b. L’universalité selon N. Metropolis, M. Stein et P. Stein, 1971

Au préalable, et malgré le centrage de ce chapitre sur la période postérieure à 1975, il convient de s’attarder sur le résultat, plusieurs fois mentionné, de Metropolis, Stein et Stein, datant de 1971 (publié en 1973). Feigenbaum s’attache à ancrer sa réflexion dans leur travail (on notera que Feigenbaum travaille au Los Alamos National Laboratory à partir de 1974, où exercent ces trois scientifiques). L’analyse de Metropolis, Stein et Stein porte sur l’étude des itérations de type "bosse" 718 . Ils s’intéressent aux cycles engendrés par l’itération du maximum de la courbe, c’est-à-dire les valeurs de λ pour lesquelles il existe un k tel λf (k) (c)=c (où f(c)=f max  ; on peut choisir c=1/2 sans perte de généralité).

Ils introduisent un système de symboles permettant de repérer l’évolution de l’itéré du maximum. Si au cours du processus, une itération par f fait passer le point à gauche ou à droite de c, on introduit dans la suite symbolique du cycle respectivement un L (left) ou un R (right).

Leur résultat est qu’il existe une ordination des cycles possibles (i.e. des suites de symboles possibles), valable pour toutes les courbes f du type étudié, indépendamment des spécificités de l’équation f produisant une telle courbe. Autrement dit, il y a universalité et les suites de symboles sont appelées "U-sequence". L’ordre correspond à l’ordre naturel sur les valeurs de λ ; l’apparition des séquences possibles pour l’itéré de c se fait donc toujours dans le même ordre, quelque soit l’équation.

En outre, toutes les périodes et séquences ne sont pas réalisables. Les auteurs donnent un critère, peu pratique, pour déterminer si une séquence de R et L correspond effectivement à une valeur de λ et dressent, en appendice de l’article, la liste des séquences de périodes inférieures à 11.

Dans ce contexte, si une séquence périodique P existe, on peut définir son "harmonique" H(P)= PµP avec µ=R ou L selon que P contient un nombre pair de symboles R ou non. H(P) est de période double de P. L’article montre que si P est admissible, alors son harmonique l’est également, ce qui signifie, en résumé, que le doublement de période est déjà connu en 1971 (et même avant) ; il est analysé mathématiquement et surtout déjà perçu comme universel.

Outre l’influence de ces résultats sur Feigenbaum, un groupe de physiciens français (Bernard Derrida, Annie Gervois, Yves Pomeau) leur donne un prolongement très remarquable en 1978-9. En substance, ils construisent une loi de composition 719 sur les suites de symboles leur permettant de reconstruire toute la "U-sequence" d’une part, et de montrer l’autosimilarité de celle-ci, d’autre part (c’est-à-dire qu’une partie de la séquence est semblable à la séquence entière).

Plus que les résultats précis, c’est l’effort de classement et d’organisation des cycles périodiques possibles qui est intéressant dans ces travaux. Il faut rapprocher ces tentatives des théorèmes de Li et Yorke, et, plus encore, de celui de Sharkovsky. L’étude des itérations n’est pas limitée au chaos de Li et Yorke ; c’est une préoccupation plus générale qui bénéficie de l’effervescence entourant le thème du chaos. Le lien entre la transition par doublement de période et la question du chaos est donc évident. On pourra également remarquer que tous ces travaux, depuis Metropolis, Stein et Stein, reposent sur l’utilisation de simulations numériques : tout comme dans le développement des notions de chaos, l’ordinateur est omniprésent.

Notes
718.

Metropolis, Stein et Stein ne donnent pas de nom particulier, ni "bosse", ni "unimodal", aux itérations qu’ils étudient. Ce sont les relations x n+1 =λf(x n ) pour lesquelles :

i) f ([0,1]->[0,1]) est continue, C 1 par morceau sur [0,1], f > 0 sur ]0,1[, f(0)=f(1)=0

ii) f a un unique maximum f max ≤1 (en un point ou sur un intervalle). f est strictement croissante à gauche du maximum, strictement décroissante à droite.

iii) en x tel que f(x)=f max , la dérivé de f existe et s’annule.

iv) λ est défini sur ] λ 0 , λ max [ tel que λf(x) a deux points fixes.

719.

Loi de composition appelée * . En particulier, à partir d’une séquence P, on construit les harmoniques par P*R. [DERRIDA, B., GERVOIS, A., POMEAU, Y., 1978].