Le recouvrement de résonances non linéaires

Dans son texte, Chirikov se propose essentiellement de produire une analyse qualitative (et graphique) de mécanismes particuliers de destruction des intégrales du mouvement et donc d’apparition d’instabilité, en parallèle au théorème KAM. Le principe qui lui permet de définir un critère de stabilité et d’évaluer la frontière de stabilité des systèmes repose sur le recouvrement de résonances non linéaires. Nous nous intéressons à ce principe ainsi qu’aux autres développés par Chirikov pour deux raisons : il constitue un mécanisme générateur d’une instabilité et de stochasticité du système, d’une part ; d’autre part, nous allons voir que les méthodes permettant l’analyse du recouvrement et de cette instabilité sont des méthodes standard de la dynamique.

Commençons par le cas de deux résonances, pour lequel Chirikov explique les grandes lignes du critère adopté afin de caractériser le recouvrement : c’est le contact des séparatrices des résonances.

La base du principe n’est pas de Chirikov mais repose sur un résultat plus ancien. Pour un système où se manifestent deux résonances, lorsque celles-ci sont suffisamment éloignées, on peut penser que le système restera localisé autour d’une résonance (le choix dépendant des conditions initiales). Que se passe-t-il lorsque les deux résonances se rapprochent ? A priori, on peut s’attendre à ce que le système passe de l’une à l’autre, mais rien ne laisse supposer qu’il se passe autre chose. Pourtant

‘"Les expériences numériques montrent que le mouvement en question devient irrégulier comme si le système était influencé par des forces aléatoires même si, en fait, aucune force de ce genre n’est présente. [...] C’est pourquoi on a appelé ce type de mouvement oscillations stochastiques, ou instabilité stochastique." 484

Une instabilité se met donc en place et le critère pour définir la frontière stabilité-instabilité correspond à la limite de chevauchement des résonances. Cette limite est définie elle-même par le contact entre les séparatrices des deux résonances. En l’état, le critère est difficile à mettre en oeuvre, car la présence d’une résonance modifie la séparatrice de l’autre. La méthode consiste alors à considérer les séparatrices non perturbées (c’est-à-dire comme si l’autre résonance n’existait pas) et à déterminer quand ces deux séparatrices "abstraites, idéales" se rencontrent. Tel est le critère retenu par Chirikov.

Dans les cas où plusieurs résonances se côtoient, la situation est évidemment plus délicate. Pour l’analyse de ces phénomènes de recouvrement de résonances, ce sont alors les itérations qui entrent en jeu, pour plusieurs raisons. En premier lieu, le travail tant numérique qu’analytique sur les itérations est considérablement plus simple 485 . Mais cela tient surtout à un choix très particulier de Chirikov. Dans l’idée de représenter les dynamiques au voisinage des séparatrices de résonances, Chirikov se concentre sur une itération baptisée "standard", dont les équations sont :

Chirikov a montré qu’elle est représentative des comportements à étudier 486 . Par ailleurs, cette application standard correspond à la dynamique d’un système particulier : un modèle de particule chargée, confinée dans une bouteille magnétique 487 . Plus exactement, c’est par une section de Poincaré de ce modèle qu’il est conduit (avec diverses approximations) à l’itération en question.

Sur cette itération, Chirikov analyse les situations à multiples résonances. K déterminant la valeur des résonances et leur nombre, en faisant varier K, il peut étudier les passages d’une résonance à l’autre et tester le critère de recouvrement. Les deux figures illustrent la situation avant et après le recouvrement de résonances.

Il faut imaginer que le bord supérieur est identifié au bord inférieur, le droit au gauche, le rectangle étant ainsi l’analogue d’un tore. Dans les conditions choisies, il y a deux résonances P r =0 (ou 1) et P r =1/2. Sur la figure (5.1), le mouvement a lieu autour de la résonance P r =0 et ne s’évade pas ; il y a une stabilité du mouvement, qui n’atteint pas l’autre résonance. Sur la figure (5.2), le paramètre ayant été augmenté, les résonances se recouvrent, le mouvement s’effectue dans l’espace entre les deux résonances, sans rester localisé sur une résonance. Il y a une instabilité large. On notera par ailleurs que le mouvement se fait dans une bande d’une certaine largeur, dans les deux cas : cela correspond à la "couche stochastique", où il y a une instabilité locale, même lorsque le mouvement est stable globalement. Le phénomène n’a pas de rapport avec le recouvrement de résonances. Ce sont deux instabilités de nature complémentaire et Chirikov analyse ce phénomène en détail dans un paragraphe suivant.

Notes
484.

"Numerical experiments show that the motion in question becomes irregular as if the system were influenced by some random forces even though, in fact, no such a force is present. (see eq. (4.1)). That is why this kind of motion was called stochastic oscillations, or stochastic instability.", [CHIRIKOV, B., 1979], p. 286-7.

485.

Paragraphe 4.2, en particulier page 292. La situation est la même qu’avec le système de Hénon, beaucoup plus simple à implémenter numériquement que celui de Lorenz, comme cela a été mentionné p. 207 (ainsi qu’à la note 458).

486.

C’est ce qu’il a montré dans le paragraphe 4.4.

487.

Le système peut paraître un peu baroque, mais il correspond en fait à des problèmes de confinement de plasmas, de fusion thermonucléaire contrôlée où le problème de stabilité du mouvement des particules est crucial. Ibid., paragraphe 4.3 (page 300 pour les rapports à la fusion). N’oublions pas que Chirikov est un physicien travaillant dans ce domaine.