Les deux mémoires de 1881-82

Quels sont alors les premiers résultats de Poincaré, obtenus grâce à cette démarche ? La première partie des mémoires constitue une étude qualitative, locale, des équations différentielles du premier ordre. Elle contient la classification des points singuliers : Nœud, Col, Foyer et Centre.

Tout d’abord, l’étude réalisée par Poincaré, comme dans les mémoires suivants, se fait dans le domaine des nombres réels (ses prédécesseurs, comme Briot et Bouquet, travaillaient avec des nombres complexes). L’analyse locale au voisinage des points singuliers le conduit à la classification devenue classique en 4 types de comportements possibles. Dans ce cadre il obtient sa formule liant le nombre de points singuliers : N+F=C+2.

Poincaré s’attache ensuite à l’analyse des courbes hors du voisinage des points singuliers, passant ainsi d’un point de vue local, à une approche globale. Pour y parvenir il introduit les notions d’arc ou cycles sans contact 63 et cycles limites 64 .

Poincaré utilise les arcs sans contact par l’intermédiaire des impacts de la courbe intégrale avec cet arc :

Sur l’arc AB, le point M 1 est le conséquent de M 0 et M’ l’antécédent de M 0 .

Il obtient l’un des résultats les plus importants à propos du comportement des solutions : une solution est un cycle ou bien tend vers un cycle limite (à l’exception des courbes finissant en un point singulier) 65 .

Enfin, pour montrer l’existence effective de cycles limites il introduit une courbe algébrique qui coupe la solution une infinité de fois. C’est en étudiant les conséquents d’un point de la courbe sur l’arc qu’il déduit l’existence de cycles limites (correspondant à un point qui est son propre conséquent).

Ces résultats illustrent le principe du travail qualitatif de Poincaré : aucune intégration d’équation différentielle pour un résultat géométrique, qualitatif, valable pour toute une classe d’équations. Le résultat est du qualitatif local (étude des points singuliers) aussi bien que global (étude des cycles limites). Cette démarche aboutit à l’établissement d’une "carte" de l’équation différentielle avec les balises suivantes 66  : les points singuliers, les cycles limites et les cycles sans contact.

Notes
63.

Poincaré introduit des courbes algébriques et étudie leurs intersections avec les solutions des équations différentielles. Les arcs sans contact sont des courbes algébriques qui ne sont tangentes à aucune courbe solution.

64.

Les cycles limites sont des courbes solutions, sans point singulier, qui sont approchées asymptotiquement par d’autres courbes solutions : ces solutions s’enroulent en spirale autour ou à l’intérieur du cycle, en tendant progressivement à se confondre avec le cycle.

65.

Ce résultat, connu sous le nom de Théorème de Poincaré -Bendixon, à la suite du travail complémentaire réalisé par le mathématicien suédois Ivar Bendixon (1861-1935) en 1901, est un résultat majeur de la théorie qualitative des équations différentielles en dimension deux : [BENDIXON, I., 1901]. Le résultat obtenu par Bendixon est en fait plus général et plus rigoureux que celui de Poincaré. Voir également [GILAIN, C., 1991], p. 228.

66.

"Théorème XVIII. - Il existe toujours un système topographique formé de cycles sans contact, de polycycles sans contact et de cycles limites. Ce système topographique sillonne toute la surface de la sphère. Les fonds et les sommets sont les nœuds et les foyers de l’équation donnée. Les cols sont les cols de l’équation donnée. La connaissance de ce système topographique permet de discuter complètement les formes affectées par les courbes que définit l’équation différentielle donnée.", [POINCARE, H., 1882], p. 65 (en italique dans le texte). Comme le fait remarquer Gilain, l’intégration des équations du premier ordre, de degré un n’est pas complètement résolue avec le théorème, mais réduite. En général il n’est possible de déterminer le système topographique qu’en termes finis. [GILAIN, C., 1991], p. 230.