3.1 – La situation d’énonciation

La situation d’énonciation dans l’argumentation renvoie au contexte de production langagière. En argumentation, il faut s’assurer que le thème soit familier (Pouit et Golder, 1996), « débattable » (Golder, Percheron et Pouit, 1999 ; Golder 1996b) et qu’il s’inscrive dans le cadre du discours naturel.

Ainsi pour qu’il y ait débat, il faut tout d’abord que le thème de celui-ci fasse référence aux objets du discours naturel.

S’agissant de l’argumentation, plusieurs auteurs (Espéret, Coirier, Coquin et Passerault, 1987 ; Coirier, Coquin-Viennot, Golder et Passerault, 1990 ; Golder, 1993, 1996a, 1996b) s’entendent pour dire qu’y coexistent deux types de discours : les discours « formels » (DF) et « naturels » (DN). Les discours formels correspondent aux questions scientifiques alors que les discours naturels renvoient aux questions d’opinion. Ces types de discours, bien qu’ils partagent des caractéristiques communes, se différencient également quant à l’utilisation d’indices psycholinguistiques ainsi que sur le plan du mode d’argumentation et de la structuration du discours (Espéret et al., 1987).

Une étude d’Espéret, Coirier, Coquin et Passerault (1987), menée chez des sujets âgés de 7 à 14 ans et de jeunes adultes (en licence de psychologie), en production écrite, a fait apparaître une différenciation dans l’argumentation entre ces discours : le discours naturel proposait un débat d’opinion sur le fait de recevoir de l’argent de poche et le discours formel portait sur une question de type scientifique telle que la conservation du poids. La conclusion de leur recherche valide leur hypothèse : il y aurait une différenciation, génétiquement repérable, entre les discours. En effet, dès 7-8 ans, les enfants « savent » déjà faire une différence entre le discours naturel et le discours formel : le discours formel exclut le recours aux jugements de valeurs. Mais ce n’est qu’à 13-14 ans, comme chez les adultes, qu’ils s’opposent nettement quant au degré de prise en charge des énoncés, d’implication du locuteur, aux types d’énoncés (constatifs, prescriptifs ou axiologiques) et de modalisations de certitude. Le discours naturel comporte beaucoup plus de d’indices psycholinguistiques que le discours formel qui est désimpliqué par les locuteurs.

Les discours naturels renvoient donc à des objets, par principe, qui peuvent faire l’objet d’une discussion. Afin de défendre son point de vue et de faire changer l’opinion de l’interlocuteur, le locuteur devra présenter des arguments acceptables et partageables par celui-ci tout en prenant du recul entre lui et son discours.

Mais encore faut-il que le thème argumentatif soit familier.

Une étude, de Pouit et Golder (1996), réalisée auprès d’enfants de 11-12 ans (classe de 6ème) et de 13-14 ans (classe de 4ème) sur l’effet du schéma de texte, d’une liste d’idées et d’un thème familier tend à montrer qu’il y a un effet du choix du thème : plus le thème est familier et plus les textes argumentatifs ont tendance à être « réussis » quel que soit l’âge. Les résultats montrent que dans la condition « thème familier » la liste d’idées a tendance à aider les jeunes de 11-12 ans et de 13-14 ans bien que, pour ce dernier groupe d’âge, le schéma de texte semble plus facilitateur que la liste d’idées. Quant à la condition « thème non familier » ni le schéma de texte ni la liste d’idées n’aident les enfants dans leur production écrite.

Un second temps de leur étude a porté sur les marques de négociation. L’analyse fait apparaître que les formes prescriptives sont plus nombreuses quand le thème est familier et quel que soit l’âge. Il en est de même pour les marques de certitudes bien que celles-ci soient néanmoins beaucoup moins utilisées. Quant aux marques de restrictions-spécifications, elles sont employées dans un quart des protocoles mais sans qu’elles aient un effet sur l’âge ou la familiarité du thème. Enfin, pour les marques de prise en charge énonciatives, quand le thème est familier, les 11-12 ans en produisent plus quand ils ont la liste d’idées pour les aider ; ces résultats s’inversent chez les 13-14 ans qui les emploient plus lorsqu’ils n’ont aucune aide.

La tâche alpha-oméga (Brassart, 1988) reprise par Golder (1993) va dans le même sens : les thèmes de grande implication sont mieux réussis que les thèmes de faible implication en production écrite. Les sujets – 32 élèves âgés de 16-17 ans – disposent plus facilement d’arguments et de contre arguments quand le thème leur est familier. Les marques d’implication du locuteur sont très fréquentes dans les situations de forte implication (de l’ordre de 90 à 100% pour la restriction-spécification).

Lorsque la familiarité du thème est acquise, il faut encore que celui-ci soit « débattable » et, par conséquent, offre une pluralité de points de vue.

Dans une étude que présente Golder (1998) portant sur la rédaction de deux lettres en réponse à des articles de journaux : l’un sur la suppression du droit de fumer dans les lieux publics (débat autorisé) et, l’autre, sur l’intégration des enfants d’immigrés (débat non autorisé), elle fait référence au fait que certains thèmes s’avèrent « indébattables ». La recherche a été menée auprès de 80 élèves de 11 à 18 ans, en 6ème, 8ème, 10ème et 11ème année. L’auteur a constaté, sur les thèmes « non débattables », que la prise en charge énonciative (« je pense que », « je crois que », …) est plus élevée, dès 13-14 ans (8ème année), que sur les thèmes « débattables ». Par ailleurs, à 15-16 ans, les axiologiques (« c’est injuste ») sont moins nombreux lorsqu’il s’agit du thème peu débattable, ainsi que les prescriptifs (« on doit », « il faut », …), quel que soit l’âge. Enfin les conditionnels d’atténuation (« il faudrait ») sont moins nombreux lorsque le thème ne se prête pas ou peu à la discussion mais sont très présents pour les 12ème année dans le thème débattable.

Ainsi, à partir de 13-14 ans, les thèmes « débattables » commencent à se différencier des thèmes « non débattables » et ces derniers, avec l’âge, présentent de plus en plus la position socialement dominante.

A. Gombert (1998), dans une étude concernant l’étayage de point de vue contraire, réalisée auprès de 113 élèves scolarisés dans quatre niveaux différents (CM1, CM2, 6ème et 5ème), a mis en évidence que ces sujets produisent plus d’arguments lorsque le thème est considéré comme acceptable par l’opinion. Cependant, si elle ne note pas un effet de l’âge (de 10 à 13 ans) sur le nombre d’étayages elle constate qu’ils utilisent des champs thématiques différents selon qu’ils défendent la thèse « pour » ou « contre ».

Ces premiers points développés nous paraissent centraux par rapport à notre recherche. Pour qu’il y ait argumentation, il faut que chaque interlocuteur ait à faire valoir un point de vue, et que le thème argumentatif leur soit suffisamment familier pour avoir « quelque chose à dire ». Nous aurons donc à veiller à ce que notre population se sente concernée par le sujet du débat.