Chaos et entropie topologique

Les correspondances tout d’abord se précisent. Reprenons leur exemple de la transition ferromagnétique pour résumer l’analogie opérée. Il existe dans ce cas une température critique T c , où, pour T>T c la magnétisation macroscopique M moyenne est nulle ; pour T<T c M est non nulle et il existe une loi du type M~(T c -T) α à l’approche de T c . Le temps de corrélation diverge à la température critique selon une loi universelle : ξ~(T-T c )-ν .

L’analogie, établie dès 1977, fait concorder la période des comportements périodiques au temps de corrélation ; la magnétisation correspond au paramètre qui caractérise l’intensité du "bruit", la stochasticité. L’équivalent dynamique de ce paramètre d’ordre est choisi plus tard : il s’agit de l’entropie topologique 767 . Autrement dit, le chaos, qui était l’apériodique, le stochastique, trouve une définition mathématique tirée des mathématiques des systèmes dynamiques. Coullet et Tresser construisent en fait une notion locale d’entropie topologique, efficace sur le plan numérique 768 . Le chaos, la stochasticité, correspondent à une entropie topologique positive.

La variante introduite pour cette caractérisation du chaos est intéressante. Elle répond à un problème pratique particulier : l’analyse en termes de comportements asymptotiques des orbites, périodiques ou apériodiques, est "trop fine" d’un point de vue expérimental (réel ou numérique) 769 . Parallèlement, le paramètre "grossier" d’entropie topologique peut être soumis à une analyse en terme de groupe de renormalisation, ce qui permet de façonner un nouvel exposant critique 770 . Il ne s’agit pas pour autant de remplacer mais de composer deux caractéristiques, deux structures pour la notion de chaos.

L’entropie topologique fournit donc une alternative dans le choix d’un paramètre d’ordre. Nous avons vu que l’entropie métrique servait de paramètre pour la "stochasticité" 771 . Les exposants de Lyapounov peuvent aussi jouer ce rôle 772  et il existe d’ailleurs une loi universelle pour les exposants 773 .

Notes
767.

La notion d’entropie topologique est plus ancienne et n’est pas introduite dans les questions de dynamique par Coullet et Tresser. La première définition remonte à 1965 ([ADLER, R.L., KONHEIM, A.G., McANDREW, M.H., 1965]) ; Robert Bowen a précisé cette notion en 1971-73 : [BOWEN, R., 1971], [BOWEN, R., 1973]. Guckenheimer et Misiurewicz, présents au CIME en 1978 sont familiers de ces considérations mathématiques et ont pu influencer Coullet et Tresser dans ce choix (voir par exemple [BLOCK, L., GUCKENHEIMER, J., MISIUREWICZ, M., YOUNG, L.-S., 1979]).

768.

C’est le sujet de [COULLET, P., TRESSER, C., 1980].

769.

[COULLET, P., TRESSER, C., 1980] p. 255.

770.

La loi d’échelle pour ce paramètre est constatée seulement numériquement et non reliée analytiquement aux propriétés du groupe de renormalisation. [COULLET, P., TRESSER, C., 1980], p. 256.

771.

L’entropie est associée aux exposants de Lyapounov dans la caractérisation de la stochasticité dans l’article de Benettin et ses collaborateurs, en 1976 (cf. chapitre 4, p. 284). Dans [OONO, Y., KHODA, T., YAMAZAKI, H., 1980], les auteurs discutent d’un paramètre d’ordre, analogue à ceux trouvés dans les transitions de phase, dont ils présument qu’il correspond à l’entropie métrique (entropie de Kolmogorov, dans le texte).

772.

Le japonnais Yoshitsugu Oono l’a montré dans [OONO, Y., 1978a], tout en mettant en évidence, heuristiquement, le rapport avec l’entropie.

773.

La loi de puissance est donnée par les physiciens américains Huberman et Rudnick dans [HUBERMAN, B.A., RUDNICK, J., 1980]. Les exposants de Lyapounov sont associés à l’inverse de la longueur de corrélation dans les transitions de phase.