1.3 – L’organisation textuelle argumentative : Brassart (1996, 1998)

Brassart (1988 ; 1990a ; 1990b) a conduit plusieurs recherches sur l’acquisition du développement du schéma argumentatif, en situation de production écrite, chez des élèves de 8 à 13 ans. Ses résultats montrent l’effet de l’âge sur l’acquisition de la structure du texte argumentatif : elle s’acquiert peu à peu. Ce n’est, à notre connaissance, qu’en 1996 qu’il fera une proposition de schéma argumentatif.

Les résultats d’une première étude menée par Brassart (1988) auprès de 116 enfants de 8-12 ans et de 26 adultes dans une tâche d’écriture argumentative anti-orienté - le texte devait se commencer par « alpha » et pour se terminer par « oméga » - montrent que les élèves de 8-10 ans ne sont pas certains qu’ils doivent produire un texte argumentatif (famille A), les 10-11 ans savent qu’il leur faut produire une réponse argumentative sans pour autant être capables de contre-argumenter (famille B) : l’ensemble de leurs arguments sont orientés vers « oméga » alors que les 11-12 rédigent des textes argumentatifs contre-argumentés (famille C) en alternant les arguments en faveur d’« alpha » et d’« oméga ». Selon cet auteur, les résultats des 11-12 ans diffèrent peu de ceux des adultes compétents quant au processus de contre-argumentation.

Pour leur part, Piéraut-Le Bonniec et Valette (1987), également dans une situation de contrainte argumentative, présentent des résultats différents : la réponse argumentative à la tâche demandée n’apparaîtrait que vers 15 ans.

Ces divergences de résultats sont peut être dues à la situation retenue puisque, selon Brassart (1988), la situation proposée par Piéraut-Le Bonniec et Valette (1987) n’appelle pas forcément une réponse argumentative.

Une seconde étude effectuée par Brassart (1990a ; 1990b) corrobore ses premiers résultats. Les 156 élèves de 8 à 13 ans se répartissent, selon un continuum développemental, en trois grandes phases. A 7-9 ans, les textes écrits ne sont pas argumentatifs et plutôt sous la forme « additive » comme a pu le constater Golder (1990, citée par Golder 1992a) en situation de dialogue chez des enfants plus âgés. A 9-10 ans, les premières formes de texte argumentatif apparaissent même si l’ensemble des situations argumentatives proposées n’est pas résolu. Enfin, à 11-13 ans, les enfants sont capables d’une maîtrise minimale de l’argumentation en tant que structure complexe et présentent même quelques contre-arguments.

A la suite de cette étude, Brassard (1990a) distingue trois types d’organisation textuelle : certains textes se caractérisent par un « collage d’arguments » sous la forme d’une liste, d’autres présentent un grand nombre d’arguments mais il n’y a pas présence de stratégie argumentative (arguments non organisés, non hiérarchisés), enfin, dans le dernier type, les arguments sont organisés avec des mises en relation entre eux orientés vers une conclusion préalablement établie. A partir de 1996, Brassart (1996, 1998) qualifiera le premier type de texte argumentatif de « tabulaire » (« collage d’arguments ») et le dernier type de texte argumentatif de « sorite ». Ces deux types d’organisation des arguments seraient présents de façon simultanée dans les textes argumentatifs élaborés.

En 1996, Brassart propose un schéma argumentatif en appui également sur celui proposé par Toulmin (1958, 1989 trd française). Son schéma plutôt « minimaliste » qui se réfère uniquement à l’activité de production écrite se définit comme une relation d’étayage dont l’argument peut être réfuté par le destinataire

‘« Cette « relation [étant] « autorisée » par un Garant ou un Topos ». (Brassard, 1996 : 77, 1998 : 138)’ ‘Argument < {Topos} > Conclusion (Brassart, 1998 : 134)’

Finalement, pour Brassart

‘« La structure minimale complète d’un texte argumentatif est […] celle du syllogisme (prémisse majeure et mineure, conclusion). […] du syllogisme dialectique. (Brassart, 1998 : 130)’

Mais tout en proposant un schéma argumentatif, Brassart (1996, 1998) remet en cause la notion même de schéma argumentatif qu’il trouve « si pauvre ». Il se demande même en quoi il peut vraiment faciliter la maîtrise de la production écrite de texte argumentatif puisque

‘« les textes argumentatifs naturels se réduisent rarement à une seule relation d’étayage de ce type » (Brassart, 1996 : 78)’

Par ailleurs, il considère que la production de « type de texte » (Brassart, 1998 : 127) ne repose pas sur la mobilisation de schémas prototypiques mais est le fruit d’une élaboration cognitive progressive due au repérage des marques de surface et au développement de la compétence communicationnelle par l’apprentissage.

Les modélisations de l’argumentation proposées par ces auteurs (Toulmin (1958, 1989 trd française ; Adam, 1987, 1992a, 1992b, 1996, 1999 ; Brassart, 1996, 1998) ne donnent qu’une représentation linéaire du mouvement de l’argumentation. En effet, si elles montrent bien, notamment chez Toulmin (1958, 1989 trd française) et Adam (1992a, 1992b, 1996, 1999), l’organisation entre les arguments et les contre arguments visant un but particulier elles ne nous permettent pas d’observer le rôle des protagonistes et de l’énonciation dans l’argumentation.

Le modèle prototypique dialogal mis en place par Adam (1992a) en appui sur le modèle conversationnel de Kerbrat-Orecchioni (1990) tient compte, lui, des relations entre les interlocuteurs dont les interactions, définies en séquences, sont inter reliées et encadrées par des séquences phatiques (ouverture et fermeture des échanges).

Enfin, ces modèles de l’argumentation prennent peu en compte le contexte de production défini par Bronckart (1985, 1996) et Burger (2001) comme si argumenter à l’oral (dans le sens de la conversation) et à l’écrit était chose semblable. Dans ce type de modalité orale, le locuteur-oralisateur n’a pas à gérer la dimension dialogique de l’articulation entre les arguments et les contre arguments alors que s’il laisse un message oral (par exemple sur un répondeur téléphonique) il aura à le faire au sein de sa production tout comme le locuteur-scripteur lorsqu’il produit un courrier.