L’interaction de résonances, la problématique de Chirikov

L’interaction de résonances est un problème fondamental dans les oscillations non linéaires, selon Chirikov. Il est au cœur du mécanisme de génération de la stochasticité.

En reprenant la présentation de Chirikov, lorsqu’on introduit simultanément plusieurs perturbations harmoniques de l’Hamiltonien, chaque perturbation détermine "sa" résonance dans l’espace des phases. Toute la question est de déterminer quel est le mouvement sous cette accumulation de résonances.

Dans son texte, Chirikov explicite le raisonnement courant qui mène à conclure que le système est instable, en général. L’argumentaire repose sur le "théorème de Poincaré" : il n’existe pas d’autre intégrale analytique du mouvement que l’énergie (et les classiques moment, moment angulaire, etc.).

Selon Chirikov, l’idée générale présidant aux réflexions sur la question était la suivante : en se plaçant dans le voisinage d’une résonance particulière on espérait absorber, grâce à un changement de variables, les autres perturbations (non résonantes dans ce voisinage). Cette possibilité était connue "depuis longtemps", il fallait pour cela combiner formellement une séquence infinie de changements de variables pour parvenir, idéalement, à un mouvement stable. Tout le problème est que ces transformations se font d’un point de vue formel et :

‘"La stabilité réelle dépend de la convergence de la série infinie de variables, ou, en d’autres termes, de l’existence d’une limite pour laquelle le mouvement est formellement stable." 475

Or, le raisonnement dominant voulait que cette série ne converge pas en général, ce qui signifie que le mouvement était considéré comme instable et la question "résolue". Au centre de l’argumentaire récurrent sur le sujet, se trouve le "théorème de Poincaré" 476 . Du fait que la convergence d’une série de transformations correspondrait à une nouvelle intégrale, ce théorème "célèbre" est effectivement déterminant.

Chirikov esquisse le changement intellectuel qui s’est opéré dans les perspectives de réponse à ce problème et montre que la conclusion ne peut pas se résumer à une situation instable de manière générale.

En fait, Chirikov annonce qu’une démarche particulière permettant d’y répondre a été trouvée "récemment" (le texte est écrit en 1979) et affirme: "Aujourd’hui nous savons qu’une telle interprétation du théorème de Poincaré est une erreur" 477 . La nouvelle réponse, centrée sur le théorème de Kolmogorov -Arnold -Moser (théorème KAM), est une théorie de la stabilité montrant, contrairement à ce qui était prétendu, qu’il existe de la stabilité dans les oscillations non linéaires. En exposant plus en détail ce résultat, c’est cet aspect que nous allons mettre en avant : il y a coexistence de stabilité et d’instabilité dans les oscillations non linéaires. Ceci nous renvoie à notre introduction : instabilité et stochasticité étant associées, on peut interpréter cette coexistence comme un mélange de stabilité et de chaos, ou encore de mouvement quasi-périodique et de chaos. Nous prenons là quelques raccourcis, mais ils sont justifiés par le texte de Helleman qui va suivre (également par son introduction aux actes du colloque de New York de 1979 478 ) et servent ici à mieux associer ce résultat aux problématiques du chaos.

Lorsque nous aurons détaillé les raisonnements entourant le théorème KAM, nous en viendrons aux résultats essentiels autour de cette coexistence de stabilité et d’instabilité. Au cœur du texte de Chirikov, il est question avant tout de déterminer la frontière entre la stabilité et l’instabilité, de donner un critère indiquant la transition, d’une part et de caractériser l’instabilité elle-même, d’autre part. Le théorème KAM donne des indications relatives à la bordure de stabilité, mais nous détaillerons surtout les critères dévoilés par Chirikov, tel que le "recouvrement des résonances". Sur ces différents points, les rapports au chaos, tant sur les concepts mis en jeu que sur les méthodes d’analyses, seront plus clairs.

Notes
475.

"Real stability depends on whether that infinite sequence of variable is convergent, or, in other words, whether there exists that limit in which the motion is formally stable.", [CHIRIKOV, B., 1979], p. 285.

476.

"These sort of ideas was based, particularily, on the famous Poincaré theorem [...]", [CHIRIKOV, B., 1979], p. 285.

477.

"Today we know that such an understanding of the Poincaré theorem is in error.", ibid., p. 285.

478.

[HELLEMAN, R.H.G., 1980a]. Nous renvoyons aux détails donnés en introduction de notre seconde partie, p. 153.