13.1 L’argumentation engagée par le locuteur vis-à-vis du destinataire

L’argumentation engagée par le locuteur vis-à-vis du destinataire varie selon le statut du destinataire comme l’ont montré les résultats du chapitre précédent.

Nous avons, face aux destinataires détenant un statut « légal », un engagement argumentatif plutôt bilatéral montrant que les locuteurs tendent vers une résolution du conflit en prenant en compte les deux points de vue (celui du destinataire et le leur). Ainsi le statut de ces destinataires (Préfet et Maire) influence fortement la manière qu’ont nos locuteurs de considérer le conflit et que leurs âges respectifs (moyenne d’âge de 15-16 ans) renforcent cette distanciation. Il serait intéressant de vérifier auprès d’adultes si cette influence demeure.

Face aux destinataires dits « jeunes », l’engagement argumentatif est différent selon à qui ils s’adressent. Pour le responsable de la boîte de nuit, l’argumentation est bilatérale. Ce résultat n’est pas étonnant puisque le responsable de la boîte de nuit « subit » tout autant que les jeunes la position du Préfet. Les locuteurs ne tentent donc pas auprès du responsable de la boîte de nuit de modifier sa position à lui, mais de modifier celle du Préfet à travers lui par l’apport d’arguments qu’il pourra faire valoir devant le Préfet. Il y a donc un biais dans cette proposition de destinataire que nous avons faite. Face au détenu, les choses sont différentes puisque les locuteurs essaient de se servir de lui pour infléchir le comportement des jeunes faisant du « rodéo » ce qui entraînerait une modification de la position du Maire. En effet, si le locuteur peut convaincre le détenu de persuader les jeunes d’arrêter les « rodéos », le Maire lèvera son arrêté municipal. Cependant, selon le moment où le courrier au détenu est intervenu, les locuteurs n’ont pas tous engagés le même type d’argumentation. Ainsi, lorsqu’ils écrivent au détenu à la suite des courriers au Maire, leur argumentation est unilatérale : ils entreprennent de convaincre le détenu que sa position (faire des « rodéos » dans le village) n’est pas la bonne puisque le Maire a pris un arrêté municipal. Du coup, les locuteurs tentent, à l’aide d’arguments, de lui faire entendre raison. Dans ce type de courrier, les locuteurs se servent d’arguments de conséquence et d’arguments d’implication personnelle du détenu. Dans les courriers DDM (détenu, détenu, Maire), les locuteurs engagent également une argumentation unilatérale dans le premier courrier et ce n’est que dans le second, suite au courrier qu’ils ont reçu de lui, que les locuteurs engagent une argumentation bilatérale. Ce n’est qu’à partir de ce moment là, qu’il y a ouverture d’un espace de négociation par les locuteurs vis-à-vis du destinataire détenu, sachant qui lui-même avait déjà proposé cette ouverture dans son propre courrier.

Concernant notre hypothèse, les locuteurs engagent effectivement une argumentation différente selon les destinataires.

Ils ne tentent pas l’affrontement vis-à-vis du Préfet et du Maire, préférant négocier une résolution du conflit. Ils agissent de même face au responsable de la boîte de nuit mais il faut prendre en compte les limites que nous avons émises. Enfin, face au détenu, l’engagement argumentatif diffère : il est unilatéral dans la plupart des cas et bilatéral lorsqu’il fait suite à une ouverture de négociation de la part du détenu.