Le rapprochement des mathématiques.

Les recherches proches du mouvement brownien se développent également d’un point de vue mathématique, selon les théories appelées depuis Pearson, "marche aléatoire". On peut en effet faire remonter à Karl Pearson (1857-1936), en 1905, cette idée de marche d’un homme ivre, prototype du mouvement brownien. Lord Rayleigh (1842-1919) avait déjà en 1880 traité d’un problème analogue, tiré de la physique 298 .

Outre le mouvement brownien, les éléments théoriques publiés par Gibbs en 1902 et dans la synthèse des Ehrenfest, en 1911, ont un poids déterminant dans le succès de la méthode statistique. Or le parti pris est très clair dès les premières pages de ce dernier document, qui propose quasiment une relecture et réinterprétation de l’histoire alors récente de la théorie cinétique des gaz (en plus de l’ergodicité). Une seule note suffit à donner le ton :

‘"Dans ce qui suit l’expression : probabilité d’un événement est évitée et remplacée par des évaluations explicites de fréquence, sans doute plus lourde mais plus précise. Dans les anciens travaux dont nous allons parler tout d’abord, l‘expression de ‘probabilité’ employée sans nuance a été incontestablement utile : des nombres exprimant des fréquences relatives de natures très différentes, telles que a) la longueur relative des durées pendant lesquelles une molécule A est dans un état Z ; et b) le nombre relatif des molécules qui a une époque fixée sont dans l’état Z, étaient désignées sous la dénomination unique : ‘la’ probabilité pour que A soit dans l’état Z." 299

Les Ehrenfest ne considère qu’une vision "fréquentiste" des probabilités, ce qui est en décalage avec les idées de Boltzmann par exemple. Avec ce point de vue très "conservateur", qui a le mérite de ne pas bousculer les positions philosophiques classiques, la statistique (que nous considérons dans le cas présent comme synonyme de l’option fréquentiste des probabilités), a pu s’imposer assez facilement. L’idée de probabilités en quelque sorte "réellement probabilistes" est éludée.

Nous avons vu qu’une autre conséquence a été de focaliser l’attention sur la question de l’ergodicité, qui s’insère dans le questionnement très récurrent sur la justification de l’emploi de méthode statistique sur la base d’un processus déterministe. C’est dans cette perspective que les mathématiciens interviennent un peu a posteriori pour légitimer les théories physiques. Rien d’étonnant donc à ce que deux résultats mathématiques paraissent en 1913, prouvant l’impossibilité de l’existence de systèmes ergodiques. M. Plancherel (1885-1967) s’appuie sur la récente théorie de la mesure de Lebesgue, A. Rosenthal (1887-1959) 300 sur les idées de Brouwer et Baire. D’autres travaux mathématiques suivent et, parmi eux, il nous paraît important d’évoquer les idées de E. Borel.

Notes
298.

Dans une série de réflexion [RAYLEIGH, J.W.S., 1873 / 1880 / 1903].

299.

Nous utilisons la version de Borel, traduction de 1915 du texte des Ehrenfest : [BOREL, E., EHRENFEST, P., EHRENFEST, T., 1915], p. 191.

300.

[PLANCHEREL, M., 1913] et [ROSENTHAL, A., 1913].