c. George W. Hill (1838-1914) et le point de vue global en Mécanique céleste

Outre les problématiques diverses de la Mécanique céleste, les idées du mathématicien américain George W. Hill ont fortement inspiré les travaux de Poincaré en la matière. De manière plus générale, son travail sur le problème des trois corps a une grande influence dans le développement de la Mécanique céleste. L’étude des solutions périodiques en constitue la partie essentielle. Dans un premier article de 1877 44 , Hill a abordé le sujet en proposant la première solution périodique nouvelle du problème des trois corps depuis Lagrange en 1772. Le second article de 1878 étudie de manière plus systématique l’obtention de solutions périodiques.

L'approche développée par Hill est radicalement différente des tentatives de calculs en perturbations prévalant jusque-là. Les résultats de Hill s’appuient sur un traitement classique en perturbations mais il calcule ses développements en partant d'une solution périodique dont il a démontré préalablement l'existence. Le calcul est considérablement simplifié par rapport à ceux effectués habituellement car la manipulation est engagée d’emblée avec une solution du problème 45 . Les innovations de Hill ne se limitent pas à cette démarche.

‘"Lorsque nous cherchons quelle peut être la meilleure manière de contribuer au développement de ce sujet beaucoup étudié, nous ne pouvons manquer de noter que la grande majorité des auteurs ont eu, devant eux, comme but ultime, la construction de Tables : c'est-à-dire qu'ils ont considéré le problème du point de vue de l'astronomie pratique, plutôt que de celui des mathématiques […] on ne trouve qu'un choix restreint de variables pour exprimer la position de la Lune, et de paramètres avec lesquels exprimer les coefficients périodiques. Une fois encore, leurs objectifs les contraignant à embrasser le champ dans son ensemble, ils ont négligé de noter qu'il y avait des points mineurs d'un grand intérêt pour les mathématiciens, simplement parce que leur connaissance était inutile pour l'élaboration des Tables." 46

Hill distingue nettement les fins et les moyens des astronomes et des mathématiciens. Il propose une nouvelle voie pour l'étude de la théorie de la Lune et c'est en mathématicien qu'il raisonne. Partant d'un problème simplifié, il s'attache à l'étude du système différentiel associé. Son but n'est pas de chercher une solution exacte ou approchée du système. Il ne s'intéresse pas à une solution en particulier. Au contraire, il raisonne sur l’ensemble des solutions. Il essaye de déterminer la structure de cet ensemble de solutions et propose de les classer en plusieurs groupes. Il prend donc un point de vue global sur ce problème mathématique et parvient à en tirer des résultats mathématiques importants 47 , sans les calculs démesurés de ses prédécesseurs. Poincaré qui admirait cette démarche, en reprendra le principe.

Malgré leur caractère novateur, il apparaît que les articles de Hill sont peu connus avant 1886. De par son isolement dans les Etats-Unis des années 1870 très certainement et par son style très particulier – un peu obscur et difficile à comprendre – il reste un savant quelque peu ignoré. La republication de son article de 1877 dans la revue Acta Mathematica en 1886 lui offre une audience élargie et un résultat de Poincaré (à propos d’une question connexe de déterminants infinis), la même année, le fait sortir de l’oubli. Sans exagération et surtout après son mémoire de 1890, on peut même accorder à Poincaré seul le mérite d’avoir promu Hill à une position respectable. Dans l’introduction au premier volume des Méthodes Nouvelles, il résume ainsi la place qu’il accorde aux travaux de Hill : "Dans cette œuvre, malheureusement inachevée, il est permis d’apercevoir le germe de la plupart des progrès que la Science a fait depuis" 48 .

Notes
44.

[HILL, G.W., 1877].

45.

Lagrange et ses successeurs, par exemple, partaient d'une solution du problème des deux corps, une trajectoire elliptique, qu'ils perturbaient : la trajectoire de départ n'est pas une solution du problème à trois corps, ce qui complique nettement les développements obtenus.

46.

"When we consider how we may best contribute to the advancement of this much-treated subject, we cannot fail to notice that the great majority of writers on it have before them, as their ultimate aim, the construction of Tables: that is they have viewed the problem from the stand-point of practical astronomy rather than of mathematics. It is on this account that we find such a restricted choice of variables to express the position of the moon, and of parameters, in terms of which to express the coëfficients of the periodic terms. Again, their object compelling them to go over the whole field, they have neglected to notice many minor points of great interest to the mathematician, simply because the knowledge of them was unnecessary for the formation of Tables.", [HILL, G.W., 1878], p. 5.

47.

Parmi les nombreux résultats de Hill, mentionnons le cas de la "courbe de vitesse nulle" qu’il a utilisé dans sa théorie de la Lune, pour montrer un résultat d’ordre qualitatif : la Lune, initialement proche de la Terre, ne peut pas s’échapper du voisinage de la Terre. Pour des détails mathématiques et techniques, voir [BARROW-GREEN, J., 1997], p. 22-28.

48.

[POINCARE, H., 1892a], p. 3.