Art Winfree (1942-2002)

Avant de s’engager dans sa voie de prédilection, la biologie, Winfree a été formé à l’"ingénierie physique" 557 . Ainsi son premier travail, publié en 1967, concerne-t-il les phénomènes collectifs et de synchronisation d’une "population" d’oscillateurs électriques couplés entre-eux 558  : il s’agissait à la base de produire un modèle de cellules, avec des activités rythmées différenciées, propre à représenter des phénomènes collectifs en biologie, comme ceux des cellules cardiaques. Peu de connaissances mathématiques ou théoriques étant développées à ce sujet, Winfree a construit son modèle pour mettre en évidence des comportements. Le modèle est un gros circuit électrique (réalisé concrètement). Il repose sur une analogie biologique-électrique au sens où les oscillateurs biologiques sont remplacés par des oscillateurs électriques. Le travail possède une dimension théorique, construite sur la base d’une modélisation mathématique, et faisant appel à la dynamique non linéaire, la Mécanique statistique et à des notions de transition de phase. Même si cette étude est laissée de côté par Winfree, elle servira à lancer d’autres études importantes 559 . On voit en quoi ce biologiste théoricien se rapproche du profil de Rössler et de ses collègues.

Winfree est intervenu de plusieurs manières dans le parcours de Rössler. Leur première rencontre en 1973 a permis à Rössler de découvrir directement chez Winfree (à Purdue University, dans l’Indiana, Etats-Unis) les expériences sur les oscillations spatiales dans la réaction de Belousov-Zhabotinsky, c’est-à-dire la formation d’ondes, de spirales se déplaçant dans le dispositif chimique 560 .

En 1975, c’est encore Winfree qui lui fournit les publications (et prépublications) des résultats connus en 1975, y compris les tout récents articles de Li, Yorke et May dans la thématique du "chaos" 561 . Cette initiation de 1975 va de paire avec des explications directes de Winfree sur le sujet ; celui-ci souhaitait en fait s’engager, lui aussi, vers cette question 562 . Enfin, Rössler revient de ses rencontres avec Winfree poussé par une sorte de défi, celui de trouver un système chimique réactionnel reproduisant le système de Lorenz.

Notes
557.

"Physical engineering". Voir les deux courtes biographies publiées sur Winfree : [WINFREE, A.T., 2003a], [WINFREE, A.T., 2003b].

558.

[WINFREE, A.T., 1967].

559.

Rappelons que dans les années 1960, les oscillations non linéaires connues et étudiées se limitent à des systèmes singuliers ou à deux oscillateurs couplés. Pour un grand nombre d’oscillateurs, les méthodes classiques (Van der Pol, Minorsky…etc.) ne donnent pas de résultats. En outre, Winfree opère une approximation dans son modèle qui servira de base aux études des oscillateurs en biologie : les amplitudes des oscillations sont supposées quasiment constantes ; seules les phases entrent en ligne de compte. L’expérience de Winfree lance un problème nouveau, le "modèle de phases", dont les développements mathématiques importants sont dus notamment à Yoshiki Kuramoto au Japon (et quelques autres). Voir [WINFREE, A.T., 2003b].

560.

La rencontre est mentionnée dans l’autobiographie de Rössler, [LETELLIER, C., à paraître]. Les oscillations du dispositif de Winfree sont rapportées dans l’article : [WINFREE, A.T., 1972].

561.

Rössler et Winfree se retrouvent au colloque de Vienne de 1975 (Human Ecology Meeting). Parmi les articles transmis par Winfree il y a celui de Lorenz (1963), de May (1974), Li et Yorke (1975, en prétirage), un article de. Smale de 1965 (contenant l’exemple du fer à cheval : [SMALE, S., 1965]).

562.

Ce passage est raconté par Rössler dans [LETELLIER, C., à paraître].