2.2. La naissance de la Mécanique statistique

Plus que sur des questions de libre arbitre, les préoccupations scientifiques à la fin du XIXème sont axées sur les connexions du déterminisme mécanique avec la thermodynamique, sur la théorie cinétique des gaz et sur la Mécanique statistique naissante. La facette scientifique du hasard et du déterminisme est importante, et même cruciale au regard du développement de la science au XXème siècle, du chaos en particulier.

De manière schématique, la Mécanique statistique est le résultat de l’introduction des probabilités au cœur des théories physiques, mécanistes. Ainsi, il apparaît d’emblée en quoi nos themata se trouvent au centre des discussions. Le terme de "Mécanique statistique" le reflète très bien : "Mécanique" renvoie naturellement à déterminisme (et accessoirement aux équations différentielles) tandis que "statistique" rappelle les probabilités et le hasard. Les positions par rapport au hasard et au déterminisme, ainsi que le lien avec les débats généraux évoqués jusqu’à présent, sont, en réalité, très subtils.

Au fond du problème, il y a les questions essentielles de la nécessité, de la légitimité, et de la justification de l’introduction de notions probabilistes en physique. L’irruption des probabilités dans le champ de la théorie physique amène des changements conceptuels importants et il y a manifestement une réticence à aborder la théorie physique autrement que par la voie classique, mécaniste, déterministe. Les paradoxes opposés aux conceptions de Boltzmann signent ces réticences.

Les tentatives de conciliation entre les probabilités et la Mécanique engendrent des interrogations nouvelles sur le hasard et le déterminisme, des théories de la Mécanique statistique, la notion d’ergodicité et des conceptions sur les probabilités. Poincaré a participé à ces réflexions. C’est pourquoi nous mettrons en exergue ses contributions de manière à en expliquer les enjeux et montrer les stigmates portés par son texte "Le hasard".

Enfin, les probabilités posent questions, au point que celles-ci sont, encore au début du XXème siècle, repoussées, une vision statistique "fréquentiste" est préférée. Ce n’est qu’un sursis avant la révolution quantique qui marquera la victoire d’un certain indéterminisme. A travers les positions de plusieurs savants nous dégagerons les principales tendances qui concourent à ce choix, incarné par la synthèse des Ehrenfest en 1911.

La Mécanique statistique renouvelle considérablement les problématiques scientifiques, à la fin du XIXème, mais également pendant tout le XXème siècle. Nous verrons par la suite que les interrogations et les réponses apportées dans ces débuts auront un impact très profond sur l’histoire des sciences du XXème siècle et l’histoire des conceptions du chaos. Outre les notions d’ergodicité, les questions d’instabilité seront progressivement réévaluées dans le cadre de la physique, et non plus seulement de la philosophie, pour construire des notions de "stochasticité" et de chaos.