2.2 - Le destinataire

Les opérations cognitives de négociation sont complexes et multiples (expression de jugement, distanciation par rapport au discours, modulation des jugements, contre-argumentation, etc.) et permettent une prise de distance par rapport au discours. Elles sont des composantes essentielles pour amener l’interlocuteur à modifier ses croyances.

La négociation repose surtout sur la nature même des arguments utilisés et ne pourra aboutir qu’à partir du moment où le locuteur ménage un « espace de négociation » c’est-à-dire un espace ouvert permettant à l’interlocuteur de réagir. C’est la « dimension interlocutoire » (Golder, 1996b) du discours. Mais pour qu’il y ait ouverture de cet « espace de négociation » il faut que le locuteur puisse imaginer d’autres positions que la sienne même si celles-ci ne sont pas forcément ceux de l’interlocuteur.

Le processus de négociation est un processus évolutif. Dans un cadre dialogique, l’enfant dès son plus jeune âge (3-4 ans) est déjà capable de « négocier » dans le but d’obtenir quelque chose même si ce n’est pas encore de manière systématique ; mais cette argumentation est basée uniquement sur des arguments personnels. Plus tard, vers 14-17ans, la négociation se systématise – au grand dam des parents d’adolescents – puisqu’ils prennent également en compte le point de vue de leurs parents pour mieux le réfuter. A ces âges, les arguments s’appuient sur des valeurs sociales communes partageables. En situation textuelle le processus est le même : dès 13-14 ans, les scripteurs sont capables d’user de la négociation - en l’absence du destinataire - en faisant valoir leur point de vue par le biais de d’indices linguistiques (implication du locuteur, modalisations, etc.) permettant de nuancer leurs propos.

Quant aux expressions de la modalité qui permettent de traduire l’attitude du locuteur par rapport à son énoncé, soit au moyen d’une transformation modale du verbe, soit par l’introduction de termes exprimant la possibilité, la probabilité ou la certitude (doute, certitude, critique, etc.), elles sont également importantes pour différencier les modes d’implication du locuteur. Coirier, Coquin-Viennot, Golder et Passerault (1990 : 321) énumèrent quelques-unes des marques psycholinguistiques repérables dans les productions langagières des sujets :

  • Les marques de prises en charges : « je pense que … », « selon moi … », « certains disent que … », « vous croyez que … », etc.
  • Les marques de présence du locuteur : « dans mon cas … », « si vous étiez à ma place … », etc.
  • Les formes axiologiques et prescriptives des énoncés : « il serait bien que … », « il faut que … », etc.
  • Les modalisations de certitude : « certainement », etc.

Dolz et Pasquier (1994) présentent, quant à eux, un certain nombre d’organisateurs textuels et de « formules » caractéristiques de l’argumentation :

  • Les organisateurs textuels qui assurent l’articulation entre les différentes raisons ou justifications et entre ceux-ci et la conclusion (par exemple les organisateurs causaux : « parce que », « car », etc. et les organisateurs conclusifs : « donc », « par conséquent », etc.) ;
  • L’emploi des pronoms ou adjectifs des premières et deuxièmes personnes permettant soit d’exprimer un avis personnel (« à mon avis ») soit d’impliquer explicitement le destinataire (« vous conviendrez avec moi ») ;
  • Les locutions modalisatrices indicatrices de certitude (« sans doute », « il est clair que », de probabilité (« il me semble que ») ou de restriction d’une conclusion ;
  • Les expressions servant à formuler des objections (« je doute que ») ;
  • Les expressions de prise en charge de la position de l’auteur (« de mon point de vue »).