1.2 – De la superstructure argumentative à la séquence prototypique argumentative : Adam (1987, 1992)

Adam (1981 ; 1985) à la suite des travaux deSprengler-Charolles (1980), présente,dans le cadre de définitions de typologies textuelles, l’existence de « superstructures textuelles » (Kintsch et Van Dijk, 1975 ; Van Dijk, 1977). Il les définit comme étant

‘« [une] compétence textuelle spécifique complémentaire d’une compétence textuelle générale qui permet de produire/interpréter des paquets de « phrases » […] ». (Adam, 1987 : 59)’

Il dénombre (1987) sept types de superstructure (narrative, injonctive-instructionnelle, descriptive, argumentative, explicative-expositive, dialogale-conversationnelle et poétique-autotélique), parmi lesquelles figure donc la structure argumentative qu’il schématise ainsi (Adam, 1987 : 69) :

Quelques années plus tard, Adam (1987 ; 1990) abandonne l’idée de typologie de texte pour celle de « séquentialité » qui lui permet de distinguer des structures de base à l’intérieur d’une superstructure. Puis, en 1992, Adam abandonne également l’organisation en termes de « superstructure ».

Il propose alors un nouveau modèle général (1992a, 1992b, 1996, 1999) d’organisation de la textualité, composé de différents « plans » ou sous-systèmes en interaction les uns avec les autres. Les trois premiers plans – visée illocutoire, repérage énonciatif et cohésion sémantique - relèvent de la pragmatique et les deux derniers – connexité et séquentialité - de l’organisation propositionnelle.

Au niveau pragmatique, la visée illocutoire définit le but que chacun donne à son texte, le repérage énonciatif concerne l’ancrage des différents plans énonciatifs pris ou non en charge par le locuteur et la cohésion sémantique renvoie à la macrostructure sémantique, à l’organisation globale d’un énoncé. Au niveau de l’organisation propositionnelle, la connexité rend compte de l’organisation générale du texte tandis que la séquentialité présente l’organisation séquentielle des propositions. Les structures séquentielles de base peuvent être narrative, descriptive, argumentative, explicative ou dialogale. Ces différentes séquences peuvent alterner dans un même texte. Adam (1992a) définit la séquence comme

‘« une unité constituante du texte, [elle] est constituée de paquets de propositions (les macro-propositions), elles-mêmes constituées de n propositions » (Adam, 1992a : 29)’

Ainsi chacun des éléments constitutifs du texte – qui, nous le rappelons, est pour Adam un objet abstrait - s’emboîte vers une unité de rang supérieur

‘« [texte [séquences [macro-propositions [propositions]]]]’ ‘En d’autres termes, les propositions sont les composantes d’une unité supérieure, la macro-proposition, elle-même unité constituante de la séquence, elle-même unité constituante du texte. Cette définition de chaque unité comme constituante d’une unité de rang supérieur et constituée d’unités de rang inférieur est la condition première d’une approche unifiée de la séquentialité textuelle. » Adam (1992a : 30)’

Si, dans ce nouveau modèle, Adam (1992a) abandonne complètement l’idée de « superstructures textuelles » au profit de descriptions prototypiques, il garde néanmoins celle de la séquentialité. Il définit la séquence prototypique argumentative sur la base du « principe dialogique » qu’il emprunte à Moeschler (1985, cité par Adam, 1992a)

‘« Un discours argumentatif […] se place toujours par rapport à un contre-discours effectif ou virtuel. […] Défendre une thèse ou une conclusion revient toujours à la défendre contre d’autres thèses ou conclusion ». (Moeschler, 1985 : 47, cité par Adam, 1992a : 118)’

En effet, pour Adam (1992a : 118) la place du contre-discours est primordiale, voire indispensable. Pour cet auteur, l’argumentation « existe » que parce qu’elle s’insère face à un contre-discours. Il propose alors le schéma de la séquence argumentative prototypique suivant en appui sur le modèle de Toulmin (1958, 1989 trd française) :

La structure séquentielle argumentative est constituée de macro-propositions (P. arg) elles-mêmes composées de d’une ou de plusieurs propositions élémentaires. D’une manière générale, il s’agit d’une mise en relation de données tirant vers une conclusion – tout comme pour Toulmin (1958, 1989 trd française) - dont les macro-propositions « prémisses »et « conclusion » sont dépendantes les unes des autres. En effet, la (ou les) macro-proposition(s) prémisse(s) ne prenne(nt) sens qu’en fonction de la conclusion tout comme la (ou les) macro-proposition(s) de conclusion n’existe(nt) que parce qu’il y a celle(s) prémisse(s).

Ce nouveau modèle garde l’idée de l’ancien schéma en quatre phases : prémisse ou données de départ, présentation d’arguments en faveur (étayage des inférences), présentation de contre-arguments (restriction) et conclusion qui intègre l’ensemble des arguments développés (pour et contre) en proposant une nouvelle thèse. La cohérence des relations entre les différents constituants et l’orientation vers la nouvelle thèse est marquée par des indices psycholinguistiques (connecteurs, expressions modalisatrices ou axiologiques, etc.) qui permettent de délimiter les différentes parties du « plan du texte » (Adam, 1992a) tout en participant à la maîtrise du schéma argumentatif.

Toutefois, Brassart (1998) rejette ce schéma de la séquence argumentative prototypique de Adam (1992) car il considère que la contre-argumentation ne fait pas partie de la structure minimale de base. Pour cet auteur, la contre-argumentation se développe avec le temps.

A partir du schéma argumentatif en quatre phases d’Adam (1992a), Roussey, Akiguet, Gombert et Piolat (1995) ont évalué, d’une part, les capacités à articuler deux points de vue opposés et l’utilisation du schéma argumentatif chez 20 sujets de 8 ans (CE2) et de 10 étudiants de licence et, d’autre part, la maîtrise de ce même schéma argumentatif banalisé par des connecteurs chez 20 enfants âgés de 9 à 11 ans (CE2 à CM2). Pour chacune des recherches, les sujets avaient pour tâche, assistée par ordinateur, de réorganiser les phrases d’un texte : dans la première recherche les sujets étaient face à une tâche « alpha-oméga » (Brassart, 1988, 1990a, 1990b). Les résultats de la première recherche font apparaître que l’ensemble des adultes ont su reproduire le texte expérimental contrairement aux enfants qui n’ont pas su réorganiser les phrases en deux blocs : argumentatifs et contre argumentatifs. Dans la seconde recherche, les élèves les plus âgés recomposent un texte proche de celui de base. Les auteurs (Roussey, Akiguet, Gombert et Piolat, 1995 : 212) concluent que « la compétence argumentative dépend de la maîtrise du schéma argumentatif qui s’installerait entre 9 et 11 ans ».

Dans une autre recherche, Akiguet-Bakong (1997) a tenté d’identifier l’âge auquel s’amorce la compétence argumentative écrite. Pour ce faire, elle a proposé à des groupes d’enfants de 9 à 11 ans une épreuve d’insertion de connecteurs et une épreuve de réarrangement de phrases, soit avec un support papier-crayon, soit avec un support ordinateur. Les résultats obtenus corroborent son hypothèse selon laquelle l’acquisition du schéma argumentatif prototypique est bien liée à l’âge. En effet, concernant l’épreuve de réarrangement de phrases, les enfants de 11 ans produisent des textes regroupant, d’une part, les phrases arguments et, d’autre part, les phrases contre arguments.

A l’oral, Adam (1992a, 1996, 1999) décrit, tout comme pour l’argumentation, l’existence d’une « séquence prototypique dialogale » qu’il distingue de la conversation.

‘« la conversation gagne à être considérée comme un point de vue psycho-socio-discursif ou comme un genre de discours au même titre que le débat, l’interview, la conversation téléphonique, etc. Le dialogue n’est rien d’autre qu’une unité de composition textuelle (orale ou écrite) ». (Adam, 1992a : 148)’

Néanmoins, même si Adam (1992a) considère le dialogue comme un « produit textuel », il adhère au propos de Kerbrat-Oreccioni (1990, citée par Adam 1992a : 147) pour qui le dialogue est partie prenante de la conversation.

‘« Pour qu’on puisse véritablement parler de dialogue, il faut non seulement que se trouvent en présence deux personnes au moins qui parlent à tour de rôle, et qui témoignent par leur comportement non verbal de leur « engagement » dans la conversation, mais aussi que leurs énoncés respectifs soient mutuellement déterminés ». (Kerbrat-Oreccioni, 1990 : 197)’

Adam (1992a, 1996) distingue, au sein de son modèle prototypique dialogal, deux types de séquences : les séquences phatiques et les séquences transactionnelles. Les séquences phatiques sont constituées d’échanges d’ouverture et de clôture ou d’entrée en contact. La séquence-échange étant « la plus petite unité du dialogue » (Adam, 1992a : 156) – définition reprise de Moeschler (1982 : 153, cité par Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 224). Les séquences transactionnelles, sont, elles, composées d’unités verbales ou gestuelles permettant de rendre compte d’actes énonciatifs ; Adam (1992a) parle de « clauses ».

Selon Bronckart (1996) le prototype de la séquence dialogale d’Adam (1992a) s’organiserait en trois niveaux : un niveau comportant les deux types de séquence – phatique et transactionnelle -, un second niveau renvoyant aux unités dialogales ou échanges et un dernier niveau constitué en « clauses ».

Mais ce modèle prototypique dialogal rejoint le modèle conversationnel constitué en cinq unités ou rang présenté par Kerbrat-Orecchioni (1990 : 214 sq., 1996 : 36 sq.) à partir du modèle genevois de Roulet et al. (1985).

L’interaction étant une unité communicative de rang supérieur. Elle permet les liens entre les participants, le maintien du cadre spatio-temporel ainsi que les relations entre les thèmes. L’interaction se décompose en séquences. La séquence est constituée de plusieurs échanges, reliés de manière sémantique ou pragmatique, qui se décomposent en séquences d’ouverture et de clôture – ce qu’Adam (1992a, 1996) nomme la séquence phatique – et du corps de l’interaction – la séquence transactionnelle pour Adam (1992a, 1996). L’échange garde ici la définition émise par Moeschler (1982). L’intervention se situe au niveau monologal puisque cette unité est produite par un seul et même locuteur et est constituée d’actes de langage que sont les clauses pour Adam (1992a, 1996).