Les fondements de la Mécanique statistique

De la même manière que les considérations de Li, Yorke ou Ruelle sont empreintes des questions d’ergodicité des systèmes dynamiques, de description statistique des dynamiques, autrement dit des questions de "Mécanique statistique", il nous faut insister sur le fait que Chirikov s’inscrit lui aussi dans une perspective de Mécanique statistique.

Dans ce cadre, le comportement instable localement, c’est-à-dire la divergence (exponentielle) des trajectoires voisines n’est pas seulement un mécanisme générateur de stochasticité. Chirikov enchaîne toute une série de remarques à ce sujet :

‘"Il est intéressant de noter qu’un tel mouvement est recherché depuis longtemps dans l’objectif de donner des fondements à la mécanique statistique. Cependant, en conséquence des tentatives timides de la théorie ergodique classique de déduire des propriétés statistiques des lois dynamiques, une idée erronée a pris racine, celle qui affirme que le mouvement est déterminé ostensiblement par la complexité du système et, en premier lieu, par le nombre de ces degrés de liberté. Dans le même temps, il se trouve que la forte instabilité locale du mouvement est capable de générer un mouvement extrêmement complexe, même dans un système aussi simple que le système (5.1)" 493

En quoi les propriétés statistiques résultent-elles de cette instabilité ?

Chirikov suggère des interprétations montrant que ce genre de processus "mélange" les trajectoires 494 . Il reproduit trois idées courantes en la matière, dont l’idée de perte de mémoire du système :

‘"Dès que la divergence des trajectoires est exponentielle, le système oublie les conditions initiales très rapidement, et pour toujours. En d’autres termes, la ‘mémoire stochastique’ est courte […] et se perd de manière abrupte." 495

La seconde est plus sophistiquée et repose sur l’idée qu’un tel processus stochastique se compose d’un ensemble dense de trajectoires périodiques (dont le nombre croît exponentiellement avec la période). Elles sont instables et forment un réseau à travers lequel les trajectoires générales diffusent, rebondissant en quelque sorte sur les mailles de ce réseau. Chirikov prend l’exemple de la planche de Galton pour figurer une telle dynamique, dont le résultat est un processus aléatoire 496 .

Chirikov ajoute une troisième interprétation sur la base de la notion d’information. Une trajectoire est définie par ses conditions initiales, c’est-à-dire un nombre réel. En Mécanique classique, ces conditions initiales contiennent une quantité d’information infinie sur le mouvement. Mais dans ce cadre où s’expriment surtout la stabilité et la quasi-périodicité, toute cette diversité reste cachée : seule la divergence de trajectoires voisines révèle ces détails microscopiques, dans des systèmes aussi simples que l’application standard 497 .

On se contentera sur ce point de constater que ces conceptions ne sont pas spécifiques au monde conservatif, comme l’illustrent les considérations sur la sensibilité aux conditions initiales, la turbulence et l’ergodicité, de Ruelle ou Bowen notamment. Cependant, Chirikov raisonne d’abord en physicien (et non en mathématicien) et traite ici uniquement de Mécanique classique (Hamiltonienne).

Notes
493.

"It is worth noting that such a motion has been searching for since long ago with the purpose of foundation of the statistical mechanics. However, subsequent upon the first poor attempts of the classical ergodic theory to derive the statistical properties from the dynamical laws an erroneous idea has taken root that the intricacy of motion is determined ostensibily by the complexity of a system and, in first place, by the number of its degrees of freedom. Meanwhile, it turns out that the strong local instability of motion is capable of giving rise to an extremely intricate motion even in a system as simple as the system (5.1)", [CHIRIKOV, B., 1979], p. 323.

494.

Chirikov n’emploie pas le terme "mixing" dans son sens mathématique, mais pour signifier que les propriétés statistiques proviennent d’un mélange analogue, sans que les strictes conditions mathématiques soient respectées.

495.

As soon as the divergence of trajectories is exponential the system forgets the initial conditions very quickly, and for ever. In other words, the "stochastic memory" is short [...] and it gets lost abruptly.", [CHIRIKOV, B., 1979], p. 324.

496.

"This sort of phase motion ressembles the motion of a small shot on the Galton Board [123]. Its simplest version is just a wooden planck fixed vertically with many pins stuck squarely into it. A shot is falling through the "forest" of pins scattering by them "randomly". This classical device for a visual demonstration of random processes is a typical system with an exponential local instability of motion", [CHIRIKOV, B., 1979], p. 324.

497.

[CHIRIKOV, B., 1979], p. 325.