Une classification des transitions

L’analogie avec les transitions de phase, particulièrement suivie entre 1977 et 1980, et conduite avec de bonnes connaissances en mathématiques des systèmes dynamiques, permet non seulement de reconsidérer leur vision du chaos, mais également de préciser les différentes classes de transitions en matière de dynamique. L’extension de l’analogie conduit à distinguer deux grandes catégories de résultats. Des conséquences quantitatives sont déduites des analyses, grâce au groupe de renormalisation. La cascade sous-harmonique et son universalité quantitative en sont les meilleurs exemples. Sur un autre plan, l’analogie permet de tirer des conséquences plus qualitatives sur le problème des transitions en dynamique.

Qualitativement, ils distinguent ainsi deux types de transitions : les transitions "brutales" et les transitions "continues". Dans le langage de la physique des transitions de phase, ceci correspond aux transitions du premier ordre (passage discontinu d’une configuration à une autre) et du deuxième ordre (passage continu). Analogiquement, la transition de premier ordre est une transition pour laquelle une dynamique simple (stationnaire, périodique ou à deux périodes distinctes) est immédiatement suivie de turbulence. Cependant le caractère brutal n’est pas totalement valable dans le cas de la dynamique : il peut exister une transition par intermittence, rendant continue la transition. En résumé,

‘"En analogie avec les transitions de phase, nous n’attendons pas de propriétés universelles lorsque la transition est discontinue ; nous observons généralement un phénomène d’hystérésis comme dans l’exemple du modèle de Lorenz" 774

La cascade sous-harmonique correspondrait, elle, au deuxième ordre, par l’apparition progressive de comportement turbulent.

Ceci n’épuise pas la diversité des scénarios possibles. En 1980, Coullet et Tresser, rejoints par Alain Arnéodo, physicien théoricien au CNRS dans un laboratoire voisin (Laboratoire de Physique Théorique de l’Université de Nice) qui choisit de se convertir à leur problématique, ébauchent une classification. La construction distingue deux grandes classes, suivant le nombre de fréquences fondamentales observées avant la transition. Evidemment, elle "suscite certaines réflexions" 775 . Cette classification primitive est très remarquable, d’autant plus qu’elle n’est pas directement superposable avec la nomenclature qui deviendra "classique" en trois scénarios : quasi-périodicité (Ruelle-Takens), cascade de doublements de période, intermittence.

L’intermittence, autre scénario imaginé, est sujet de discussion dans ce cadre 776 . Selon les auteurs, le mécanisme de Pomeau et Manneville, même s’il donne un cadre théorique pertinent aux expériences réalisées par Dubois et Bergé et se retrouve dans beaucoup de simulations numériques, ne correspond pas à un mécanisme de transition vers le chaos :

‘"[…] le phénomène d’intermittence mis en évidence par ces auteurs dans le modèle de Lorenz à grand nombre de Rayleigh ne décrit en rien une transition intermittente vers la turbulence puisqu’il prend place en plein régime turbulent. […] Par contre beaucoup plus rares sont les systèmes mettant en jeu une véritable transition intermittente que nous appellerons ‘intermittence de seuil’ […] l’intermittence de seuil doit se comprendre comme un cas limite d’une transition vers le chaos du 1er ordre avec hystérésis." 777

Le phénomène d’hystérésis est étudié en particulier dans leur article "On the existence of hysteresis in a transition to chaos after a single bifurcation" 778 . Dans cette question de transition vers le chaos, l’analogie avec les transitions de phase est véritablement le fil conducteur qui leur donne les clés d’une taxonomie et permet d’écarter un phénomène qui est connu mais n’explique pas comment le chaos se met en marche.

Notes
774.

"In analogy with phase transitions, we do not expect any universal property when the transition is discontinuous ; we generally observe a hysteresis phenomenon as e.g. in Lorenz model.", [TRESSER, C., COULLET, P., ARNEODO, A., 1980], p. 243.

775.

ATP "Systèmes dynamiques modèles et transition vers la turbulence", Annex 1, p. 3. (Archives du CNRS, G 850117, Articles 4 à 7 (Année 1981)).

776.

Nous détaillons ce scénario plus loin, p. 360.

777.

ATP "Systèmes dynamiques modèles et transition vers la turbulence", Annexe 1, p. 3. (Archives du CNRS, G 850117, Articles 4 à 7 (Année 1981)).

778.

[TRESSER, C., COULLET, P., 1980].