L’inattendu pour Poincaré aussi

Poincaré est conscient à la fin de 1889 que le mémoire présenté au concours, sorti victorieux, doit subir un profond remaniement. Il l’exprime ainsi à Mittag-Leffler :

‘"[...] les conséquences de cette erreur sont plus graves que je ne l’avais cru d’abord. Il n’est pas vrai que les surfaces asymptotiques soient fermées, au moins dans le sens où je l’entendais d’abord. Ce qui est vrai, c’est que si je considère les deux parties de cette surface (que je croyais hier encore raccordées l’une à l’autre) se coupent suivant une infinité de courbes trajectoires asymptotiques 91 (sic)
J’avais cru que toutes ces courbes asymptotiques après s’être éloignées d’une courbe fermée représentant une solution périodique, se rapprochent ensuite asymptotiquement de la même courbe fermée. Ce qui est vrai c’est qu’il y en a une infinité qui jouissent de cette propriété.
Je ne vous dissimulerai pas le chagrin que me cause cette découverte [...]
D’autre part, de grands remaniements vont devenir nécessaires et je ne sais si on n’a pas commencé à tirer le mémoire ; [...]
En tout cas, je ne peux faire mieux que de confier mes perplexités à un ami aussi dévoué que vous l’avez toujours été." 92

Sa surprise est grande, la transformation du mémoire qui va en résulter également puisque les deux versions ne concordent plus sur certains aspects. Optimiste dans la première version, confiant même dans les résultats et les techniques mathématiques utilisées, Poincaré est moins enthousiaste et plus focalisé sur les résultats négatifs après le remaniement. Il insiste sur les orbites périodiques, orbites asymptotiques et doublement asymptotiques qui sont les éléments importants dans le mémoire final qu’il propose. Surtout il conclut :

‘"J’établis par exemple que le problème des trois corps ne comporte, en dehors des intégrales connues, aucune intégrale analytique ou uniforme. Bien d’autres circonstances nous font prévoir que la solution complète, si jamais on peut la découvrir, exigera des instruments analytiques absolument différents de ceux que nous possédons et infiniment plus compliqués." 93

Notes
91.

Poincaré ajoute en note : "et de plus que leurs distance est un infiniment petit d’ordre plus élevé que μp quelque soit p".

92.

Nous avons reproduit ici les termes exacts de la lettre de Poincaré à Mittag-Leffler, 1 décembre 1889, y compris les erreurs de langue. (Elle est reproduite dans [BARROW-GREEN, J., 1997], p. 120-121).

93.

[POINCARE, H., 1890], p. 264-265. Il affirme aussi que le "problème présente des difficultés inouïes, que l’insuccès des efforts antérieurs avait bien fait pressentir, mais dont je crois avoir mieux encore fait ressortir la nature et la grandeur", ibid., p. 265. Au passage il remercie Phrägmen pour lui avoir "signalé les points où des explications complémentaires lui semblait nécessaires", ibid., p. 264.