Maxwell introduit la statistique

Les premières incursions de la statistique dans les problèmes de la physique remontent à R. Clausius (entre 1850 et 1857) et, d’une manière plus explicite, à J.C. Maxwell (1860-1867 pour les premières réflexions) 205 . Avec Clausius, la théorie cinétique des gaz, décrivant un gaz comme un système moléculaire mécanique, déterministe, est le point d’entrée des idées et méthodes statistiques en thermodynamique. Inspiré par la lecture de Herschel, Maxwell convertit plus systématiquement la théorie cinétique des gaz en une approche statistique. En 1850, le jeune Maxwell s’enthousiasme pour cette méthode 206 :

‘"On dit que l'Entendement doit fonctionner selon les lois de la raison. Ces règles sont, ou devraient être, contenues dans la Logique ; mais la science de la Logique reconnaît pour l'instant seulement les choses soit certaines, soit impossibles, soit entièrement douteuses, avec aucune desquelles nous devons (heureusement) raisonner. C'est pourquoi la vraie Logique pour ce monde est le Calcul des Probabilités, qui prennent en compte des amplitudes de probabilités [...] Cette branche des maths [...] est la seule ‘Mathématique pour l'homme pratique’, comme nous devrions l'être. Ainsi, comme la connaissance humaine passe par les sens de telle manière que l'existence des choses extérieures est inférée seulement à partir du témoignage harmonieux (non similaire) des différents sens, l'Entendement, agissant par les lois de la raison, assignera différents degrés de probabilité à différentes vérités." 207

La position de Maxwell est en décalage par rapport aux conceptions déterministes du XIXème siècle. Il suggère même que notre mode de connaissance est probabiliste 208 . En 1850, Maxwell n’a que 19 ans ; cette position de jeunesse sera progressivement transformée en un point de vue moins catégorique, plus "statisticien" que "probabiliste" comme nous le verrons.

En 1860, Maxwell utilise la notion de gaussienne (présente dans les travaux de Quetelet) pour construire une loi de distribution des vitesses des molécules du gaz 209 , mais la propriété mathématique ainsi dégagée ne convainc pas ses collègues physiciens. Dans un second article de 1867 210 , il montre, malheureusement de manière erronée, que la distribution n’est pas affectée par les collisions à l’intérieur du gaz. Ce sera ensuite l’œuvre de Boltzmann de parachever l’approche statistique du problème.

Notes
205.

Rudolf Clausius (1822-1888) et James Clerk Maxwell (1831-1879). Les ouvrages de S.G. Brush font référence en matière d’études de la thermodynamique et de la physique statistique de cette seconde moitié du XIXème siècle : [BRUSH, S.G., 1983] et [BRUSH, S.G., 1986].

206.

En 1850, un long article de J. Herschel (1792-1871), astronome britannique, publié dans la Edimburgh Review présente les travaux de statistique de A. Quetelet (1796-1874). La citation est extraite d’une lettre à son ami, L. Campbell, datée de 1850, où Maxwell exprime sa pensée concernant le calcul des probabilités. C’est l’unique indice, mis à part la parenté entre le raisonnement développé par Maxwell dans ses articles scientifiques et celui de Herschel, qui permette de lier les travaux statistiques de Maxwell aux réflexions de statistiques "sociales" de Quetelet.

207.

" They say that Understanding ought to work by the rules of right reason. These rules are, or ought to be, contained in Logic; but the actual science of Logic is conversant at present only with things either certain, impossible, or entirely doubtful, non of which (fortunately) we have to reason on. Therefore the true Logic for this world is the Calculus of Probabilities, which takes account of the magnitude of probability […] This branch of Math. […]is the only ‘Mathematics for Practical Men’, as we ought to be. Now, as human knowledge comes by the senses in such a way that the existence of things external is only inferred from the harmonious (not similar) testimonies of the different senses, Understanding, acting by the laws of right reason, will assign to different truths […] different degrees of probability." [CAMPBELL, L., GARNETT, W., 1969], p. 143.

208.

La suite de la lettre est plus significative à ce sujet :

" What is believing ? When the probability (there is no better word found) in a man’s mind of a certain proposition being true is greater than that of being false, he believes it with a proportion of faith corresponding to the probability, and this probability may be increased or diminished by new facts. This is faith in general. When a man thinks he has enough of evidence for some notion of his he sometimes refuses to listen to any additional evidence pro or con, saying, ‘It is a settled question, probates probate ; it needs no evidence ; it is certain.’ This is knowledge as distinguished from faith." [CAMPBELL, L., GARNETT, W., 1969], p. 144.

209.

[MAXWELL, J.C., 1860].

210.

[MAXWELL, J.C., 1867].