e. Les liens avec l’entropie et la théorie ergodique

La théorie ergodique fournit des outils pour entrer dans ces caractérisations statistiques du chaos (ou de la turbulence), appuie la définition et justifie l’existence des exposants de Lyapounov 650 . On a vu les reprises et les développements de ces objets par Pesin, Benettin et ses confrères, Chirikov ; dans le cadre conservatif, la théorie ergodique permet de proposer des notions d’entropie et de les relier aux exposants de Lyapounov, eux-mêmes rattachés à des questions de divergence exponentielle de trajectoires voisines. C’était d’ailleurs la motivation d’Oseledec en 1968 651 .

Le meilleur exemple des rapports entre les exposants de Lyapounov, la turbulence et la théorie ergodique se trouve dans les réflexions de Ruelle (ce qui n’a rien d’étonnant vue la place de la théorie ergodique dans son étude de la turbulence). La raison essentielle tient à ce que la théorie ergodique accède à la catégorie des systèmes dynamiques Axiome A, grâce notamment au travail avec Bowen publié en 1975. Dans ce cadre, il existe des mesures invariantes, dont une en particulier (appelée "mesure asymptotique") a des propriétés jugées intéressantes pour décrire la turbulence. Elle est ergodique et l’entropie métrique correspondante égale la somme des exposants de Lyapounov positifs (comptés avec leur multiplicité) 652 . Dans la perspective des recherches de mesures décrivant la turbulence, nous avons indiqué que l’exposé de 1977 est un noeud important ; nous pouvons maintenant ajouter que les résultats précédents y sont également annoncés et que quelques grandes lignes de justification sont données (plus ou moins heuristiquement).

De manière générale, nous avons vu que l’ergodicité est à la fois une motivation des recherches et un point d’appui essentiel des résultats avancés. Concernant les exposants et les entropies, la théorie ergodique en fournit les fondements mathématiques, d’une part ; d’autre part, ils sont destinés à caractériser la stochasticité, les comportements statistiques, les frontières entre stabilité et stochasticité. Ce sont des paramètres d’ordre 653  : ceci est net avec l’entropie métrique (chez Chirikov par exemple) ; les exposants de Lyapounov sont utilisés pour caractériser la sensibilité aux conditions initiales (ou la divergence exponentielle des trajectoires voisines), mais bientôt ils deviennent des éléments de classification de la turbulence. Ainsi, pour Ruelle, le nombre d’exposants de Lyapounov positifs ou nuls correspond à une classe de turbulence 654 .

En un mot, les exposants de Lyapounov et l’entropie métrique prennent leur sens à travers les interrogations sur l’ergodicité des systèmes dynamiques. Cependant, cela n’est pas exclusif d’un développement parallèle, comme nous l’avons vu, où le numérique seconde les mathématiques et les fondements rigoureux sont différés : ainsi, les calculs réalisés sur les systèmes "concrets" (celui de Lorenz ou Hénon) ne reposent que sur une sorte d’intuition d’ergodicité (et de sentiment qu’ils sont proches de l’Axiome A) pour ces systèmes. Néanmoins, cette impression, pour vague qu’elle soit, est importante puisqu’elle légitime les calculs d’exposants de Lyapounov sur les attracteurs étranges.

Notes
650.

Rappelons que la justification émane des travaux mathématiques d’Oseledec et de son "théorème ergodique multiplicatif", valable dans le cas d’un système dynamique possédant une mesure de probabilité invariante. Dans les systèmes conservatifs (le cadre de Oseledec est celui de la mécanique classique) la condition est automatiquement respectée. [OSELEDEC, V.I., 1968].

651.

Dans son introduction Oseledec affirme : "This investigation is based on the work of Sinaï on entropy theorem in classical dynamical systems. From his work it became clear that positive entropy in classical dynamical systems is related to exponential divergence of orbits originating at nearby points. Because of this connection the author became interested in the problem of exponential divergence.", [OSELEDEC, V.I., 1968], p. 197.

652.

D’autres propriétés sont importantes, comme la stabilité sous des petites perturbations. Voir [RUELLE, D., 1980b], (p. 7, en particulier).pour les détails sur ces "mesures asymptotiques".

653.

On peut faire référence à l’article [OONO, Y., 1978a] ("A heuristic approach to the Kolmogorov entropy as a disorder parameter").

654.

Voir par exemple [RUELLE, D., 1978a], p. 345.