Conclusion

L’essentiel de ce que nous voulions montrer est que, progressivement, l’approche de Ruelle triomphe et se finalise dans ce que nous pourrions appeler une théorie du chaos. La déferlante des attracteurs étranges et de la sensibilité aux conditions initiales, vague inspirée par Ruelle, est relayée par une vogue pour des indices quantitatifs du chaos. Si ces éléments assurent une fixation sur ces conceptions en particulier, il nous faut affirmer encore une fois que Ruelle n’intervient que très peu dans le second mouvement. Le cadre général a été fixé avant 1980, le quantitatif vient le prolonger et, en quelque sorte, le faire dévier des problématiques initiales. Schématiquement, avant 1980, les recherches sur les indicateurs quantitatifs sont accompagnées d’une réflexion et d’une formalisation théorique très poussées, où la théorie ergodique joue un rôle majeur. Par la suite, il semble se produire une dissociation entre les éléments théoriques, d’un côté, le développement et l’évaluation quantitative du chaos par la reconstruction d’attracteurs étranges, de l’autre. La seconde opération devient plus facile, plus banale grâce aux automatisations informatiques du traitement des données.

Mais le développement conceptuel, où le qualitatif prime, n’est pas mort. Rössler, Ruelle et Shaw, pour reprendre les alternatives abondamment discutées, poursuivent leurs recherches ; le quantitatif n’est que la partie visible de l’iceberg.

La date butoir de 1982 commence à prendre sens, même si les analyses à venir sont indispensables pour conclure plus sereinement. En effet, en 1982, le processus de développement conceptuel arrive à une certaine maturité ; il se concentre dans une approche théorique, celle de Ruelle, qui porte ses fruits au niveau numérique et expérimental. Un air de "fin du commencement" est très facilement décelable au terme d’une période de production extrêmement intense. L’exemple de la compilation de Sparrow sur les équations de Lorenz représente à la fois un aboutissement des analyses sur le système de Lorenz, début de l’emballement de 1975, la maturité de l’analyse en termes qualitatifs et la précision des expériences numériques plus quantitatives 699 .

L’analyse de l’évolution conceptuelle sur la période 1975-82 n’est pas encore achevée, loin de là. Pour terminer d’en rendre compte, il est nécessaire d’aborder la question de la transition vers le chaos. Cette obligation tient au fait que les attracteurs étranges sont, depuis le début, associés à la question de la transition vers la turbulence : c’est ainsi que Ruelle (et Takens) ont inauguré leurs conceptions sur la "nature de la turbulence", si importantes dans les évènements de 1975-82. Par ailleurs en pleine période de développement de conceptions sur le chaos, la problématique de la transition vers le chaos profite autant qu’elle participe aux élaborations conceptuelles.

Notes
699.

The Lorenz equations : bifurcations, chaos and strange attractors, [SPARROW, C., 1982].