c. Résoudre le problème des trois corps ?

Avant de poursuivre et nous interroger sur la postérité de ce travail de Poincaré, nous voulons clarifier sa position quant au problème des trois corps, la stabilité du système solaire et la question : que signifie, pour lui, "résoudre" le problème ? Il y a une ambiguïté à ce sujet, car la résolution selon le mathématicien et la résolution selon l’astronome n’ont pas le même sens. L’astronome cherche des développements en série lui permettant de déterminer l’évolution du système, en des temps aussi longs que possibles. Le mathématicien a une problématique différente. Pour ce qui est de Poincaré, il cherche d’abord à opérer des classifications (ce qui est quasiment un réflexe culturel chez les mathématiciens). L’objectif est de définir différents types de trajectoires d’une part, de déterminer leur agencement dans l’ensemble des trajectoires, d’autre part, en espérant être le plus exhaustif possible. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que son effort de définition de classes et l’étude de l’arrangement des ensembles de solutions périodiques, ou doublement asymptotiques, ne sont que des moyens pour parvenir à une fin : l’étude de la stabilité.

La classe principale est la classe des orbites périodiques, qu’ils supposent denses et sur lesquelles il s’appuie pour construire d’autres classes. Poincaré consacre beaucoup de temps à préciser des sous-classes, correspondant à des comportements périodiques variés 111 . Peu de temps avant sa mort, il livre un dernier résultat directement lié à ces questions d’orbites périodiques : son dernier théorème géométrique vise à démontrer la densité des orbites périodiques et assurer ainsi l’ensemble de sa démarche. En 1912, Poincaré lance quelques grandes lignes du résultat, démontré en 1913 par George Birkhoff 112 .

La seconde classe, celle des orbites asymptotiques, est neuve et Poincaré en a démontré l’existence dans le mémoire pour le concours Oscar II. La troisième classe a été obtenue après quelques rebondissements : les solutions doublement asymptotiques, séparées en homoclines et hétéroclines. Il établit l’existence des homoclines dans le problème des trois corps restreints, puis s’intéresse à leur répartition (c’est l’étude des ensemble E 0 et E’ 0 ).

A l’appui de ces affirmations, outre les tendances exposées dans les Méthodes Nouvelles, il est intéressant de mentionner les affirmations de Poincaré au sujet de la question des géodésiques, telle que Hadamard l’a traité en 1898 113 . Hadamard a proposé une classification exhaustive des géodésiques des surfaces à courbure négative et Poincaré considère en conséquence le problème comme "entièrement résolu" 114 . Nous reviendrons plus longuement sur les affinités entre les travaux de ces deux mathématiciens.

Notes
111.

Par exemple, les orbites périodiques de second genre, dont il précise les propriétés de "bifurcation". (Cf. annexe sur le sujet, p. 744).

112.

Une partie de l’annexe est consacrée à ce résultat de Poincaré, cf. p. 743.

113.

[HADAMARD, J., 1898]. Voir notre paragraphe consacré à J. Hadamard, p. 70.

114.

[POINCARE, H., 1897b]. Il n’existe que trois classes de géodésiques d’après Hadamard ; le problème est beaucoup plus simple que celui abordé par Poincaré (Cf. p. 70).