Eléments d’une théorie de la dynamique chaotique

D’abord Rössler tente une classification des comportements chaotiques selon les mécanismes générateurs. Dans un article précédent, il avait différencié un chaos "spiral" d’un chaos "vis". Par une réflexion plus approfondie sur les applications de Poincaré cette fois, Rössler obtient deux grandes classes de comportements : les applications dites "bâton de marche" 577 et les applications "sandwich", qui se caractérisent par un repliement pour la première, une coupure pour la seconde 578 . Ce sont les deux classes majeures des comportements de chaos selon Rössler 579  ; le chaos "spiral" et "vis" se rangent dans la première catégorie.

Lors de la conférence de New York de 1977, il présente un bilan des mécanismes possibles pour générer du chaos sous la forme des cinq prototypes :

Ces mécanismes ont leur correspondant en terme d’applications de Poincaré dont on voit très clairement la séparation en deux classes (les repliées, les coupées) :

De la même manière, Rössler montre comment un même système différentiel, avec différents paramètres, peut admettre des régimes de chaos distincts 580 .

Les traits principaux de sa démarche se démarquent bien. D’abord la maîtrise des outils des systèmes dynamiques s’accroît rapidement et leur intervention est de plus en plus décisive dans les raisonnements. Ainsi les affirmations relatives aux applications de type "bâton de marche" se font prudentes et la transférabilité des résultats sur le fer à cheval est mise en question. Il naît une réflexion assez abstraite qui se concrétise par la suite dans un article de 1977 intitulé : "‘Syncope implies chaos’ in Walking-stick Maps". La référence au théorème de Li et Yorke est évidente ; c’est le but de l’article que de trouver un équivalent, ou une extension, du théorème dans le cas des applications de Poincaré bidimensionnelles, et non plus seulement dans le cas "dégénéré". Cette question a été lancée en 1976 avec une conjecture reposant sur le taux de "recouvrement" du "bâton de marche" 581 .

Pour parvenir à ce critère il utilise la panoplie des systèmes dynamiques de manière plus sûre. La notion d’homocline intervient dans sa preuve. Rössler démontre en fait qu’une homocline peut apparaître dans les applications de Poincaré de type "bâton de marche" (modulo certaines hypothèses). Pourquoi se tourner vers les homoclines ? Simplement, parce que dans ce cas, l’existence d’une infinité d’orbites périodiques est assurée 582 . On voit au passage que Rössler est fidèle à cette définition de chaos lorsqu’il s’agit de montrer effectivement son existence dans un processus dynamique. La conclusion de cette recherche, beaucoup plus abstraite qu’à l’habitude et ne s’appuyant sur aucune simulation numérique, est un critère pour le chaos : la présence d’une "syncope" dans une série temporelle (c’est-à-dire l’apparition d’un évènement brisant la non périotonie de la dynamique).

Deuxièmement, à partir de 1977, on notera qu’il n’est plus question de chimie des oscillateurs dans l’exercice théorique. Ainsi les équations prototypes sont-elles présentées sans cette référence, qui a néanmoins servie à leur construction, explicitée dans des travaux antérieurs. Les prototypes suffisent désormais pour réaliser les expériences numériques et poursuivre l’étude du chaos.

En définitive, une partie des résultats, ceux touchant aux modèles en papier, est assez proche de ce que Guckenheimer et Williams ont fait, de manière plus mathématique, à propos de l’attracteur de Lorenz 583 . Rössler y est parvenu par une voie alternative, non liée à la question de l’attracteur de Lorenz, dans une démarche qui, de plus, est constructive et génératrice de nouveaux chaos et ne se limite pas aux "attracteurs de Lorenz".

Pour donner un terme à cette suite spectaculaire de travaux, nous avons retenu l’année 1979. La série ne s’arrête pas à cette année, mais il faut remarquer que le projet d’étendre les réflexions à la dimension supérieure aboutit alors à l’étude d’un système concret. L’idée d’étendre le principe de réinjection à la dimension 4 remonte à l’année 1976 et apparaît comme un prolongement assez naturel 584 .

Les mêmes outils, simulations numériques et systèmes dynamiques, et le fil directeur de la chimie des oscillations, permettent à Rössler de construire et d’étudier un système quadridimensionnel, avec la perspective de possibles extensions :

Ce système d’équation tiré de "An equation for hyperchaos" 585 , illustre un comportement qu’il baptise "hyperchaos". Cette recherche est beaucoup plus délicate que pour les systèmes en trois dimensions, du simple fait de la difficulté à visualiser le processus. Pour la même raison, il semble que l’étude de ces systèmes soit restée depuis, du domaine de l’académisme. Le résultat de Rössler montre tout de même, une nouvelle fois, la fécondité de sa démarche.

Notes
577.

"Walking-stick" est l’expression employée.

578.

La distinction apparaît pour la première fois en 1976 dans [RÖSSLER, O.E., 1976c]. Le terme "walking-stick" n’est pas encore intronisé et le terme "horseshoe map" désigne cette caractéristique. Dès 1977, l’expression est entérinée. Dans le raisonnement de Rössler, la différence de longueur entre les deux côtés du fer à cheval est cruciale. C’est pourquoi il préfère le terme "walking-stick" illustrant mieux la dissymétrie. Il s’agit aussi de revenir sur des affirmations précédentes, en les précisant, concernant justement la présence d’un fer à cheval dans les applications chaotiques. Voir aussi note .

579.

"All these systems can be classified into two major classes: those in which the chaotic behaviour is due to the presence of a ‘folded’ Poincaré map in state space, and those in which it is due to a ‘cut’ Poincaré map."[RÖSSLER, O.E., 1977f], p. 607.

580.

"Different types of chaos in two simple differential equations" [RÖSSLER, O.E., 1976c]. L’étude de deux systèmes simples révèlent au moins trois types de chaos : chaos Lorenzien, chaos de type "sandwich", chaos de type "fer à cheval". Dans la catégorie du chaos "fer à cheval", se distinguent, sur un même système, des comportements de chaos "spiral" et "vis", avec tous les intermédiaires possibles. Cet article et cette énumération montre la complexité possible en dynamique, dégagée grâce aux travaux de Rössler.

581.

Le bâton de marche a une tige et une poignée : la longueur de la poignée est variable et "couvre" une plus ou moins grande partie du bâton. Ce "recouvrement" est un paramètre important pour le comportement du système. [RÖSSLER, O.E., 1976c], p. 1667 ; [RÖSSLER, O.E., 1977f], p. 608.

582.

Rössler fait référence au théorème de Birkhoff [BIRKHOFF, G.D., 1927d] (donnant simplement l’existence de cet ensemble de points périodiques) et surtout au résultat de Smale, liant l’homocline à un automorphisme de décalage, assurant l’existence d’orbites de toutes périodes. [SMALE, S., 1965].

583.

Il est difficile de dater précisément quand Rössler a connaissance des idées de Guckenheimer-Williams, mais au moins en 1977 il en fait mention, pour signifier le parallèle avec son propos [RÖSSLER, O.E., 1977d], p. 188. (Voir chapitre 3, p. 202 pour les détails sur la perspective adoptée par Guckenheimer et Williams).

584.

Rössler s’interroge alors sur la possibilité d’un tel prolongement et l’existence d’un "super-chaos" (RÖSSLER, O.E., 1976c], p. 1669). Cf. note 568.

585.

[RÖSSLER, O.E., 1979d].