b. La stabilité du système solaire

Eliminer les termes séculaires ?

La question de la stabilité du système solaire est le second themata de cette histoire, dont les rebondissements traversent tout le XXème siècle. En ce XIX ème siècle il n’est pas, semble-t-il, imaginable de considérer le système solaire autrement que stable 40 . En plein positivisme, la stabilité se "constate" d’elle-même. Il ne reste qu’à apporter la preuve mathématique de cette observation, c’est-à-dire à montrer la stabilité sur le problème formalisé mathématiquement, sur la base des équations de la Mécanique classique.

Une première partie du problème est associée à l’approche en perturbations adoptée pour la résolution des équations et l’utilisation des solutions sous forme de séries, qui font apparaître des termes séculaires. Les savants recherchent, jusqu’à Poincaré, à éliminer ces termes séculaires, qu’ils considèrent avant tout comme des artéfacts de la méthode de perturbation et non pas comme une source d’instabilités. Nous avons souligné les efforts des astronomes, Delaunay, Gyldén, Lindstedt, pour écarter ces éléments gênants. La définition de stabilité "à la Lagrange" correspond d’ailleurs autant à l’idée commune de stabilité qu’à l’absence de ces termes "gênants" : un système est stable lorsque les orbites des planètes restent bornées. Cette définition se différencie de la "stabilité à la Poisson", qui est à la fois un assouplissement autorisant l’éloignement d’un corps, aussi important soit-il, et un durcissement au sens où le retour du corps arbitrairement proche de sa position initiale est une condition essentielle de la stabilité.

Ensuite, Poincaré pose clairement la question de la convergence des séries de la Mécanique céleste et s’interroge sur le type mathématique de convergence utile en fonction des résultats en vue. Il argumente et construit ses résultats en rapport avec les débats sur les séries proposées par les astronomes Gyldén et Lindstedt (et souvent en réplique à leurs affirmations) 41 . Un de ses premiers résultats en la matière a été de prouver qu’une série qui converge, sans que cette convergence soit uniforme, peut malgré tout, atteindre des valeurs arbitrairement grandes. Le résultat est d’importance : il montre que, contrairement à ce que pensent les astronomes, la convergence "ordinaire" d’une série n’est pas une condition suffisante pour la stabilité et ne peut pas servir d’assise aux débats sur la stabilité du système solaire 42 .

Notes
40.

Dans une période de positivisme triomphant, Jules Verne, dans son roman de 1865, De la terre à la lune, écrit une phrase remarquable qui traduit cette adhésion à l’idée d’un monde stable : "D’autres, appartenant à la race des trembleurs, manifestaient certaines craintes à l’égard de la Lune ; ils avaient entendu dire que, depuis les observations faites au temps des Califes, son mouvement de révolution s’accélérait dans une certaine proportion ; ils en déduisaient de là, fort logiquement d’ailleurs, qu’à une accélération de mouvement devait correspondre une diminution dans la distance des deux astres, et que, ce double effet se prolongeant à l’infini, la Lune finirait un jour par tomber sur la Terre. Cependant ils durent se rassurer et cesser de craindre pour les générations futures, quand on leur apprit que, suivant les calculs de Laplace, un illustre mathématicien français, cette accélération de mouvement se renferme dans des limites fort restreintes, et qu’une diminution proportionnelle ne tardera pas à lui succéder. Ainsi donc, l’équilibre du monde solaire ne pouvait être dérangé dans les siècles à venir.", [VERNE, J., 1865], p. 74-75.

41.

Pour plus de détails nous renvoyons à l’ouvrage de Barrow-Green, [BARROW-GREEN, J., 1997], p. 41-43.

42.

Voir [POINCARE, H., 1885c] et [BARROW-GREEN, J., 1997], p. 41.