Aux Etats-Unis, R. Williams et J. Guckenheimer

Ainsi le séminaire "From numerical analysis to Strange Attractors" (rebaptisé "Turbulence seminar" pour la publication de quelques exposés présentés), organisé à l’automne 1976, à Berkeley, s’inscrit dans cette perspective 446 . Les exposés et les débats se concentrent sur la turbulence, à savoir les théories et les modèles de la turbulence, l’impact des systèmes dynamiques et la place du calcul numérique.

Parmi les travaux publiés, Lanford donne quelques images de l’attracteur de Lorenz 447 .

Si elles ne sont guère plus qu’une illustration supplémentaire de l’analyse produite avec Ruelle, le travail de Robert F. Williams est, lui, beaucoup plus intéressant. Il concerne la "structure de l’attracteur de Lorenz" et se veut une analyse qualitative, topologique de cet attracteur. L’objectif est de montrer "rigoureusement" que l’attracteur a la forme de la "variété branchée" 448 :

Deux remarques s’imposent. Malgré la volonté de rigueur de Williams, il laisse comprendre que nombre des résultats annoncés alors, ne sont pas prouvés et reposent uniquement sur des calculs numériques. En outre, on ne peut qu’être frappé de la similarité avec l’idée de Rössler de construire des "modèles en papier" des attracteurs étranges 449 . La différence se situe, non dans le résultat final souhaité, mais dans la démarche proposée : si pour Rössler l’intérêt tient à leur grande heuristique, Williams entend lui démontrer ses idées mathématiquement, c’est-à-dire dépasser le stade des calculs à l’ordinateur et utiliser les mathématiques des systèmes dynamiques. On ne manquera pas de signaler que les deux scientifiques n’ont pas de connaissance mutuelle de leurs travaux en 1976 450 .

Comme Williams l’annonce alors, sa recherche sur les attracteurs de Lorenz prendra, de 1976 à 1980, une tournure de plus en plus mathématique. La structure, la stabilité structurelle des attracteurs, l’ensemble des orbites périodiques, la dynamique symbolique, sont étudiés 451 . L’article publié tardivement en 1983 (mais achevé en 1980) avec Joan Birman livre une synthèse de ces éléments 452 et s’aventure davantage sur le terrain de la théorie des nœuds, afin de décrire au mieux la structure et l’agencement relatif des orbites périodiques des équations de Lorenz. Il est manifeste que l’étude approfondie du système de Lorenz selon Williams fait appel à de multiples domaines des mathématiques, beaucoup plus encore que l’embryon d’étude de Ruelle de 1975 sur le même système, tout en s’inscrivant dans la perspective inaugurée par ce dernier (pour les aspects géométriques, non les aspects ergodiques).

Son compatriote, John Guckenheimer suit une démarche analogue dans son analyse de 1976 "A strange, strange attractor". Ils collaborent par la suite pour l’étude de la stabilité structurelle de l’attracteur de Lorenz. L’objet de l’étude de 1976 est de construire un attracteur étrange, inspiré par les résultats numériques de Lorenz. Il s’agit de définir une procédure de construction d’un système dynamique ayant les propriétés topologiques de l’attracteur de Lorenz. En un sens, la démarche est inverse à l’analyse du système de Lorenz. Grâce à un procédé de Smale, il construit une classe d’attracteurs au nom générique d’"attracteurs de Lorenz".

Notes
446.

Le développement historique nous montrera que la mise en place d’un tel à séminaire à Berkeley est tout sauf un hasard : c’est là que Smale a fait école. Ruelle s’étant inspiré des travaux de Smale, ce séminaire est une sorte de retour aux sources. Au chapitre 6 (page 446 notamment), nous évoquerons les rapports intellectuels, personnels entre Ruelle et Smale, ainsi que les rapprochements entre l’IHES et les mathématiciens de Berkeley, de manière générale.

447.

Ajoutées après le séminaire, pour la publication uniquement. Pour les images : [BERNARD, P., RATIU, T.S., 1977], p. 113-117.

448.

"branched manifold". Voir [BERNARD, P., RATIU, T.S., 1977], p. 111. La figure se trouve page 99.

449.

Le chapitre 4 consacre une analyse complète aux travaux de Rössler. Pour le détail sur les "modèles papiers", voir en particulier p. 258.

450.

Dans son paragraphe intitulé "History", Williams n’indique alors que trois sources : Lorenz lui-même, le travail de Ruelle de 1975 et celui de Guckhenheimer. Ibid., p. 111. L’allusion à Lorenz est un peu déroutante : il prétend trouver chez Lorenz une intuition de la figure présentée. L’article de 1963 de Lorenz montre, en effet, une image ressemblant à cette figure. Elle est le résultat de calculs numériques, selon un procédé de type ligne de niveau ("isopleth", qui sont des procédés courants en météorologie : rappelons que Lorenz est météorologue), et était destinée à donner une idée générale de la géométrie de l’espace des phases. Lorenz décrit effectivement que deux surfaces coexistent, et pose le problème de l’arrangement relatif des deux surfaces. Mais l’idéalisation est de l’initiative de Williams principalement et non une idée suggérée par Lorenz. Voici l’image de [LORENZ, E.N., 1963], p.138

451.

On mentionne les deux articles principaux : [GUCKENHEIMER, J., WILLIAMS, R.F., 1979] (sur la stabilité structurelle de l’attracteur de Lorenz), [WILLIAMS, R.F., 1979].

452.

[BIRMAN, J.S., WILLIAMS, R.F., 1983].