Astronomes et mathématiciens

Parallèlement, dans le courant du XIXème siècle, il conviendrait de distinguer deux types d’approche du problème : celle des astronomes et celle des mathématiciens. Les astronomes sont plus préoccupés par des questions numériques et peu attachés aux questions de convergence mathématique des séries utilisées. Une diminution numérique des termes de la série, observée au-delà de quelques éléments, leur sert de "critère" de convergence. Pour les mathématiciens, une série est convergente si on le démontre rigoureusement. Le critère retenu et les travaux réalisés dépendent donc fortement de l’objectif recherché. Pour autant, la différence entre les démarches n’est pas clairement explicitée avant Poincaré, dans le second tome de ses Méthodes Nouvelles 33 . Malgré cette divergence de préoccupations, les travaux des astronomes ont une grande valeur, reconnue par Poincaré. Trois d’entre eux sont particulièrement importants : Delaunay (1816-1872), Gyldén (1841-1896), Lindstedt (1854-1939).

Charles Delaunay, astronome français du Bureau des Longitudes, se propose dès 1846 de "refaire entièrement la théorie de la lune" 34 . Il échafaude un système de variables qu’il juge plus adapté et obtient une série trigonométrique purement formelle, ne contenant aucun terme séculaire et satisfaisant l’équation de la Lune 35 . Du fait de la difficulté et de la longueur des calculs entrepris, plus de vingt années, entre 1846 et 1867, lui furent nécessaires pour aboutir à ce résultat. Du point de vue théorique, le système de variables construit par Delaunay revêt effectivement une grande importance pour le traitement analytique de la théorie de la Lune. Le système sera repris par G.W. Hill ; Poincaré voit dans le système de Delaunay un des principaux accomplissements théoriques depuis Laplace 36 . D’un point de vue pratique cependant, l’intérêt de telles séries est tout relatif : les séries convergent très lentement et la complexité croissante des calculs les rendent difficilement praticables, malgré une précision remarquable.

Le second, Hugo Gyldén, est un astronome finlandais, directeur de l’observatoire de Stockholm. Poincaré admire les méthodes mises en place par Gyldén, les considérant comme étant parmi les meilleures 37 . Gyldén définit une méthode des "orbites absolues" pour calculer les mouvements des planètes. Mais les séries obtenues par celui-ci sont régulièrement sujettes à controverses. Bien qu’il ait produit beaucoup de résultats à leur sujet et introduit des fonctions horistiques 38 afin de résoudre le problème des petits diviseurs, rien n’assure en effet la convergence des séries, comme le prouve Poincaré en 1905 39 .

L’astronome suédois Anders Lindstedt s’est engagé dans la voie de l’éclaircissement et l’approfondissement des travaux de Gyldén, en cherchant des solutions sous forme de séries trigonométriques. Les séries sont plus simples que celles de Gyldén, mais plus approximatives, tout en donnant de très bons accords avec l’observation. La résolution approchée du problème des trois corps le conduit à exprimer les coordonnées des trois corps en série trigonométrique dans lesquelles le temps n’apparaît qu’en argument des fonctions périodiques, éliminant ainsi les termes séculaires. Tout le problème réside dans la convergence des séries. Lindstedt affirme qu’il est possible de choisir des constantes d’intégration assurant la convergence, mais, une fois n’est pas coutume, Poincaré jettera le doute sur ce point.

Notes
33.

[POINCARE, H., 1893a], p. 1-3 : "Il y a entre les géomètres et les astronomes une sorte de malentendu au sujet de la signification du mot convergence […]".

34.

[DELAUNAY, C., 1846], p. 968.

35.

[DELAUNAY, C., 1846], [DELAUNAY, C., 1860], [DELAUNAY, C., 1867].

36.

C’est ce que Poincaré déclare dans l’introduction des Collected Works de Hill, en 1905, cité dans [BARROW-GREEN, J., 1997], p. 20.

37.

[POINCARE, H., 1893a], p. v : "c’est à l’exposition de celles [les méthodes] de M. Gyldén, qui sont les plus parfaites, que je consacrerai le plus de pages.".

38.

[GYLDEN, H., 1893].

39.

[POINCARE, H., 1905c].