 1996) à travers leurs modélisations (chapitre 1), sur les protagonistes (chapitre 2) et à la lumière de l’énonciation (chapitre 3).

La seconde partie aborde la perspective développementale allant de l’enfance à l’adolescence (chapitre 4) avant de poser un regard plus précis sur ce qui se joue lors du passage en seconde (chapitre 5).

Nous accédons, avec la troisième partie, au cœur même de notre étude avec la présentation de nos questionnements et hypothèses (chapitre 6) pour lesquels nous avons mis en place une méthodologie particulière (chapitre 7) en lien avec l’échantillon choisi (chapitre 8).

La quatrième partie présente les résultats obtenus ainsi que leur analyse. Elle est organisée en trois thèmes : un nouveau schéma argumentatif ? (chapitre 9), des profils énonciatifs dans l’argumentation (chapitre 10) et le destinataire dans l’argumentation monogérée (chapitre 11).

Enfin, la cinquième partie, constituée de l’interprétation et de la discussion, conclut sur l’énonciation des lycéens en seconde générale et professionnelle à travers deux chapitres : le chapitre 12 s’interroge sur la validité d’un nouveau schéma argumentatif alors que le chapitre 13 pose la question de la représentation du destinataire dans l’énonciation argumentative.

Remarque : L’ensemble des productions des sujets, le descriptif des outils utilisés ainsi que les tableaux de résultats sont en annexe située sur le CD-Rom.